Les CFF lancent un projet d’une ampleur exceptionnelle: remplacer l’intégralité des rails du tunnel de base du Saint-Gothard (GBT), le plus long tunnel ferroviaire du monde. Pas seulement par tronçons, mais totalement. L’ouvrage compte deux tunnels et quatre voies, chacune longue de 57 kilomètres, soit 228 kilomètres de rails à démonter et reposer. En tout, 13'680 tonnes d’acier seront nécessaires, soit l’équivalent d’une fois et demie la tour Eiffel.
Le chantier n’en est qu’à sa phase préliminaire. Cette semaine, les CFF ont lancé un appel d’offres sur la plateforme Simap pour une étude de marché. Objectif: trouver des concepts de mise en œuvre auprès d’entreprises capables de relever un tel défi. «En raison de la particularité du projet», explique un porte-parole des CFF, il s’agit d’impliquer un maximum de fournisseurs afin «d’identifier et développer la meilleure solution opérationnelle». Depuis sa mise en service en 2016, les rails du tunnel n’ont encore jamais été remplacés.
Les travaux devraient intervenir entre 2032 et 2034, sans date définitive pour l’instant. Les CFF veulent anticiper, car ils ne disposent pas eux-mêmes des machines nécessaires à un travail d’une telle envergure. Ces engins spécialisés sont rares et fortement sollicités en Europe, d’où la nécessité d’une planification très en amont.
Une usure plus rapide que prévu
En principe, des rails ont une durée de vie de vingt ans. Mais dans le GBT, ils devront être changés après seulement seize ans d’exploitation. Les CFF invoquent l’intensité du trafic: de lourds trains de marchandises traversent le tunnel chaque jour, tandis que les convois de voyageurs roulent à 200 km/h, un record en Suisse. Deux facteurs qui accélèrent l’usure.
Au départ, les responsables tablaient sur une durée de vie plus longue et n’avaient prévu le remplacement qu’au bout de vingt ans. Mais le trafic s’est révélé plus dense que prévu, notamment avec l’introduction de la «cadence semi-horaire intégrale» lors du dernier changement d’horaire. «C’est pourquoi nous partons aujourd’hui du principe que les rails doivent être remplacés un peu plus tôt», admettent les CFF.
Reste la question cruciale de l’exploitation. L’entreprise ne précise pas encore comment le chantier impactera le trafic. Le tunnel de base du Saint-Gothard constitue une artère vitale pour l’Europe: jusqu’à 260 trains de marchandises et 65 trains de voyageurs l’empruntent chaque jour. Il rend l’axe nord-sud plus rapide, ponctuel et fiable pour plus de 20 millions de personnes entre le sud de l’Allemagne et le nord de l’Italie.
Des coûts en centaines de millions
L’accident de l’été 2023 a montré la fragilité de cette infrastructure: un train qui avait déraillé avait détruit sept kilomètres de voie, entraînant plusieurs mois de perturbations et un retour temporaire à l’ancienne ligne de montagne. Mais le futur remplacement n’a «aucun lien» avec cet incident, insistent les CFF.
Le coût exact n’est pas communiqué. Peter Füglistaler, directeur de l’Office fédéral des transports jusqu’en 2024, estime qu’il se chiffrera en «deux à trois centaines de millions». Plus que la pose elle-même, c’est l’acier qui pèsera sur la facture. Le remplacement de rails est en soi une routine pour les CFF – «un daily business» –, mais la logistique du GBT en complique considérablement l’exécution. «Le tunnel n’a que deux grandes ouvertures, les voies sont étroites, l’espace limité, les distances immenses», souligne Peter Füglistaler. Les CFF prévoient deux ans de travaux.
Et ce ne sera pas la dernière fois. Plus le trafic s’intensifie, plus les rails s’usent rapidement. Chaque remplacement impliquera donc à nouveau des années de préparation, des coûts élevés et un chantier de deux ans dans ce que l’on appelle déjà l’ouvrage du siècle des Alpes.