«C’est une légende!»
La star de l'Eurovision Jean-Marc Richard sort avec panache

Jean-Marc Richard a fièrement refermé la partition de son 34ème Concours Eurovision de la chanson après une journée marathon qui a vu Zoë Më terminer au dixième rang. Une édition bâloise qui restera gravée dans sa mémoire.
Publié: 29.05.2025 à 10:21 heures
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Dernière mise à jour: 29.05.2025 à 15:43 heures
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Jean-Marc Richard a fièrement refermé la partition de son 34ème Concours Eurovision de la chanson.
Isabelle Rovero
Isabelle RoveroJournaliste L'illustré RP

On s’attendait à quelques trémolos dans la voix, voire un regard embué, au moment de prendre sa retraite après 34 éditions de l’Eurovision de la chanson. Un record. Il s’était dit qu’il raccrocherait une fois le concours organisé chez lui, dans son pays, et Nemo lui a offert cette occasion. Pourtant le timbre de Jean-Marc Richard n’a pas faibli quand l’instant est venu, ici à Bâle. 

«J’étais très tendu durant les dernières minutes de l’émission, ce qui laisse peu de place à l’émotion, car j’avais vraiment peur qu’Israël gagne. Musicalement, les qualités de cette chanson étaient bien moindres – preuve en est sa 15e place après le vote du jury de professionnels – que celles de l’Autriche, qui l’a finalement emporté», explique le commentateur de la RTS à peine sorti de sa minuscule cabine borgne décorée aux couleurs de la Suisse et d’où il suit le spectacle sur un petit écran d’ordinateur. 

La gorge un peu plus nouée, il l’a eue plus tôt la semaine dernière, au moment de lancer mardi la première demi-finale de cette édition. «Cela marquait vraiment le début de cette semaine particulière pour moi.» Un voile humide s’est aussi déposé sur ses yeux quand deux jours plus tard, lors de la seconde demi-finale, la présentatrice Sandra Studer est venue le surprendre pour un petit hommage en direct. «Cela m’a ému qu’elle le fasse car nous avons beaucoup travaillé ensemble et, pour la première fois, je faisais partie de cette émission que je commente depuis si longtemps.»

Une course contre la montre

Pas le temps non plus pour lui de se laisser aller à l’émotion en début de soirée lors du lancement de l’ultime générique de l’Eurovision. Coincé au centre-ville après une série d’interviews pour le 19h30 sur la RTS, mais aussi les journaux de TF1 et de TV5 Monde – les ponts de la ville ayant été fermés en raison d’une grosse manifestation pro-palestinienne –, il a bien cru qu’il n’arriverait jamais à temps pour assurer son commentaire en direct. 

Accompagné de Michael von der Heide, il a sauté dans un taxi, intimant de foncer jusqu’à la halle Saint-Jacques. Et le chanteur suisse, participant malheureux au concours en 2010 à Oslo, de lancer au chauffeur: «Moi, je me fiche d’être en retard, mais le concours sans Jean-Marc ne peut pas commencer!» 

«
Moi, je me fiche d’ être en retard, mais le concours sans Jean-Marc ne peut pas commencer!
Michael von der Heide, chanteur suisse, héros d’un monument en péril coincé dans un taxi
»

C’est donc une tornade qui est arrivée en trombe à la dernière minute, proclamant d’une voix de stentor désespéré: «J’ai faim!» Le temps d’avaler la banane tendue par la journaliste charitable que je suis et de faire quelques essais de micro, la fièvre du direct pouvait commencer. «Prêts pour le plus grand commentaire de tous les temps! On va être bons, les enfants!» les a-t-il encouragés avant d’ouvrir leurs micros.

Non, l’émotion est surtout du côté de tous ceux qui ont si longtemps côtoyé l’animateur et qu’il a croisés au cours de ces longues journées bâloises où le suivre n’est pas de tout repos. De 6 heures à 2 heures le lendemain, tout n’est que course contre la montre entre les interviews pour les médias, les dizaines de messages d’amitié reçus et la préparation de ses directs avec Nicolas Tanner, qu’il côtoie depuis dix-huit ans maintenant. 

Ce spécialiste du concours cosigne avec Jean-Marc Richard et Mary Clapasson l’édition augmentée de leur ouvrage Eurovision Song Contest – De 1956 à nos jours qui sortira le lundi 26 mai et qu’ils ont encore complétée dimanche après une très courte nuit. Il fait partie des plus affectés. 

«Je ne réalise pas tout à fait parce que j’ai encore le nez dans le guidon. Moi, je le connais depuis trente ans en tant que fan, avant qu’il ne me donne ma chance au micro en 2007, l’année où DJ Bobo a été candidat. Il m’a tout appris, il m’a guidé pas à pas au fil des ans pour que je sois plus à l’aise au micro, alors que dans la vie je travaille dans une compagnie aérienne. Ensemble, on a vécu les plus grandes joies, comme la victoire de Nemo ou la belle émotion de Zoë Më. Mais aussi la difficulté et la tristesse d’accompagner des artistes déçus», se souvient Nicolas Tanner. 

La candidate suisse Zoë Më a fini à la 10ème place, à la plus grande surprise de Jean-Marc Richard.

«Pour moi, Jean-Marc, c’est la passion de défendre corps et âme ce concours, même quand tout le monde le descendait en flammes. Sa capacité de travail et sa mémoire sont sans aucun doute ses plus grandes qualités. Il va terriblement me manquer, mais je sais qu’il ne sera jamais loin. D’autant plus que nous sommes devenus des amis dans la vie.»

Autant dire que ces deux-là se sont adoptés. Une belle complicité à laquelle l’animatrice d’Option Musique Victoria Turrian a joint cette année sa voix et sa jovialité pour les commentaires et dans l’art de décorer leur cabine exiguë de fleurs et de drapeaux suisses. «Je connais Jean-Marc depuis les débuts des Coups de cœur en 1998, se souvient-elle. C’est un homme fondamentalement gentil. On partage le même amour des gens, l’envie de les aider, ainsi que la passion pour le rythme et la tchatche en radio.» 

Voilà qui forge une camaraderie qui peut se révéler bruyante. C’est ainsi que leurs collègues de la RSI et des télévisions italiennes et danoises ont pu les entendre chanter à tue-tête – et surtout très faux – les chansons de leurs candidats favoris. Victoria Turrian aurait-elle pris une option pour succéder à Jean-Marc Richard? Seul l’avenir le dira.

Se sentir Lady Gaga le temps d’une soirée

Plus tôt dans la journée, une rencontre de cinq toutes petites minutes a été possible entre Jean-Marc et une Zoë Më affable et chaleureuse afin de réaliser la couverture de ce numéro de L’illustré. Dans ce court laps de temps, la représentante de la Suisse parle avec admiration du commentateur. 

«Pour moi, c’est une légende depuis longtemps, souligne-t-elle. Lorsque l’on m’a dit qu’il m’accompagnerait pour la promotion de Voyage en Suisse romande, la première chose que je me suis dite, c’est: «Quoi, il me connaît?» J’ai découvert un homme de cœur qui n’a fait que m’encourager avec des mots gentils.»

Sur place pour préparer ses prestations, Gjon’s Tears, candidat en 2020 (édition qui n’a pas eu lieu) et 2021, a débarqué en salle de presse pour surprendre en coup de vent Jean-Marc Richard envers qui il se fait volontiers tendre et admiratif. 

«Je l’ai rencontré lors d’un Kiosque à musiques, j’avais 12 ans. Depuis, c’est ma Fée Clochette! Il m’a apporté énormément de joie de vivre, l’amour du monde de la musique populaire, mais aussi la force de me battre et de comprendre le fonctionnement des médias. Il est si attaché aux autres qu’il fait vraiment attention à eux et son soutien envers moi a été indéfectible, jusqu’à me demander de commenter avec lui l’Eurovision 2022. Quel honneur de la part de quelqu’un de si inspirant!»

«
Jean-Marc est notre maître à tous, il incarne la bienveillance et le professionnalisme
Stéphane Bern, un simple confrère français
»

Passant dans le hall de l’hôtel où résident les délégations, Stéphane Bern, le commentateur pour la France en compagnie de Laurence Boccolini, est venu taquiner son confrère et prendre la température du concours. «Vous voyez, lui, c’est l’expert, il bosse encore. Contrairement à moi, remarque-t-il, amusé. Je ne sais pas comment il fait pour mener de front tout ce qu’il fait à côté. C’est notre maître à tous car il incarne à la fois la bienveillance et le professionnalisme. Et puis, il est aussi positif et neutre, comme la Suisse.»

«A cause de la clameur, nous n’entendions plus rien»

Pour elle, qui a plongé pour la première fois au cœur de l’événement, Mélanie Freymond voit Jean-Marc Richard comme un monument du commentaire et un grand passionné. En duo avec Sven Epiney de la SRF, l’animatrice a présenté la soirée se déroulant au stade Saint-Jacques, le plus grand de Suisse, où la finale était diffusée sur des écrans géants: «Se retrouver face à un public de 36'000 personnes, c’est encore mieux que je ne l’imaginais. Je n’ai pas les mots pour décrire cette sensation extraordinaire, c’est comme se sentir Lady Gaga le temps d’une soirée.» 

«Dans le fond, il n’y avait pas besoin de faire grand-chose face à un public déjà acquis à la 'cause', à fond dans le soutien et le partage, dans un esprit de fête. Les gens étaient adorables quand nous passions dans les travées, ils nous envoyaient des bisous, nous disaient des mots gentils. A cause de la clameur, nous n’entendions absolument rien dans les oreillettes, nous étions donc en total 'freestyle'.»

Dans le stade, le public hurlait d’enthousiasme à chaque fois que la Suisse était bien notée par un jury. «Mais quand Zoë Më n’a obtenu aucun point du télévote, nous avons vu leur mine dépitée. Le moment le plus fort? Quand les 36'000 personnes ont chanté en chœur Waterloo d’ABBA, c’était indescriptible. Nous étions là en train de vivre un moment exceptionnel.»

«
Je continuerai à faire partie de la délégation suisse à l’Eurovision
Jean-Marc Richard, commentateur pas tout à fait à la retraite
»

Au même moment, à 5 km de la halle et du stade Saint-Jacques, des milliers de spectateurs affluaient de leur côté à l’Eurovision Village, dont l’entrée était gratuite, formant une impressionnante file de plus de 1 km avant de pouvoir passer sous les portiques de contrôle. 

Dans la première halle, immense, des stands de boissons, de nourriture, des tables et leurs bancs rappelaient une grande kermesse. Plus on s’avançait en direction de la seconde halle, plus la clameur enflait, les fans s’étaient agglutinés sous les écrans géants et applaudissaient leurs idoles dans une ambiance bon enfant. 

«Tous les soirs c’est comme ça, mais nous n’avons eu aucun incident à déplorer», résumait l’un des gardes de sécurité de piquet jusqu’à 7 heures du matin. Comme beaucoup, il faisait partie des 700 bénévoles qui œuvraient au bon déroulement du concours, mais les organisateurs auraient pu en recruter cinq fois plus, vu l’afflux de la demande. Il faut dire que Bâle, sur le modèle de ce qu’avait fait Liverpool en 2023, a organisé une véritable fête populaire pendant toute une semaine.

Unis par la musique

Dans les files d’attente, les drapeaux étaient nombreux, les paillettes et les déguisements se faisaient plutôt discrets, noyés parmi les spectateurs comme la politicienne Uzma Khamis Vannini. L’ancienne présidente du Conseil municipal et bientôt députée des Verts au Grand Conseil avait soutenu la candidature de Genève pour l’organisation du concours. 

«Pourquoi? Mais parce que l’Eurovision défend des valeurs qui sont les nôtres, à commencer par la multiculturalité et l’abolition des frontières par l’art.» C’était aussi l’avis de Leslie, venue de Coventry au centre de l’Angleterre, qui n’a pas manqué une seule édition depuis seize ans. «Même quand je viens seule, comme cette année, je rencontre toujours sur place des fans de tous les pays avec qui je peux échanger.»

Au milieu d’une nuit bâloise joyeuse qui s’apaise, Jean-Marc Richard a donc dit un adieu serein à l’Eurovision de la chanson, d’autant plus qu’il reste membre de la délégation suisse. Mais il n’en sera pas désœuvré pour autant puisqu’il a retrouvé La ligne de cœur à la radio au lendemain de cette semaine folle et qu’on le retrouvera aux commandes de l’émission du 1er Août. Le goût de la retraite, ce n’est pas pour tout de suite.

Un article de L'illustré n°21

Cet article a été publié initialement dans le n°21 de L'illustré, paru en kiosque le 22 mai 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°21 de L'illustré, paru en kiosque le 22 mai 2025.

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