Un an d'attente pour pouvoir exercer
Des médecins suisses furieux face aux retards inacceptables pour obtenir leur titre

Un an: c'est le délai désormais imposé aux médecins avant de recevoir leur titre de spécialiste. Un retard qui a mis des médecins en difficulté et entraîné la démission de la présidente de l'institut qui délivre les titres. L'administration fédérale est sommée d'agir.
Publié: 04:39 heures
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Dernière mise à jour: il y a 38 minutes
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L'octroi du titre fédéral de spécialiste prenait 2 mois historiquement. Désormais, cet octroi nécessite 12 mois d'attente.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Quelque 150 jeunes médecins, exaspérés, viennent de constituer l’association Relève Médicale Suisse (ARMS). Leur cible: l’ISFM, l’Institut suisse pour la formation médicale postgraduée et continue. C’est le seul organisme en Suisse qui octroie la certification fédérale des médecins spécialistes, indispensable pour exercer en cabinet ou occuper des postes à responsabilité dans les hôpitaux.

L’ISFM facture 4000 francs par titre. Problème: l’institut met désormais de l’ordre de 12 mois, voire plus, à délivrer ce précieux sésame. Un retard aux conséquences parfois désastreuses, qui frustre un nombre croissant de médecins. Les spécialistes sans titre travaillent au sein des hôpitaux sans toucher le salaire correspondant, et ceux qui souhaitent poursuivre leur formation à l’étranger ne peuvent le faire, sans compter tous ceux qui sont entravés pour l’ouverture de leurs cabinets.

2500 demandes en attente

Ce 16 octobre, Relève Médicale Suisse dénonce un «blocage inacceptable» dans un communiqué, estimant que, «face à la faillite de l’ISFM, la Confédération doit aujourd’hui reprendre la main». Le constat est sans appel: «L’octroi des titres de spécialiste est paralysé: plus de 2500 demandes sont en attente, déplorent les 150 médecins concernés. Cette situation critique met en danger la relève médicale, mais aussi l’offre de soins pour la population.»

Des cas concrets de médecins mis en difficulté nous ont été rapportés. «Pour certains collègues, c’est un drame, témoignent les membres du comité de l’association. Certains avaient des cabinets à reprendre, ou qu’ils ont repris, comme ce collègue qui loue ses locaux et a engagé une secrétaire médicale, mais son titre n’est toujours pas délivré.» Le comité poursuit: «Ce collègue est arrivé à la fin de son contrat à l’Hôpital, a commencé l’activité à son cabinet, sans titre et sans droit de pratiquer. Dès lors, il se retrouve au chômage à devoir payer son cabinet, en plus d’une assistante.»

De 2 à 12 mois

Historiquement, délivrer des titres prenait deux à trois mois à l’institut. Puis la durée s’est allongée à sept mois au début de cette année. A l’heure actuelle, cela prend désormais un an. La situation se détériore rapidement, comme l’avait révélé Blick en mai dernier.

Absences, burnouts, démissions, complexité croissante des dossiers et vérifications trop pointilleuses expliquent les retards de l’ISFM. En outre, l’évaluation des dossiers étrangers contribue à l’engorgement: l’institut basé à Berne prend plus de temps pour vérifier les équivalences de la formation postgraduée et semble dépassé par la tâche.

Le parcours de médecins est long et ardu, rappelle le comité ARMS. Il faut avoir effectué six ans d’études avant l’examen fédéral, puis travailler comme médecin assistant, années lors desquelles le praticien se spécialise. Il faut ensuite œuvrer cinq ans dans la spécialité, passer un examen oral, s’être rendu à des congrès, avoir des publications à son actif, et donner des cours spécifiques. Puis le médecin assistant constitue son dossier en ligne, sur le portail de l’ISFM. «On fait tout le travail en amont, puis on dépose notre demande afin d’avoir officiellement le titre de spécialiste», résume le comité ARMS. C’est alors que les retards se manifestent.

Promesses non tenues

Sous la pression des complaintes répétées, venues de l’Association suisse des médecins-assistant(e)s et chef(fe)s de clinique (ASMAC), ou de l’Association des médecins d’institutions de Genève (AMIG), la présidente de l’ISFM, Monika Brodmann Maeder, vient de quitter ses fonctions ce 25 septembre, après 5 années à la tête de l’ISFM. Elle a été remplacée par un responsable ad interim.

En mai dernier, la présidente démissionnaire avait promis un raccourcissement des délais. «On nous a promis que dès 2026, le délai redeviendrait à 3 mois, souligne le comité, mais c’est totalement illusoire car nous sommes à la mi-octobre et le délai est de 12 mois. Je ne vois pas comment cela pourrait changer en 2 mois et demi.»

Fin juillet, une motion avait été déposée par Cyril Aellen (PLR/GE), député au Conseil national, pour demander que l’octroi des titres intervienne dans un délai raisonnable. En août, le Conseil fédéral avait proposé le rejet de la motion, car l’ISFM aurait «déjà pris des mesures pour réduire le délai de traitement des demandes». Quelques semaines plus tard, un nouvel allongement du temps d’attente à 12 mois était annoncé par le site même de l’ISFM.

«Inadmissible et injustifiable»

Se disant «insatisfait du traitement de cette motion», Cyril Aellen estime aujourd’hui qu’il faut responsabiliser l’administration fédérale. «Avoir des délais de 12 mois est totalement inadmissible et injustifiable, sachant que par le passé, des certifications ont pu être délivrées sans problème dans un délai de 2 à 3 mois», juge le conseiller national. Il pointe une «mauvaise gestion au sens large, qui n’est pas admissible pour les médecins concernés, ni pour le système de santé».

Le Conseil fédéral «estime n’avoir pas de base légale pour agir», note le député genevois. «Dans ce cas, qu’il nous en propose une pour le faire, car on ne peut se satisfaire de cette réponse». L’Office fédéral de la santé (OFS) est un partenaire habituel de l’ISFM. Il est dès lors le mieux placé, selon Cyril Aellen, «pour avoir des exigences dans le cadre de ce partenariat et obtenir de lui des garanties d’amélioration de la situation.»

Un institut très rentable

Ce n’est pas un problème de moyens. Selon les chiffres publiés, l’ISFM dégage des bénéfices chaque année et a largement les moyens financiers pour s’organiser afin d’assurer des délais corrects. «L’ISFM est extrêmement rentable, il occupe une position de monopole et dispose d’un mandat de la Confédération, ajoutent les membres du comité. S’il avait pris des mesures d’urgence en adoptant des procédures plus pragmatiques, il y serait arrivé.»

Les démarches entamées par Relève Médicale Suisse incluent des courriers de mise en demeure de l’ISFM, réclamant la délivrance des titres postgrades en souffrance d’ici au 31 octobre 2025, et la suppression de l’émolument de 4000 francs. En outre, l’association a adressé une plainte au Département fédéral de l’intérieur (DFI), le priant de faire cesser les dysfonctionnements au sein de l’ISFM et de permettre un traitement rapide des demandes.

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