Ils sont intervenus au Parlement à maintes reprises à coups de motions, interpellations et postulats. Ils ont organisé une manifestation nationale en solidarité avec Gaza à Berne le 21 juin. Leur appel pour dénoncer l’inaction de la Suisse à Gaza et augmenter la pression sur le conseiller fédéral Ignazio Cassis a récolté 130’000 signatures, toujours au mois de juin. En vain. «On a tout essayé, mais rien ne bouge», déplore la conseillère nationale Valérie Piller Carrard au téléphone alors que l’ONU a déclaré officiellement l’état de famine dans l’étroite bande de terre à feu et à sang, le 22 août dernier.
Alors les socialistes ont décidé de passer à la vitesse supérieure pour faire sortir les autorités suisses de leur torpeur. D'abord, avec les Vert-e-s, en tenant d'imposer une session extraordinaire au Parlement sur la crise humanitaire à Gaza. Puis, en dégainant l'arsenal administratif: le Parti socialiste (PS) vient de déposer plainte auprès du Conseil fédéral contre le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS).
La formation de gauche reproche aux deux départements de violer leurs obligations en vertu du droit international dans le conflit à Gaza. «On est monté d’un cran avec cette procédure administrative. C’est une manière de dire: 'Stop, ça suffit. Il est temps d'agir'», affirme l’élue fribourgeoise. Cette plainte se décline en trois points.
Interdiction immédiate des importations d’armes israéliennes
Le premier volet vise directement le DDPS. «Compte tenu du risque imminent de génocide constaté par la Cour internationale de Justice, la Suisse doit remplir son obligation de prévention et ne plus soutenir indirectement le potentiel militaire d'Israël», peut-on lire dans le document que Blick a pu consulter.
Rétablissement des contributions à l’UNRWA
Le PS demande également de rétablir le financement intégral de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), dirigée par le Suisse Philippe Lazzarini. «La Suisse contribue aujourd’hui à hauteur de 10 millions. Nous demandons de revenir au niveau d’avant 2023, c’est-à-dire 20 millions. Au vu de l’aggravation de la crise humanitaire et de la famine qui a été officiellement déclarée par l’ONU, ce n’est pas le moment de couper dans ce soutien», insiste Valérie Piller Carrard.
Des mesures diplomatiques pour mettre fin à l’occupation
Enfin, les socialistes exigent des initiatives diplomatiques visibles. «Une première mesure serait la reconnaissance bilatérale de l’État de Palestine. Beaucoup de pays autour de nous l’ont déjà fait ou s’y préparent, la Belgique vient de l’annoncer. La Suisse n’en fait pas partie et pourtant elle a une responsabilité en vertu du droit international», souligne la députée. La plainte réclame aussi la convocation d’une conférence des Hautes Parties contractantes aux Conventions de Genève ainsi que la mise en œuvre effective de l’obligation de ne pas reconnaître l’occupation contraire au droit international public.
Ignazio Cassis sous pression
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement de critiques croissantes visant le chef du DFAE, Ignazio Cassis. Elles viennent de l’intérieur même de son département, comme en témoigne une lettre signée par 250 fonctionnaires. Elles s’expriment aussi dans les cercles diplomatiques: début juin, 56 anciens diplomates suisses avaient interpellé Cassis dans une lettre ouverte pour dénoncer «le silence et la passivité» de la Suisse face aux «crimes de guerre» commis par Israël. Fin août, ils étaient 72 anciens ambassadeurs à réitérer leurs critiques sur le positionnement helvétique, tant à Gaza qu’en Cisjordanie.
Des critiques qu’on retrouve dans la rue, comme à Fribourg où des manifestants exigeaient la fin de la collaboration avec Israël le 30 août, ou en mer, où des Suisses voguent vers Gaza pour briser le blocus israélien.
La socialiste y croit dur comme fer. La plainte déposée auprès du Conseil fédéral peut aboutir. «Avec cette procédure, nous lui demandons en tant qu’autorité de surveillance de prendre ses responsabilités et d’agir pour empêcher ce génocide présumé. Quand un département reste inactif face à une situation aussi dramatique, il y a une responsabilité collective du gouvernement. Les cartes sont dans ses mains: soit il poursuit dans la même direction, soit il rectifie et assume son rôle de dépositaire des Conventions de Genève. Ne rien faire, c’est se rendre complice.»