En plaine, on l’appelle le «roi de la montagne»: Reto Gurtner, maître des pistes et des profits. Il est désormais en passe de conclure l’affaire de sa vie. Le Grison veut vendre une partie importante de son groupe Weisse Arena aux communes de Flims, Laax et Falera. Les présidents de commune soutiennent ce projet de plusieurs millions de francs, qui consiste à séparer les infrastructures des pistes de ski autour du Crap Sogn Gion. Les remontées mécaniques devraient ainsi être transférées à une société de gestion. L’annonce a été faite par communiqué de presse.
Christoph Schmidt, président de la commune de Flims, refuse pour l’instant d’entrer dans les détails. Il explique que les citoyens seront informés en priorité, mais il affirme soutenir pleinement le projet. Ce dernier est encore vague: une société baptisée Finanz Infra AG, détenue majoritairement par les communes, doit reprendre tous les actifs comme les téléskis, remontées mécaniques et restaurants de montagne. Ces infrastructures sont aujourd’hui regroupées dans la société Weisse Arena Bergbahnen AG.
Le groupe Weisse Arena, qui détient un quart de Finanz Infra AG, cèdera ses parts aux communes. En contrepartie, la Weisse Arena Bergbahnen AG continuera d’exploiter le domaine skiable, mais devra désormais payer un loyer couvrant uniquement les frais de financement des remontées mécaniques. Les communes, elles, ne percevront aucune compensation pour les risques assumés.
Une bonne affaire pour Reto Gurtner et ses coactionnaires?
Si les électeurs des trois communes approuvent l’opération, ce sera une aubaine pour Reto Gurtner et ses coactionnaires. Ils pourront transférer aux contribuables les investissements lourds – comme les canons à neige ou les nouvelles installations – tout en se concentrant sur les activités de service, moins capitalistiques et plus rentables. Cinq filiales resteront la propriété du groupe Weisse Arena, notamment des hôtels, des écoles de ski et de snowboard, ainsi qu’une société de marketing.
Pourquoi vendre maintenant, alors que la société se porte très bien? Grâce au flair de Reto Gurtner, la destination est devenue une véritable mine d’or. Le domaine skiable est considéré comme l’un des meilleurs de Suisse pour le carving et pour la taille de ses pistes. Pourtant, des rumeurs circulaient déjà il y a un an: des investisseurs étrangers, dont l’Américain Vail Resorts – déjà présent à Andermatt ou Crans-Montana – auraient voulu racheter le groupe. «Nous avons une bonne offre sur la table», avait alors déclaré Reto Gurtner. Mais rien ne s’est concrétisé. Ces rumeurs avaient en tout cas alarmé les communes. Franz Gschwend, président de Laax, confie à Blick: «Nous voulions anticiper une vente du domaine skiable à des investisseurs étrangers».
Des investisseurs puissants en arrière-plan
Un rachat ne sera toutefois pas si simple. Le groupe est étroitement contrôlé par Reto Gurtner et quelques gros actionnaires. Parmi eux, Otto Bruderer, ancien associé de la banque privée Wegelin – revendue à Raiffeisen pour 500 millions de francs – est considéré comme le cerveau de l’établissement, alors que Konrad Hummler en était le visage public. Autre poids lourd: l’entrepreneur allemand Joachim Kohm, dont la fortune est estimée entre 1 et 1,5 milliard de francs par Bilanz. Ces investisseurs ont largement les moyens de financer le domaine skiable «jusqu’à la fin des temps». S’ils vendent, c’est qu’ils le veulent.
Mais ce sont désormais les communes qui devront mettre la main au portefeuille. Et les conflits d’intérêts sautent aux yeux: Franz Gschwend, président de Laax, siège non seulement à Finanz Infra AG, mais aussi au conseil d’administration de Weisse Arena Bergbahnen AG et il est lui-même actionnaire du groupe. «Mais un tout petit actionnaire», précise-t-il. De son côté, Christoph Schmidt, président de Flims, travaillait encore récemment pour le groupe Weisse Arena, au sein duquel il dirigeait l’hôtellerie et la restauration. La question se pose donc: cette affaire de plusieurs millions peut-elle être traitée avec la distance nécessaire?
Les habitants devront trancher
Il serait très avantageux pour Reto Gurtner et ses partenaires de confier l’infrastructure coûteuse aux communes. Le bilan du groupe serait allégé, augmentant le rendement des fonds propres et tirant vers le haut le cours de l’action. Mais pour les habitants de Flims, Laax et Falera, tout dépendra du prix payé pour les remontées mécaniques et du montant du loyer perçu à l’avenir.
Un gastronome étranger surnomme les montagnards vivant entre Flimserstein, Vorab et Crap Sogn Gion le «peuple rusé des montagnes». Lors des prochaines assemblées communales, les citoyens auront l’occasion de prouver qu’ils méritent cette réputation.