Des enquêteurs hors pair
Le duo de choc à la tête de «Temps Présent» se confie

Les journalistes Elisabeth Logean et François Roulet coproduisent la célèbre émission d’information et d’investigation de la RTS, dont les premières révélations remontent à 1969.
Publié: 17.10.2025 à 21:06 heures
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Elisabeth Logean et François Roulet affichent une complicité naturelle.
Photo: Julie de Tribolet
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Antoine Hürlimann
L'Illustré

La lumière dorée de fin de journée sublime la robe automnale qui commence tout juste à recouvrir la campagne entourant la ferme familiale de François Roulet. Son père, qui fut syndic d’Etoy (VD), se marre en découvrant son journaliste de fils en train de prendre la pose dans le jardin, au côté de sa collègue Elisabeth Logean.

«Tu as réussi à ne pas tomber en panne?» lui lance-t-il, taquin. C’est que les coproducteurs du renommé magazine hebdomadaire d’information et d’investigation Temps présent, porté sur les écrans depuis plus de cinquante-cinq ans par le service public (seul Panorama, lancé en 1953 sur la BBC, fait mieux!), viennent de survivre à un trajet express dans la «Maserati» du Vaudois de 43 ans, en l’occurrence une Citroën familiale décrépite au catalyseur percé. 

Une épopée routière entamée un peu plus tôt, ce jeudi 2 octobre, dans les profondeurs d’un parking adjacent à la tour de la RTS, vénérable édifice genevois bientôt rachetée par la Fondation Hans Wilsdorf, que l’on résumera avec emphase à un vrombissement décoiffant.

«
Qui creusera pour mettre en lumière les zones d'ombre dans nos régions si nous ne le faisons pas?
François Roulet, coproducteur de «Temps Présent»
»

Nous ne nous trouvons pas là par hasard. C’est dans ces murs plusieurs fois rafraîchis que les deux pointures médiatiques ont finalisé le projet choisi il y a deux ans pour succéder à l’ère Jean-Philippe Ceppi, figure tutélaire durant près de deux décennies de l’émission diffusée chaque jeudi soir à 20h10. Auparavant, François Roulet a porté les couleurs de Nouvo, du 19h30 et de Mise au point. 

«Temps Présent» a été dans les mains de Jean-Philippe Ceppi durant presque deux décennies.
Photo: DR

Elisabeth Logean a également eu de multiples casquettes. Jusqu’à devenir la respectée corédactrice en chef de l’actualité TV, une des fonctions les plus en vue de la profession. Pourtant, la native d’Hérémence (VS) de 52 ans n’avait pas hésité longtemps avant d’approcher dans un secret absolu son compère pour tenter de conceptualiser une formule de Temps présent qui saurait séduire la hiérarchie… et le public. 

La recette du succès

Une mouture qui a maintenant fait ses preuves à tous les niveaux. En témoignent les audiences du premier des deux épisodes consacrés à l’énigme Sarah Oberson, la petite Valaisanne mystérieusement disparue il y a quarante ans. Au total, 191'000 Romandes et Romands étaient devant leur télévision le 18 septembre dernier, soit 46,6% de part de marché. Vertigineux!

La recette du succès des deux complices, fièrement d’extraction paysanne, et de leur équipe affûtée? Un regard, une sensibilité et une montagne de sources qui transcendent l’Arc lémanique. Mais pas que. «Nous voulions absolument ce modèle en binôme, car il nous semblait essentiel de pouvoir alterner entre les rôles de producteur et de journaliste, explique Elisabeth Logean. Nous nous passons le témoin. 

Quand l’un est sur le terrain, l’autre tient la barre. Cela nous permet d’avoir une vision d’ensemble, de rester au contact de toutes les personnes qui façonnent Temps présent et de nous remettre en danger en partant personnellement enquêter. Rechercher les vérités cachées, ici en Suisse romande, voilà ce qui nous anime! Même si le programme s’intéresse, bien sûr, au monde entier.»

Chaque franc compte pour enquêter

François Roulet, assis au cœur du studio dans lequel sont filmées les interventions en plateau, remonte ses chaussettes bleu pétrole et abonde dans ce sens. «Qui creusera pour mettre en lumière les zones d’ombre dans nos régions si nous ne le faisons pas? En tout cas pas Netflix et les autres plateformes du genre. Si nous avons un rôle à jouer, c’est celui-ci.» Une mission indispensable, ardue à la base, rendue encore plus difficile par les économies imposées au service public. 

François Roulet et Elisabeth Logean peaufinent des détails avec leur équipe.
Photo: Julie de Tribolet

«A notre arrivée, nous avons dû couper partout où cela était possible, tout en préservant au maximum la qualité de nos émissions et les gens qui les font, assure l’ancienne productrice éditoriale d’Infrarouge. Privilégier le reportage et l’enquête, donc le contenu, c’est ce qui guide en permanence nos choix. Comme lorsque nous avons décidé de nous passer des services d’une régie, qui auraient pourtant été les bienvenus.»

Cette réalité financière tendue, qu’aggraverait certainement l’initiative «200 francs, ça suffit!» si elle était votée par le peuple, a des conséquences: Temps présent adapte davantage d’images émanant de la SRF (pas forcément une mauvaise chose, au regard du remarquable travail des confrères alémaniques concernant par exemple la catastrophe de Blatten) et, surtout, n’a pas le droit à l’erreur. 

Une enquête de «Temps Présent» peut coûter trois mois de travail avant d'être diffusée.
Photo: Julie de Tribolet

«Comme une émission prend jusqu’à trois mois pour être finalisée, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas aboutir, cela représenterait beaucoup trop d’argent jeté à la poubelle», développe le fin limier et père de deux jeunes enfants, qui partage sa vie depuis de nombreuses années avec sa compagne, infirmière responsable en neurologie. Il reprend: «Nous devons absolument éviter l’échec industriel. Cela signifie que si on ne sent pas un sujet ou que nous avons le sentiment qu’il risque de se casser la figure, nous tirons la prise dès les premiers jours.»

Des enquêtes qui dérangent

Qui dit investigations dit inévitables frictions. En osant mettre le nez dans les affaires parfois bien odorantes des plus puissants, comme lorsque l’émission a dévoilé au moins de juin les méthodes douteuses du roi du béton et fleuron national Implenia, les journalistes font face à des pressions juridiques. Un bras de fer quasi permanent devenu encore plus musclé depuis que les autorités politiques ont décidé de faciliter les interdictions de publier imposées en urgence aux médias par un tribunal civil. 

Ces mesures provisionnelles, comme on les appelle, peuvent facilement déboucher sur une forme de censure légale. Ce que dénoncent différentes organisations professionnelles, à l’instar de la section suisse de Reporters sans frontières, d’Impressum ou encore de Syndicom. «C’est de plus en plus fréquent», regrette Elisabeth Logean, qui vit dans la Cité de Calvin avec son mari et est par ailleurs mère de trois enfants. 

«Certains n’hésitent pas à brandir le spectre de ces procédures dans le but de nous décourager, quand ils estiment que nous nous intéressons de trop près à ce qu’ils font, renchérit-elle. Cela a plutôt l’effet inverse sur nous: quand on essaie de nous cacher des choses, cela a tendance à nous confirmer que nous approchons de révélations d’intérêt public qui méritent qu’on y mette toute notre énergie.»

Le sport et l’équilibre familial

Avec un quotidien aussi prenant que stressant, comment les deux larrons font-ils pour décompresser? François Roulet, qui tape sur sa batterie dès qu’il le peut pour se vider la tête, confie la recette de leur équilibre: «On s’appelle à la fin de la journée pour faire le point et éviter de ramener nos problèmes professionnels à la maison. Je pense que nos entourages respectifs nous en sont reconnaissants.» 

Le sport joue en outre un rôle important dans leur bien-être. Surtout pour lui, qui aime courir et jouer au badminton. Une discipline explosive et exigeante qu’il avoue pratiquer avec beaucoup de mauvaise foi. Quant à Elisabeth Logean, elle concède être moins fan du «cardio», même si elle s’est mise au yoga et apprécie nager de temps en temps.

François Roulet dans sa ferme familiale à Etoy (VD).
Photo: Julie de Tribolet

Réussir à déconnecter relève cependant de l’utopie. Quand cela se produit par miracle, ce n’est pas toujours positif. Le Vaudois lève les yeux au ciel: «Je profite de mes joggings pour lâcher mon téléphone et me couper du monde. C’est évidemment lors de l’un d’eux que ma conjointe a dû partir à l’hôpital pour accoucher trois semaines avant le terme prévu… Quand je suis revenu au bureau en sueur, Elisabeth et les autres collègues m’attendaient de pied ferme puisque tout le monde avait vu les appels et deviné de quoi il s’agissait!»

Sans surprise, la Valaisanne expatriée à l’autre bout du Léman regorge, elle aussi, d’anecdotes lors desquelles sa vie professionnelle a empiété sur sa vie privée. Le dernier exemple remonte à quelques jours à peine, lors d’un voyage à Paris en compagnie de sa fille de 14 ans. Subitement, dans le métro, l’adolescente l’a implorée de ranger son smartphone dans sa poche. Un comble! 

Même au restaurant, François Roulet et Elisabeth Logean parlent des enquêtes en cours.
Photo: Julie de Tribolet

«Je comprends que cela puisse agacer; il y avait toutefois des problèmes avec nos vidéos en ligne, justifie l’ex-présentatrice des journaux télévisés du week-end. C’est ainsi, on ne ferme jamais complètement les écoutilles. Cela fait partie de notre travail…» 

Un sacerdoce embrassé par passion qui permet à la grand-messe cathodique née en avril 1969 de réunir religieusement ses fidèles chaque semaine. A la télévision, mais aussi en streaming sur Play RTS. Une nouvelle habitude de consommation en constante hausse qui montre, à sa façon, que l’époque change. Même si, plus d’un demi-siècle après sa création par le regretté Claude Torracinta, Temps présent est plus que jamais d’actualité.

Retrouvez «Temps Présent» le jeudi 16 octobre sur RTS 1, à 20h10

Un article de «L'illustré» n°41

Cet article a été publié initialement dans le n°41 de «L'illustré», paru en kiosque le 9 octobre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°41 de «L'illustré», paru en kiosque le 9 octobre 2025.

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