Lynn Bertholet, trans et présidente d'EPICÈNE
«Enfariner Pierre-Antoine Hildbrand, ça n'apporte rien à la cause LGBTQIA+!»

L'enfarinage du municipal lausannois Pierre-Antoine Hildbrand suscite le débat au sein de la communauté LGBTQIA+. Certains le célèbrent comme une action politique radicale, d'autres moins. Lynn Bertholet, présidente de l'association EPICÈNE, nuance. Interview.
Publié: 24.09.2025 à 18:10 heures
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Dernière mise à jour: 25.09.2025 à 13:13 heures
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Présidente de l'association pro-trans EPICÈNE, Lynn Bertholet (ex-Verte) ne voit pas l'enfarinage comme un moyen utile.
Photo: MAGALI GIRARDIN
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Léo MichoudJournaliste Blick

La farine, arme valable pour critiquer un représentant politique? Le Municipal lausannois Pierre-Antoine Hildbrand (PLR) a vu deux cyclistes le recouvrir de poudre blanche ce mardi 23 septembre, en marge d’une inauguration de bancs publics, peint aux couleurs LGBTQIA + (arc-en-ciel) et trans (rose, blanc et bleu clair).

Sur Instagram, le collectif «Actions queer vénère» a qualifié le nouveau mobilier urbain de pinkwashing et a fortement critiqué le politicien, en charge de la sécurité. Repeindre ces bancs serait une manière de se «laver la conscience» par un geste de pure communication. La police lausannoise y est accusée d’avoir «tué Lamin Fatty, Hervé Mandundu, Mike Ben Peter, Roger Nzoy Wilhelm, Michael Kenechukwu Ekemezie, Camila et Marvin et tant d’autres».

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Dans les commentaires, certains applaudissent cette action radicale. D’autres, se disant membres de la communauté LGBTQIA+, n’approuvent pas l'usage du terme «ACAB»: «Je suis gay, vous ne me représentez pas. Je suis heureux de ces bancs à Lausanne», dit l’un d’eux.

Blick a cherché à prendre de la hauteur avec Lynn Bertholet, présidente et fondatrice de l’association genevoise EPICÈNE – qui soutient les personnes transgenres dans leurs démarches d’inclusion, et ce de manière «apolitique». Elle-même femme trans, l’ancienne candidate verte au Conseil national a quitté la politique. La sexagénaire porte un regard nuancé, mais percutant, sur l’enfarinage de l’élu PLR lausannois.

Lynn Bertholet, certaines personnes LGBTQIA+ ne se disent pas représentées par les enfarineurs de Pierre-Antoine Hildbrand. Comme l’analysez-vous?
Nous-même, chez EPICÈNE, on ne se sent pas représentés par les personnes qui l’ont enfariné. Sur la forme, nous ne sommes pas favorables à des actions de type déprédations ou agressions, qui ont tendance à desservir la communauté. Nos membres, qui ont fait des transitions de genre, aspirent surtout à l’acceptation, à avoir un travail, une vie de famille et un toit. Son identité de genre ou son orientation sexuelle ne définit pas sa position politique. Même s’il est vrai que ce sont surtout les partis de gauche, verts et socialistes voire quelques vert’libéraux qui ont fait avancer nos droits.

C’était donc une erreur militante, selon vous?
Le choix de la cible n’était peut-être pas le meilleur. Pierre-Antoine Hildbrand a eu le courage de dire que les discriminations au sein de sa police lausannoise étaient de nature systémique. Quand 10% des agents sont impliqués, en statistique on appelle ça un échantillon représentatif. En un sens, il a contribué à ce que le problème soit mieux identifié. Reste qu’il n’y a que huit policiers suspendus sur la soixantaine de membres des groupes WhatsApp. Et qu’il vient d’un parti qui, du moins à Genève et en Suisse, est très orienté anti-transidentité et intolérance vis-à-vis de l’éducation sexuelle. Quand il prend la parole sur les questions LGBTQIA+, il ne part pas avec un a priori positif.

Enfariner un politicien, est-ce que cela a sa place dans le débat public?
Non, ça apporte quoi? Rien. Et ce, que l’élu soit de droite ou de gauche. Prenez en exemple l’entartrage de Céline Amaudruz en 2022, avec laquelle je ne partage pas grand-chose sur le plan politique. Maintenant, quand on ne fait pas partie des puissants ou qu’on n’a pas accès au débat, on essaye parfois d’autres manières de se faire entendre. Mais pour s’exprimer, il y a toujours l’engagement au sein d’associations.

Et pas de collectifs, comme «Actions queer vénère», qui met en avant l’enfarinage?
C’est la même tendance que sur les réseaux sociaux. Chaque personne se pose en représentant de sa communauté. Aujourd’hui, on ne fonde plus d’associations ou de fédérations, on fait des collectifs. C’est une vraie prolifération qui nuit au but commun. Souvent, il n’y a pas de responsable pour assumer les actions ou les propos tenus. Dans une société démocratique, il faut des structures – ici des fédérations LGBTQIA+ – qui s’expriment au nom des personnes.

La communauté LGBTQIA + et queer est-elle intrinsèquement «anti-keufs», comme se décrit le collectif?
Non, tous les membres de la communauté ne sont pas de cet avis. Par contre, c’est la police qui est intrinsèquement plutôt transphobe et anti-LGBT. Ce qu’on a vu à Lausanne vient clairement d’une culture discriminatoire inscrite dans les corps de police romands. Mais je pense que la majorité est consciente du nécessaire rôle de protection de la police. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas critiquable. Les agents doivent être mieux formés, par des personnes concernées, et tenir leurs fichiers à jour notamment sur les transitions de genre.

Repeindre des bancs publics aux couleurs arc-en-ciel et trans, au fond, ça sert à quelque chose?
Oui, ça sert à banaliser. Les drapeaux permettent de faire entrer dans la conscience collective que beaucoup de personnes sont lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et tous les autres et qu’il est normal de les côtoyer dans la vie de tous les jours. C’est comme ajouter des personnages LGBT dans les fictions ou rebaptiser des noms de rues. Mais certains n’aiment pas, car cela implique de sortir de leur zone de confort.

Donc vous invalidez les accusations de pinkwashing?
Non, je peux comprendre que certaines personnes le lui reprochent. A quelques mois des élections municipales à Lausanne, une inauguration de bancs peut être perçue comme intéressée, surtout de la part du municipal en charge de la sécurité, un thème qui a peu à peu à voir avec les bancs publics, me semble-t-il.

Vous-même, vous plaidez la convergence des luttes écologistes et LGBTQIA+. Ce n’est pas la même situation?
Malheureusement, la politique est plus clivante que rassembleuse, même en Suisse. J’ai quitté les Vert-e-s, non à cause du parti ou de ses idées, mais parce que l’engagement d’EPICÈNE en faveur de l’acceptation des personnes transgenres dans toutes les couches de la société est en dehors de la politique partisane. Cela me tient à cœur d’agir en politique, mais je ne peux pas le faire sans discuter avec les gens de droite, parmi lesquels il y a aussi des personnes LGBT. La question de nos droits doit concerner tous les partis.

Donc sans désobéissance civile, déprédations ou enfarinages?
Certaines actions se retournent contre les militants et leurs idées. Cela alimente la focalisation, à travers le mot «woke», sur tout ce qui n’est pas conforme. Ce n’est pas comme ça qu’on obtient des résultats. Je suis pour la convergence entre les luttes antiracistes, écologistes, féministes et queers, mais pas avec ces méthodes. Le problème, c’est qu’on est en train de reculer sur ces questions.

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