Les CFF investissent deux milliards de francs dans 116 nouvelles rames à deux étages destinées aux régions de Zurich et de la Suisse romande – la commande la plus coûteuse de leur histoire. La controverse n'émane pas du prix, mais du choix du fournisseur: le marché n’a pas été conclu avec l'entreprise suisse Stadler Rail, mais avec Siemens, société allemande.
Le patron de Stadler, Peter Spuhler, n'est pas le seul à avoir pesté contre la décision des CFF: celle-ci fait également des vagues dans la sphère politique. Plusieurs parlementaires attaquent l'entreprise ferroviaire et réclament un examen approfondi, s’interrogeant sur la place accordée à l'identité suisse lors de ces acquisitions.
Le Conseil fédéral doit se justifier
«Faut-il être stupide pour ne pas passer commande à une entreprise suisse exemplaire comme Stadler à cause d'une différence de prix minime?», a demandé Gerhard Pfister (Le Centre) sur X.
Il n’est pas seul à dénoncer la décision. Le conseiller national de l'Union démocratique du centre (UDC) Thomas Burgherr a aussi interpellé le Conseil fédéral pour savoir si l’appel d’offres à Siemens a tenu compte des intérêts de l’industrie suisse et de la situation de l’emploi.
L'élu prétend ne pas simplement vouloir servir les intérêts de son collègue de parti – Peter Spuhler a été conseiller national UDC de 1999 à 2012 –, il dit se faire beaucoup de soucis pour la place industrielle suisse.
Une affaire bientôt examinée au Parlement?
De son côté, le conseiller national Vert’libéral Matthias Jauslin souhaite examiner l’annulation du marché attribué à Stadler Rail au sein de la commission de gestion du Conseil national. Sur X, il précise qu’il ne reproche pas aux CFF d’avoir enfreint la loi sur les marchés publics, mais s’interroge sur l’étendue de leur marge de manœuvre.
Pour Pia Stebler, ce n’est pas une question mais un constat. Directrice de Fair Play Public, une organisation défendant les intérêts de l’économie suisse dans les marchés publics, elle déplore que «la Suisse refuse encore de tirer pleinement parti de sa marge de manœuvre juridique».
A ses yeux, il est tout à fait possible, malgré l’accord international, de rédiger des appels d’offres favorisant les entreprises suisses. «Et Stadler Rail est assurément l’une d’entre elles », affirme l’économiste.
La Confédération s'oppose à la prise en compte du pouvoir d'achat
La question de la protection du patrimoine lors des achats publics fait débat depuis longtemps sous la Coupole. Lors de la révision de la loi sur les marchés publics en 2019, le Parlement a non seulement renforcé les critères de durabilité, mais a également permis de tenir compte des différences de prix entre pays.
L'UDC voulait même faire du niveau des prix un critère obligatoire. Mais le parti de droite conservatrice s'était heurté à l'opposition de son propre conseiller fédéral: «la prise en compte du pouvoir d'achat contrevient à l'accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale du commerce», avait rappelé le ministre des finances de l'époque, Ueli Maurer.
Aujourd'hui, le ministère des transports d'Albert Rösti laisse entendre un son de cloche similaire: le Conseil fédéral s'engage de manière générale pour que les prescriptions légales soient respectées lors des achats et que des conditions de concurrence équitables soient préservées, a fait savoir son département en réponse à une question de Blick. «Une préférence générale pour les fournisseurs suisses n'est pas prévue par le droit des marchés publics en vigueur, notamment en raison d'obligations internationales».
«L'argent devrait rester en Suisse»
Pour Pia Stebler, les votes du gouvernement fédéral sont incompréhensibles. Il ne s'agit pas pour elle de protéger le pays à tout prix. «S'il existe des fabricants compétents en Suisse, alors l'argent devrait rester ici», dit-elle.
Son association s'insurge depuis longtemps contre le fait que la Confédération ne tienne pas compte du critère du niveau des prix lors de ses appels d'offres. «Si les CFF avaient tenu compte des différents niveaux de prix en Suisse et en Allemagne, il est fort probable que le marché aurait été attribué à Stadler Rail.»
Fair Play Public prévoit d'écrire aux parlementaires dans les jours à venir. «Les Chambres fédérales doivent prendre la Confédération à témoin en ce qui concerne l'application du critère du niveau des prix», affirme l'économiste.