Les nuages s’amoncellent dans le ciel médiatique romand. Peu après l’annonce de la disparition de la version papier du journal 20 minutes pour la fin de cette année, la RTS déclare devoir économiser 16,5 millions de francs. Conséquence: environ 60 à 70 équivalents plein-temps pourraient être supprimés, dont sept postes de cadres. Toutefois, grâce à une gestion anticipée des départs naturels et à la suppression de certaines prestations, l’entreprise espère limiter les licenciements à environ 20 personnes.
Avant de se projeter dans le nouveau site de production d’Ecublens, Pascal Crittin, directeur de la RTS nous reçoit dans les locaux emblématiques de la Sallaz, à Lausanne. Le natif de Saint-Maurice (VS) n’élude aucune question. Programmes et emplois impactés par les mesures d’économies, baisse de la redevance, pressions politiques... Il répond avec sincérité et surtout conviction.
Pascal Crittin, les 16,5 millions de francs d’économies annoncés pour 2026 signifient-ils moins de journalisme à la RTS?
Non. D’abord, nous allons faire beaucoup d’économies dans les supports, dans l’administration, dans le marketing et la communication. Ensuite, nous travaillons à produire moins cher. Enfin, nous faisons des réductions ciblées dans l’offre de programmes.
Il y aura donc bel et bien un appauvrissement des contenus.
Ce sont des émissions dont l’audience est relativement faible et dont la matière est couverte autrement en raison du changement des usages médiatiques. Nous nous adaptons à ces usages en travaillant sur la transformation numérique.
Il y a quand même des émissions historiques qui vont disparaître, à l’instar de «Sport-Première». Quelle pensée avez-vous au moment de tirer la prise de ces programmes qui ont compté pour le public?
Derrière chaque programme, il y a quelqu’un qui l’écoute, qui le regarde. Ce sont des émissions que nous avons parfois nous-mêmes portées, conçues et produites. Nous sommes très attachés à ce que nous faisons, mais nous devons économiser beaucoup de millions de francs. C’est difficile de le faire sans toucher à l’offre, qui représente 75% de nos moyens. D’autre part, nous sommes très attachés à notre mission de service public dans tous les domaines. Et nous voyons que le public est en train de changer ses habitudes.
Comment le remarquez-vous?
Vous évoquiez «Sport-Première», qui est désormais très peu écoutée le samedi soir après avoir fait les grandes heures du commentaire sportif. Aujourd’hui, l’audience, c’est un nombre à quatre chiffres. Pas plus. Mais la couverture sportive, nous pouvons l’assurer indépendamment de cette émission. En radio à travers les événements, à la télévision ou encore via l’application RTS Sport.
Combien de personnes seront impactées par ces mesures d’économies?
On parle de 60 à 70 postes, au total. Mais soyons précis. Nous travaillons avec la pyramide des âges. C’est-à-dire que toute la génération qui a fait émerger le téléjournal dans les années 1980 et les différentes chaînes de radio part progressivement à la retraite. Au final, grâce à ces départs naturels, nous devrions annoncer une vingtaine de licenciements seulement pour 2026.
Allez-vous ouvrir un guichet social pour permettre d’éventuels départs volontaires?
C’est l’une des revendications du syndicat. Nous lui répondrons par écrit cet été.
Certains ont l’impression que la RTS a attendu d’avoir le couteau sous la gorge pour réfléchir à son efficience. Vous êtes-vous reposé trop longtemps sur votre tas d’or?
La SSR a déjà perdu 160 millions de francs de revenus commerciaux ces dix dernières années. Nous avons par ailleurs réduit nos coûts et nos surfaces: cela fait longtemps que nous travaillons sur notre efficience.
L'humour à la rescousse des médias
Plutôt que de vouloir en faire pour tous les publics, ne devriez-vous pas vous recentrer sur votre mission fondamentale qui est de produire de l’information de qualité, notamment dans les régions
Que dit la concession délivrée par le Conseil fédéral? Elle dit que nous devons faire de l’information, de la culture, du divertissement, du sport et de la formation. Cela nous oblige à couvrir tous les domaines sur tous les vecteurs. Tout cela est très précisément décrit. Ce mandat nous dit aussi que, dans le domaine digital, nous devons toucher le public là où il se trouve, c’est-à-dire sur les plateformes digitales. Il nous fixe en outre une troisième exigence qui est la qualité, bien sûr de contenu, mais aussi de réalisation et de distribution.
Ce mandat de concession est-il toujours d’actualité par rapport à l’offre pléthorique en termes de divertissement sur les réseaux sociaux?
C’est une bonne question. Ce mandat va être renouvelé en 2029 et il y aura des discussions. Selon moi, il est juste que nous proposions au public une offre généraliste en couvrant tous les domaines et que nous le fassions de façon complémentaire aux médias privés. En Suisse romande, le service public a beaucoup investi dans le divertissement, notamment l’humour. Je ne dis pas que les autres ne le font pas mais nous le faisons beaucoup.
Mais est-ce vraiment le rôle du service public que de miser sur les humoristes?
L’humour fait partie de l’ADN de la Suisse romande. C’est une culture très ancienne, par exemple à la radio. Ce que je me demande, c’est: si nous n’investissons plus dans l’humour, qui le fera? Comment pourrait-on attendre des médias privés qu’ils le fassent sans en avoir les moyens nécessaires puisqu’on va baisser la redevance et que ces moyens vont disparaître?
Tataki traîne quelques casseroles
Appréciez-vous Tataki, le média jeune public «sociétal» et «pop culture» de la RTS?
Oui, parce qu’il nous permet d’atteindre le jeune public. A la RTS, nous touchons deux jeunes sur trois chaque semaine à travers nos différentes offres, que ce soit via RTS Info ou les réseaux sociaux.
Est-ce encore du service public quand Tataki défend sur les réseaux sociaux «l’intersectionnalité de la lutte [contre le patriarcat]» et le concept de «white male tears», soit un concept «d’autovictimisation genrée et raciale»?
Vous faites allusion à un commentaire qui a été publié sous un post que nous avons immédiatement corrigé. C’était une erreur. Nous avons rappelé aux responsables les règles déontologiques qui sont les nôtres. Il peut nous arriver de faire des erreurs, mais nous les corrigeons.
Il n’empêche que Tataki est un média socialement engagé, c’est revendiqué.
Ce n’est pas revendiqué, non.
Quand on définit sa ligne éditoriale comme «sociétale» et qu’on y publie ce qu’on y publie, vous reconnaîtrez qu’on lui donne tout de même une couleur.
Je pense que nous faisons état de toutes les diversités de points de vue de la société. C’est une offre pour un public spécifique: les jeunes. Il traite des questions que se pose ce public. Il est vrai que ces questions ne sont peut-être pas celles que je me pose. Mais moi, comme d’autres dans le même cas, je ne suis pas la cible.
Guy Mettan, ancien rédacteur en chef de «La Tribune de Genève» et député de l’Union démocratique du centre (UDC), a publié un billet sur Facebook dans lequel il dit que la vente de la tour RTS «tombe à pic pour boucher le trou» du nouveau centre de production d’Ecublens. Est-ce effectivement le cas?
Il se trompe complètement. Le bâtiment d’Ecublens est intégralement financé par la vente d’anciens bâtiments, comme celui de la Sallaz. C’est totalement infondé. Le bâtiment d’Ecublens ainsi que les ventes à Genève hors tour nous permettent d’économiser plus de 35% de nos surfaces et de nos coûts d’exploitation.
Combien espérez-vous tirer de la vente de la tour du bout du Léman?
Aucune idée. Les discussions n’ont pas encore commencé. Mais ce n’est pas une question de profit. Si nous vendons la tour, c’est parce que nous observons que nous avons besoin de moins en moins de place.
La menace de la redevance
Vous vous serrez déjà la ceinture. Que se passerait-il si la population devait décider de diminuer la redevance à 200 francs?
Soyons clairs. Cette initiative, elle coûte 750 millions de francs. C’est la moitié du budget de la SSR et deux fois celui de la RTS. Comment peut-on imaginer qu’avec de telles sommes à économiser nous pourrions garder une SSR décentralisée dans les régions? Les coûts fixes d’une télévision généraliste – faites comme vous voulez, mais c’est partout en Europe comme cela –, c’est au moins 35%. Dans cette hypothèse, pour investir le maximum de ce qui restera comme budget dans le programme, il faudra réduire drastiquement les infrastructures. Donc on fermera les centres de production dans les régions au bénéfice d’un seul et unique centre de production. Je ne peux pas imaginer qu’il sera à Lausanne à la place de Zurich.
Pour vous, cette initiative revient donc à casser le fédéralisme.
Elle casse ce qui fait la force de la Suisse: ses régions et le fédéralisme. En cas d’acceptation, nous produirons une partie importante du programme pour la Suisse romande en dehors de la Suisse romande. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.
A l’aune des mesures d’aujourd’hui, reconnaissez-vous des erreurs quand vous regardez dans le rétroviseur?
D’abord, nous faisons toujours des erreurs dans le management, dans les choix divers et variés. Mais, globalement, je pense que l’histoire nous donne progressivement raison sur nos grands choix stratégiques. Qui, aujourd’hui, pourrait objectivement contester que ça n’a pas de sens de regrouper une rédaction de news digitales, radio, télé, audio, vidéo sur un seul site en Suisse romande? Qui, demain, contestera l’efficience du bâtiment qu’on a construit à Ecublens, qui permet d’économiser plusieurs millions par année dans les murs plutôt que dans le programme, qui est moderne et adapté au futur des médias?
Il n’empêche que des gens seront laissés sur le bord de la route.
Ce sont des choix difficiles à prendre, que nous avons mûris pendant très longtemps. Il a fallu assumer publiquement. J’en sais personnellement quelque chose. Mais je vois qu’au fur et à mesure que ces projets avancent nous nous rendons compte que nous avions raison de les entreprendre. Et nous faisons tout ce qui est possible pour limiter l’impact social de ces mesures.
Des pressions politiques sur le service public
Auriez-vous un message à l’attention de vos collaboratrices et collaborateurs qui, depuis «No Billag», travaillent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête?
Nous vivons quelque chose de très difficile. Et je le vis avec eux, parce que j’ai passé une partie de ma vie dans cette entreprise. Je suis là depuis 2002. Si je continue d’être actif avec cette énergie, c’est parce que j’y crois tellement. Une solution de facilité, ce serait d’aller travailler ailleurs. Mais ce n’est pas ce que je souhaite.
Que voulez-vous pour l’avenir?
Je veux continuer à me battre avec mes collègues pour défendre cette idée de service public, qui est absolument indispensable dans la société aujourd’hui, plus que jamais. Maintenant, ce que nous vivons, c’est surtout difficile parce que nous sommes l’objet de chantage et de pressions. Cela me choque.
Ces tentatives de clés de bras viennent du monde politique?
Cela peut arriver.
D’un camp en particulier?
Non, c’est large. J’aimerais rappeler que je suis aussi là pour défendre le travail et l’indépendance de mes collègues. Je me bats beaucoup pour cela, en plus de faire le maximum pour sauver les emplois. Nous défendrons toujours un journalisme exigeant, un journalisme d’investigation, un journalisme indépendant. Le public attend cela de nous.
Cet article a été publié initialement dans le n°28 de «L'illustré», paru en kiosque le 10 juillet 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°28 de «L'illustré», paru en kiosque le 10 juillet 2025.