Tour RTS vendue à Wilsdorf
Antonio Hodgers: «Depuis des années, je travaille pour favoriser une vente»

Le conseiller d'Etat a lui-même provoqué le rapprochement entre la Fondation Wilsdorf et la SSR. En réalité, les acheteurs ne se seraient pas bousculés pour la tour RTS. La mission d'intérêt public attachée à la tour aurait rapidement imposé le choix de Wilsdorf.
Publié: 14:42 heures
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Hodgers: «J'ai dit à la SSR 'arrêtez de vous comporter comme locataires bailleurs, devenez réellement locataires.'»
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste Blick

Aurait-il fallu que la SSR procède à un appel d'offre avant de vendre la tour RTS à la Fondation Wilsdorf? Ou la transaction était-elle cousue de fil blanc, comme il se murmure à Genève? Quel rôle a joué Antonio Hodgers dans le choix de Wilsdorf comme acheteur de la tour? N'est-il pas paradoxal qu'un titre comme la «Tribune de Genève» ne soit pas un candidat naturel pour y louer des locaux à prix avantageux? Le conseiller d'Etat en charge du Département du territoire répond aux nombreuses questions de Blick. 

Pensez-vous que le projet de la tour Wilsdorf sera utile aux médias?
J’en suis convaincu! Depuis des années, je travaille pour favoriser une vente. Face à la stratégie de désinvestissement de la RTS, quand cette dernière a sous-loué des locaux à des entreprises, cela a provoqué toutes les réflexions qui ont mené au rachat de la tour. Pour le Conseil d’Etat, c’est une forme d’aide indirecte à la presse.

De l’aide, vraiment? Mais la tour n’accueillera pas beaucoup de médias…
La RTS occupe encore plusieurs étages. Les magazines comme «Temps Présent», et d’autres productions de la RTS, vont rester dans la tour. Et le quotidien «Le Temps» et Heidi.News s’y installeront. Nous espérons qu’il y en ait d’autres. Notre volonté est que cette tour soit LE lieu qui mette l’information au cœur de son activité. Cela concerne tous les médias et l’écosystème informationnel dans son ensemble.

Ne fallait-il pas procéder à un appel d’offres avant de vendre la tour RTS à Wilsdorf?
La SSR, en tant que vendeur de la tour, n’est pas soumise à cette obligation. Mais surtout, il n’y avait pas beaucoup de demande. En réalité, il n’est pas sûr qu’il y ait des acheteurs. La SSR a rénové la tour il y a 10 ans, cela a coûté très cher. Elle a alors commencé à sous-louer des bureaux à des multinationales, ce qui est inacceptable pour l’Etat. Un droit de superficie gratuit équivaut à une subvention non monétaire de l’Etat. C’est de l’argent public. Il n’est pas tolérable qu’une entité en profite pour en tirer des bénéfices. Je leur ai dit: «Arrêtez de vous comporter comme locataires bailleurs, devenez réellement locataires». 

Etes-vous allé chercher la Fondation Wilsdorf?
J’ai aidé à établir le contact. Car il n’y avait pas foule. Le terrain de l’Etat n’était pas à vendre. Et cela est un problème: quel privé allait investir dans une tour située sur un terrain public? Nous souhaitions un projet qui soit d’intérêt public. Rien que cette condition réduisait l’intérêt des acheteurs. 

Les loyers modérés ont-ils aussi découragé les institutionnels privés?
Oui c’est une autre spécificité. Les loyers modérés que nous souhaitons ne permettent pas de maximiser le revenu locatif. A partir du moment où l’Etat mettait gratuitement un droit de superficie pour des projets d’intérêt public, le nombre d’acheteurs potentiels était donc voué à se réduire. La SSR aurait pu faire un appel d’offres. Mais dans la mesure où le terrain est public, cela limitait fortement les possibilités. La Fondation Wilsdorf s’est alors naturellement imposée. 

Cela fait-il sens que des journaux comme la «Tribune de Genève» ne puissent pas s’y installer?
Nous le verrons ces prochains mois, avec le développement du projet. Reste que ce sont des exigences de rendement démesurées qui ont fini par étouffer des titres comme la «Tribune de Genève». L’Etat a-t-il à financer des actionnaires privés, en leur procurant des effets d’aubaine, des avantages qui augmentent leurs marges et leurs dividendes? En tout cas, la priorité ne se portera pas sur des médias qui appartiennent à de gros éditeurs très lucratifs.

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La Tribune appartient à un groupe qui ne veut pas juste qu’elle tourne, mais qu’elle dégage un rendement démesuré
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Mais si une rédaction perd de l’argent, une aide ne bénéficierait pas aux actionnaires de l'éditeur…
Combien d’argent la «Tribune» perd-elle effectivement? Le titre a beaucoup plus d’abonnés qu’un titre comme «Le Courrier». Pourquoi «Le Courrier» s’en sort et pas la «Tribune»? Parce qu’elle appartient à un groupe qui ne veut pas juste qu’elle tourne, mais qu’elle dégage un rendement démesuré, et que ses revenus contribuent aux frais généraux du groupe. Et quand il estime que ce n’est pas suffisant, le propriétaire désinvestit. Face à cela, nous sommes assez impuissants, car nous n’allons pas prendre en charge une partie du loyer, et permettre juste à un titre de contribuer encore plus aux frais du groupe qui le détient. On aiderait «Le Courrier» sans problème. Le problème concerne les titres ayant de grands groupes derrière. 

Et ces groupes ne veulent pas vendre ces titres?
Non, c’est cela qui est pervers. Prenez TX Group/Tamedia, qui a dépensé énormément pour acquérir des positions stratégiques. Une cession de la «Tribune de Genève» aboutirait comptablement à des dépréciations de valeurs fortes, sans compter qu’il faudrait leur préparer une sortie honorable. Ils ne veulent pas vendre ces titres pour ne pas se créer de concurrents. Et aussi parce que ces titres contribuent aux frais du groupe. S’ils n’étaient vraiment pas rentables, ils les vendraient, mais la situation optimale pour eux est de les garder, sans réinvestir dans l’actif. C’est un positionnement tactique pour éviter que d’autres acteurs ne prennent le marché à leur place et fassent autre chose de ces titres. 

Va-t-on réfléchir à l’avenir de la presse dans cette tour, pendant qu’à l’extérieur elle se meurt?
Le but n’est pas seulement de réfléchir mais d’agir, car les médias sont consubstantiels à la démocratie. Et on ne peut que constater que leur situation se détériore d’année en année.

Quand vous parlez de médias, pensez-vous à ceux traditionnels ou incluez-vous les médias sociaux?
On ne peut pas penser que la presse puisse rester dans ses formats traditionnels. De nouveaux formats s’imposent et il faut aller chercher son public là où il est. Les restructurations comme celles de la RTS montrent que les médias massifs, mammouths, commencent à ne plus être adaptés à notre temps.

Ces restructurations sont-elles justifiées, d’après vous?
Il y a des réalités qui font que le modèle économique de base est très challengé, que ce soit pour le privé ou pour le public. On voit que les jeunes consomment l’information différemment. Quand j’étais jeune, il y avait des rendez-vous fixes, on se retrouvait tous autour d’une même présentation des faits, comme le téléjournal. A l’époque de mes enfants, tout est à la demande, et les gros médias traditionnels, la presse papier, le 19h30 à la télévision, semblent dépassés par les nouveaux modes de consommation. 

Le public est-il gagnant ou perdant avec les nouveaux médias?
Les médias traditionnels avaient un avantage certain. Comme ils étaient centraux, tout le monde recevait plus ou moins la même information. Avec des médias plus sectoriels, plus atomisés, on a des bulles d’information qui se créent. Les gens choisissent des chaînes et des influenceurs qui leur disent ce qu’ils veulent entendre. Le voisin qui pense autrement, lui, regarde d’autres sources, et le troisième s’informe encore ailleurs. Et quand les citoyens se parlent, ils n’ont plus de narratif commun, plus de vision commune. Les médias à la demande ne produisent pas autant de cohésion citoyenne que les médias traditionnels. 

Quelle est votre solution face à cela?
On doit soutenir ce qui peut l’être, encourager les nouvelles formes médiatiques, même si elles ont le défaut d’être très sectorielles. Derrière votre question, il y a un combat beaucoup plus large à mener, alors que le taux de participation politique baisse, que la démocratie recule, et que le modèle des autocrates monte en puissance. La démocratie ne peut fonctionner qu’avec des médias de qualité, car ils aident le citoyen à se forger une opinion afin de voter. Mais quand le citoyen lui-même se désintéresse des votations, alors le média perd de son utilité. Les médias doivent se remettre en question, savoir remobiliser l’attention citoyenne. On doit accompagner les médias qui essaient d’être disruptifs. 

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