«Produit de niche» de l'Ecole-club Migros
On a suivi un cours de Bärndütsch pour Romands

Pour mieux comprendre les Suisses alémaniques, de plus en plus de Romands apprennent le dialecte. Dans le canton de Vaud, le suisse-allemand pourrait même bientôt devenir obligatoire à l'école. Blick a voulu tenter le coup et a suivi un cours de bernois.
Publié: 13.02.2024 à 10:08 heures
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Dernière mise à jour: 13.02.2024 à 19:32 heures
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La Fribourgeoise Claudine Roubaty enseigne le suisse allemand.
Photo: Philippe Rossier
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Lea Hartmann et Philippe Rossier

«Mon dieu, c'est difficile!» s'exclame Claudine Roubaty, âgée de 67 ans. Elle soupire. Devant un tableau, Salem Erni tente d'expliquer à ses élèves les nombreuses significations du verbe bernois «möge». La confusion ne se fait pas attendre. 

Il fallait voir la surprise des élèves quand ils apprennent que le même mot peut, selon le contexte, être quelque chose de positif («I ma di guet») ou de négatif («Die Wort hei ne möge»). 

Le suisse allemand de plus en plus demandé

Nous sommes mardi soir, et nous nous trouvons dans une salle de cours un peu vieillotte de l'Ecole-club Migros au centre-ville de Fribourg. Parmi les élèves: un juge à la retraite, une biochimiste, un consultant et une poignée d'autres femmes et hommes. Ils se retrouvent tous ici une fois par semaine pour réviser le bernois. 

La plupart sont des retraités et, à une exception près, de langue maternelle française. Depuis environ un an et demi, ils poursuivent l'objectif d'apprendre le dialecte en plus de leurs bonnes connaissances d'allemand.

L'Ecole-club propose aussi des cours de suisse allemand comme celui-ci dans des villes de Suisse romande plus éloignées de la Röstigraben. Ils sont un «produit de niche dans l'offre variée de l'Ecole-club», selon la porte-parole Ariane Lang. Mais la demande augmente. 

Bettina Bucher Martin, directrice de l'école de langues Allemand-plus à Lausanne, le constate également. Ces dernières années, l'offre de cours de dialecte a considérablement augmenté selon elle. Le zurichois, notamment, est un dialecte très demandé. Les élèves sont par exemple des personnes qui étudient en Suisse alémanique ou qui s'y installent pour un emploi de cadre et qui souhaitent s'intégrer plus rapidement.

Le dialecte sera-t-il obligatoire?

Dans le canton de Vaud, le suisse-allemand pourrait bientôt devenir une matière obligatoire pour les élèves. En novembre dernier, le Grand Conseil a en effet chargé le Conseil d'État d'étudier la possibilité de rendre l'enseignement du dialecte obligatoire dans les écoles.

«Il ne s'agit pas d'enseigner le suisse-allemand au détriment de l'allemand», a précisé David Raedler (Les Vert-e-s), à l'origine de l'intervention. Ce dernier demande plutôt qu'à l'avenir, un peu de suisse allemand soit intégré dans les cours d'allemand. «Il est indispensable que les Romands puissent comprendre au moins le suisse-allemand pour pouvoir s'intégrer non seulement dans le monde du travail, mais aussi dans la vie culturelle et sociale», estime-t-il.

Pour l'instant, il n'existe que des offres facultatives pour les élèves romands, que cela soit dans des cantons francophones ou bilingues. À Neuchâtel, les écoles proposent depuis quelques années, également sous l'impulsion d'un député vert, des cours de sensibilisation au suisse-allemand à la fin de la scolarité obligatoire. À Genève, de tels cours existent depuis 2012. En outre, les écoles proposent des programmes d'échange pour entrer en contact avec les concitoyens parlant l'allemand ou le suisse-allemand.

Un «chrampf» qui fait plaisir

Les élèves de Fribourg auraient beaucoup à gagner d'un enseignement obligatoire du suisse-allemand. «Pour la cohésion du pays, ce serait certainement à saluer», estime Claudine Roubaty. Bien que les Suisses allemands s'efforcent généralement de parler le Hochdeutsch avec les Romands, Annelyse Bays a constaté de sa propre expérience qu'«au plus tard après cinq minutes, ils passent au suisse allemand».

Les participants du cours ont des motivations très différentes pour apprendre le suisse allemand. Yoann Mercier, par exemple, travaille pour une entreprise dont le siège se trouve en Suisse orientale. Annelyse, elle, veut «rester en forme dans sa tête». Joachim Schmidt, âgé de 68 ans, est né en Allemagne et semble vouloir renouer avec ses origines. Claudine Roubaty, enfin, trouve que le suisse allemand est simplement une langue très divertissante.

Pendant les cours, on ne fait pas que soupirer: on rit, surtout, et beaucoup. L'enseignante et les participants semblent avoir beaucoup de plaisir malgré la difficulté de la tâche. Ce soir-là, les participants s'efforcent d'apprendre la combinaison de mots «unuffälligi Brülle» (ou «unuffäuigi Briue» en bernois). Au début, les tentatives de prononciation impuissantes des élèves ressemblent plus à des acrobaties buccales qu'à de l'expression orale.

La prononciation et la différenciation de «ds Buech», «dr Buuch» ou «d Bueche» donnent également du fil à retordre à certains participants. «Le beurre, c'est ça?», demande l'élève Yoann Mercier (33 ans), perplexe. Non, ça c'est «Anke», lui explique l'enseignante en riant. Mais cela sera pour le prochain cours.

Un défi aussi pour l'enseignante

Salem Erni a autrefois enseigné l'allemand et l'anglais. Elle a appris seule à enseigner le dialecte. Elle s'appuie sur un manuel qu'elle maintient ouvert durant son cours.

Ses élèves apprennent aussi à lire des textes rédigés en suisse allemand. Une tâche très difficile, car il n'existe pas de règles d'orthographe contraignantes en suisse allemand. «C'est l'écrit qui donne le plus de fil à retordre aux élèves» explique Salem Erni. L'enseignement du suisse allemand peut parfois être autant un défi pour les élèves que pour l'enseignante. Salem Erni se retrouve parfois en butée quand elle cherche des explications: des fois, il n'y en a juste aucune. On dit simplement comme ça.

Les 90 minutes du cours fribourgeois touchent à leur fin. Pour rester dans le thème – les différentes significations du verbe «möge» – Salem Erni demande en guise de conclusion à son groupe: «Mögeter no?» (en français: vous en voulez encore?) La réponse se lit aisément sur les visages de ses élèves. Il y a néanmoins une consolation dans laquelle puiser du courage, estime Joachim Schmidt en souriant après la leçon: les Zurichois, eux aussi, ont du mal à prononcer le mot «Briue».

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