Les habitants du quartier lausannois de la rue de Genève-Sévelin-Sébeillon n'ont pas fini leur combat pour réussir à vivre dans un quartier tranquille. Outre le trafic et la consommation de drogue qu'ils dénoncent depuis des années aux autorités, ils alertent sur la sécurité routière, très relative autour de chez eux.
Dans notre enquête sur la situation dans le quartier, ils déploraient des rodéos urbains pratiqués entre deux rues à l'arrière de l'immeuble de la rue de Genève 85, tristement célèbre théâtre de la vente de stupéfiants qui démoralise le voisinage. Les deux routes en question ont été surnommées «rue de la mort» et «ruelle sans nom» par les habitants. Les deux tournent directement autour de la garderie du quartier, déjà victime de multiples nuisances causées par les personnes toxicodépendantes qui s'approvisionnent dans le quartier.
Habitants sous tension
Le Collectif d'habitants a demandé, depuis au moins quatre ans, de nombreux aménagements pour améliorer la sécurité et éviter les rodéos, courses à moto et autres fous du volant qui font fi de tous les dangers sur ces deux routes. Mais, pour ne pas leur simplifier la tâche, la «rue de la mort» appartient aux CFF. Elle mène en effet à l'ancienne halle du transporteur, située au bout de la voie. Théoriquement, la circulation y est interdite, sauf pour les locataires actuels et les véhicules de service.
Le dernier accident en date remonte à décembre 2024 —une habitante percutée à vélo a été projetée à plus de huit mètres, affirme le Collectif. «Quand je traverse avec mes enfants, je serre leurs mains et j’accélère, de peur qu’un véhicule surgisse», témoigne une voisine.
Frime et insalubrité
Le Collectif s'inquiète de ces rodéos sauvages qui ont lieu surtout en soirée. Par ailleurs, la «rue de la mort» est également le terrain de jeu de clients des prostituées, postées dans la zone légale de prostitution du quartier de Sévelin-Sébeillon. «Des types foncent avec leurs voitures pour impressionner les filles, ce que je ne comprendrai jamais, soupire un habitant. Puis, ils viennent faire leur affaire au bout de la rue.»
La garderie attenante inspecte tous les jours sa terrasse, où atterrissent parfois des préservatifs. Ses abords en sont «jonchés», assure le Collectif. Ce dernier qualifie de «terrain vague» le parking attenant à l'ancienne halle CFF, censé servir aux actuels locataires, comme l'espace Amaretto.
Responsabilité rejetée
Le coordinateur du Collectif, Thomas, a commencé à contacter la compagnie ferroviaire en 2022. Il regrette qu'elle a d'abord, dans un échange conséquent d'emails que Blick a pu consulter, renvoyé la responsabilité des mesures d'aménagement aux «bailleurs» des immeubles de Sébeillon.
Or, le tronçon problématique fait l'objet d'une servitude partagée entre les CFF et la société de gestion propriétaire des bâtiments de Sébeillon, Realstone SA. Par ailleurs, les habitants inquiets de cette insécurité routière ne vivent pas tous dans ces immeubles. La problématique concerne tout le quartier, résume Thomas.
Ce dernier a suggéré de nombreux aménagements possibles. Comme une chicane, une barrière ou, à tout le moins, des dos d'ânes pour éviter les graves problèmes de vitesse excessive.
Exproprier les CFF?
Les CFF ont également été invités à participer à la rencontre qui a eu lieu le 25 juin dernier, entre des représentants du Collectif, des élus municipaux lausannois et le Municipal de la Sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand. La problématique de la ruelle reliant l’avenue de Sévelin à la rue de Genève y a été évoquée comme source de danger et de nuisances récurrentes. Les habitants y ont montré des vidéos illustrant les rodéos urbains et la circulation motorisée non autorisée.
Mais aucun représentant de la compagnie ferroviaire ne s'est rendu à cette réunion. Excédé, le Collectif a fini par entamer une procédure en expropriation à l'encontre des CFF, motivée par des juristes membres du groupe.
Procédure d’expropriation lancée
Dans un courrier envoyé le 3 août, que Blick a pu consulter, les habitants du quartier montrent leur agacement au transporteur. «Aucune mesure concrète n’a été entreprise pour interdire physiquement l’accès aux véhicules ni pour encadrer les usages de cette voie. Ce défaut d’action est d’autant plus préoccupant que des incidents ont été signalés, et que cette ruelle est aussi un point de passage connu pour des attroupements nocturnes et des comportements inciviques», tonne ainsi le Collectif d'habitants.
Il poursuit: «En tant que propriétaire ou coresponsable d’une voie privée rendue accessible au public (...), votre responsabilité civile pourrait être engagée en cas de dommage ou d’accident.» Les riverains précisent avoir entamé un recours fondé sur la Loi fédérale sur l'expropriation. Ils demandent notamment «l’installation de bornes, barrières, marquages dissuasifs ou limitation physique de l’accès motorisé», sous faute de quoi ils engageraient une action formelle de mise en cause publique et juridique.
Ralentisseurs jugés inefficaces
Finalement, début août, les CFF ont installé des dos d'ânes. Mais ils laissent passage libre au milieu, permettant ainsi aux deux-roues de défiler.
«Ça ne change rien pour les motards qui circulent à pleine balle et font des roues arrière», constate Thomas, fatigué. Le Collectif demande aujourd'hui des mesures fortes, comme l’installation d’une barrière automatique avec passage sécurisé pour cyclistes, accessible aux commerçants et aux locataires grâce à un système de clé ou de code.
Les voisins espèrent aussi une signalisation claire et visible aux deux extrémités, des sanctions contre les abus et un accord avec la police pour permettre des interventions rapides sur place —ou le recours à une société privée de sécurité.
Idées pour prévenir le drame
Les riverains avancent une autre piste, jugée constructive: louer provisoirement des places de stationnement à des tiers, afin de contrôler les accès, réduire les nuisances et améliorer la rentabilité du site. Pour eux, l’enjeu est avant tout de prévenir un drame.
«Chaque jour, les enfants de la garderie voisine passent à quelques mètres de véhicules filant vers ce terrain vague, alertent les riverains. Le danger est concret, permanent, s'émeuvent-ils. Attendre un drame pour agir serait une faute.»
Les CFF aussi victimes
Contactée par Blick, la compagnie ferroviaire assure suivre la situation de près. «Les CFF, tout comme leurs locataires, sont conscients et victimes des difficultés rencontrées dans ce quartier», souligne leur porte-parole, Jean-Philippe Schmidt. «Nous sommes en contact étroit avec plusieurs services de la Ville de Lausanne, ainsi qu'avec nos locataires et le propriétaire de cette ruelle destinée à usage privé, qui n'appartient pas aux CFF (ndlr: le propriétaire de la «rue de la mort» est Realstone SA, qui accorde une servitude aux CFF).»
Selon le porte-parole, différentes options de sécurisation ont été étudiées, «en tenant compte des emprises de chantier actuelles du projet du tram, qui bouchent partiellement l’entrée à notre site de Sébeillon, de notre projet en cours d’installation d’une déchèterie et de l’accès nécessaire aux différents services de sécurité».
D'autres mesures envisagées
Jean-Philippe Schmidt poursuit: «En août dernier, nous avons posé quatre ralentisseurs. Des marquages vont encore être effectués et la signalisation lumineuse adaptée.» Les CFF disent aussi avoir renforcé la présence d'agents de sécurité sur notre site.
Et d’ajouter: «Si nous devions constater que ces ralentisseurs ne suffisent pas à sécuriser cette ruelle, les CFF, en accord et avec le soutien de la Ville de Lausanne, envisagent d’autres mesures.»