Le projet de la tour RTS, qui passe en mains de la Fondation Wilsdorf, se concrétise. Pour en savoir plus sur ses futurs occupants et les activités qu’elle abritera, Blick s’est entretenu en exclusivité avec Yves Daccord, président de la nouvelle fondation créée par Wilsdorf pour mener à bien le projet. L’ancien président du conseil d’administration du «Temps», qui a auparavant dirigé le CICR pendant 10 ans, compte rester à ce poste 3 à 4 ans, le temps de donner l’impulsion au projet, avant de laisser la place à une présidence plus jeune. Entretien.
Yves Daccord, est-ce que les négociations pour le rachat de la tour RTS par Wilsdorf ont abouti?
Oui. Cet été, la vente, par la SSR, de la tour de la RTS à la Fondation Wilsdorf a reçu l’accord définitif de toutes les parties. L’Etat de Genève va renouveler son autorisation d’utiliser le terrain, dont il est propriétaire. Il reste désormais à en conclure l’achat définitif d’ici la fin de cette année.
Peut-on connaître le prix d’achat de la tour, montant qui s’inscrira dans les économies de la RTS?
L’estimation du prix du bâtiment n’est pas encore finalisée, mais nous travaillons dessus conjointement avec la RTS pour avoir des chiffres précis dès la fin de ce mois. Puis, au 1er janvier 2026, tout devrait être en place: le rachat, les contrats de location des nouveaux locataires et la feuille de route pour la nouvelle fondation qui prendra possession de la tour.
Justement, qui seront les futurs locataires du 10 quai Ernest Ansermet?
Comme vous le savez, il restera une partie importante de la rédaction de la RTS. Ensuite, le quotidien «Le Temps», dont la fondation Aventinus, soutenue elle aussi par Wilsdorf, est l'un des actionnaires, y déménagera comme annoncé, d’ici mi-2026. Au-delà, nous espérons accueillir et fédérer des initiatives dédiées à l’avenir des médias, à la philanthropie et à la qualité de l’information. Une antenne du Media Forward Fund, de l’Initiative Médias et Philanthropie de l’Université de Genève, dirigée par Gilles Marchand, ou encore ImageTrust de Magnum Photos, y trouveront leur place, aux côtés d’autres acteurs engagés dans la recherche de modèles durables pour l’information de qualité. Ils pourront bénéficier de conditions favorables que nous garantirons, au terme de notre accord avec l’Etat.
Et si des rédactions de journalistes comme Blick, la «TdG» ou «Le Courrier» veulent venir?
Pour un média indépendant, cela peut s’envisager. Mais les médias romands appartenant aux gros éditeurs alémaniques ne sont pas la priorité. Si c’est pour que les éditeurs fassent des économies grâce aux loyers modérés que l’on va offrir, et les distribuent à leurs actionnaires zurichois, cela a peu d’intérêt.
Des agences de comm', des sociétés privées, pourront-elles louer?
Il n’y aura pas d’études d'avocats, ni de traders, ni d’agences de communication parmi les locataires de la tour. L’objectif du projet, de par l’implication de l’Etat, est de rester centré sur l’intérêt public.
Comment définissez-vous l’intérêt public?
L’intérêt public, c’est œuvrer pour l'intérêt collectif, pour une société démocratique capable de faire des choix informés, de maintenir une culture du débat et du dialogue.
A quel prix au mètre carré pourra-t-on louer?
Nous n’avons pas encore fixé les prix de location. Cela se fera après l’estimation de la valeur du bâtiment.
Est-ce que votre nouvelle fondation envisagera d’investir dans certains de ces médias?
La nouvelle fondation n’a pas vocation à devenir actionnaire de médias. Elle cherchera surtout à permettre de développer de nouvelles pratiques médiatiques, de véracité de l'information et plus généralement à créer les conditions pour capturer à nouveau l’attention des gens. Je souhaiterais aussi qu’elle puisse attribuer des bourses, en toute transparence, à de jeunes organisations médiatiques ou de recherche.
Vous croyez beaucoup en la philanthropie. N’a-t-elle pas montré, elle aussi, ses limites?
Il n’y a pas mille options pour financer les médias aujourd’hui, dans un environnement où les recettes provenant du lectorat et de la publicité se sont amoindries: soit la philanthropie, soit l’aide directe aux médias, qui manifestement ne se fera pas ou peu, soit le soutien des lecteurs, dont on voit aussi la difficulté et qui ne fonctionne souvent qu’avec les médias hyper locaux. Mais les médias régionaux ou nationaux, eux, ne sont pas soutenus et sont menacés. Or il nous en faut, si l’on veut conserver un narratif national commun.
Les médias classiques ont-ils une chance de s’en sortir?
La grande majorité est totalement dans l’incapacité de se repenser, en dehors de stratégies de réduction des coûts. Difficile de se réinventer si l’on doit faire plus, avec moins. Et cette pression va continuer. La Fondation allemande Media Forward Fund estime que la Suisse romande représente un 'désert médiatique', en l’absence d'une diversité suffisante et à cause de la concentration des financements.
Mais cette concentration, la philanthropie des milliardaires ne fait que l’accentuer?
Justement, le type de philanthropie que nous défendons doit se distinguer de celui des milliardaires intéressés par une ligne éditoriale qui leur est propre, où ils interviennent sur les contenus, à l’exemple de Bolloré en France, Bezos aux Etats-Unis, ou encore Blocher en Suisse. Nous défendons l’idée d’une philanthropie de fondations non liées à un seul individu, ayant une charte, une ligne de conduite, une méthodologie précise. Nous cherchons à définir à quels principes l’argent philanthropique doit répondre pour être perçu comme indépendant.
N’est-ce pas paradoxal de se mettre à réfléchir, avec le soutien d’une puissante fondation, pendant que la plupart des médias autour de vous se meurent?
Il faut trouver des solutions, il n’y a pas le choix. L’heure est grave. La bataille de l’attention est en train d'être perdue par nos institutions, y compris par les médias. On voit depuis des années que des personnalités de premier plan s’en passent, à commencer par Donald Trump. Nous voulons comprendre ce qui se joue au cœur de la bataille de l’attention, l’impact de ces nouveaux canaux sur les jeunes générations, sur nos institutions démocratiques. Nous devons retrouver les outils pour créer un narratif commun. Aujourd’hui, seuls les médias de la droite dite dure se constituent en véritables écosystèmes et reçoivent de gros financements. Il s’agit de savoir comment contrer cette tendance, en favorisant l’information de qualité.
Comment définissez-vous l’information de qualité?
C’est l’info vérifiée, qui vient de plusieurs sources, qui offre une diversité de regards, et qui est capable de faire la distinction entre l’opinion et les faits.
Vous parlez d'«explorer les contours d’un nouveau contrat social». Qu’entendez-vous par là?
Si les médias disparaissent, si les gens ne s’informent plus aux mêmes sources, s’il n’y a plus un minimum de règles du jeu, nous serons dans un environnement extrêmement polarisé, où les gens n’ont plus du tout envie de vivre ensemble. L’enjeu, derrière tout cela, n’est autre que la démocratie elle-même.