L'histoire d'un concours emblématique
Le saviez-vous? L’Eurovision est né en Suisse

Saviez-vous que le Concours Eurovision de la chanson (ou ESC en anglais) est en fait une invention romande? Soixante ans après ses humbles débuts, le concours s’est mué en une grand-messe qui transcende chaque année 180 millions d’adeptes.
Publié: 16.05.2025 à 10:00 heures
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Dernière mise à jour: 08:18 heures
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En pleine période Flower Power, l'Anglaise Sandie Shaw remporte la victoire et crée la polémique... en chantant pieds nus.
Photo: imago/United Archives Internatio
Ruth Brüderlin
L'Illustré

Le Concours Eurovision de la chanson a vu le jour le 19 octobre 1955. Donc signe astrologique: Balance! Quoi de plus logique pour un événement soucieux d’équilibre et qui a connu des hauts et des bas très marqués? Sa paternité est bien connue: c’est le Vaudois Marcel Bezençon (1907-1981) qui a eu l’idée d’organiser un concours de chansons sur le modèle du festival italien de Sanremo. 

Le Vaudois Marcel Benzençon, directeur général de la SSR de 1950 à 1972, imagine le concept du concours européen.
Photo: RDB

Il était alors directeur général de la SSR et président de la commission des programmes de l’Union européenne de radio-télévision (UER), un réseau de chaînes de télévision publiques d’Europe, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. L’UER est en fait la mère de ce concours. Tous ses membres peuvent participer, mais sans y être contraints. La Turquie ou l’Azerbaïdjan ont souvent été au rendez-vous, le Maroc une fois seulement, en 1980.

Le 19 octobre 1955, les sept membres de l’assemblée générale de l’UER à Genève décident donc unanimement de lancer un concours de chansons. La gestation de l’ESC se déroule sans fausse note. Ce bébé européen est baptisé initialement Grand Prix Eurovision de la chanson européenne. Une appellation alors purement géographique puisque l’UE n’existait pas encore. La Seconde Guerre mondiale était encore récente et les nations voulaient se concentrer sur les points communs culturels pour se rapprocher.

Du Grand Prix au Concours

Un peu plus tard, l’événement est renommé Concours Eurovision de la chanson. Nos voisins allemands, quant à eux, s’en tiennent à l’appellation Grand Prix, ce qui entraîne parfois des confusions avec le sport automobile. Les nations francophones, y compris l’ensemble de la Suisse, parlent du Concours. 

A Lugano, lors du tout premier concours Eurovision de la chanson, la Bernoise Lys Assia représentait la Suisse.
Photo: Archivio storico della Città di Lugano, Fondo Vincenzo Vicari

Le 24 mai 1956, c’est la première du Grand Prix (ou Concours). Sept pays participent avec deux chansons chacun. Les artistes se produisent au Teatro Kursaal de Lugano, accompagnés par l’orchestre de Radio Monte Ceneri et un chef d’orchestre de leur choix. L’Angleterre, l’Autriche et le Danemark sont absents car ces pays ont manqué la date limite d’inscription. Et c’est la Bernoise d’origine Lys Assia qui gagne, mais pas avec sa chanson la plus célèbre «O mein Papa». La chanson victorieuse s’appelle «Refrain», une scie tombée à juste titre dans l’oubli.

La Suisse abuse du Luxembourg

La Suisse récolte non seulement la première victoire à l’ESC, mais aussi le premier scandale. Car le Luxembourg n’avait pas envoyé son jury à Lugano, des Suisses devaient le remplacer. Mais ces substituts auraient profité de voter pour la chanteuse suisse – tout comme les jurés suisses d’ailleurs, car cela n’était pas interdit lors de cette première édition. Autre modification du règlement: de 1966 à 1972 et une deuxième fois de 1977 à 1988, la langue officielle de chaque pays est obligatoire.

Kein Problem per la Svizzera. Les Danois, eux, trouvent ça nul, les Suédois s’en fichent et sont capables de gagner aussi avec des titres comme Fångad av en stormvind (Carola, 1991). En 1999, la liberté linguistique est introduite et on a ainsi droit à des contributions en corse, en breton ou en samogitien, un dialecte lituanien. En 2011, la Norvège chante carrément en swahili et l’Australie surprend en 2024 avec des paroles en yankunytjatjara, un idiome aborigène. L’Australie, vraiment? Oui. Car depuis 2015, elle participe sur invitation spéciale de l’UER, car le concours est diffusé dans ce pays depuis 1983 et rencontre un énorme succès auprès du public.

Le duo australien Electric Fields a interprété l'année dernière, en demi-finale, un chant aborigène.
Photo: IMAGO/TT

Le plus grand tournant de l’ESC a lieu au début des années 1990. Après la glasnost et la perestroïka, l’Europe de l’Est est hystérique à l’idée de pouvoir y participer. Et c’est la foire d’empoigne, le surnombre. En 1993, il y a donc une demi-finale réservée à l’Europe de l’Est, puis dès 1994 des pauses forcées pour les nations à faible score et enfin en 1996 une présélection par un jury. Depuis 2004, la formule est plus sereine grâce au principe de demi-finale.

Avec l’Europe de l’Est, c’est une autre culture qui fait son apparition sur les écrans occidentaux où les râleurs des deux sexes, qui se plaignaient naguère d’une «pop européenne insipide et uniformisée», se mettent à grogner contre «l’invasion des Ostrogoths» et leur étrange conception de la bonne musique et des bonnes manières. Dès l’introduction du télévote, les gangs télévisés du type «bloc balkanique», «pacte de Varsovie» et «horde de Vikings» dominent l’attribution des points. L’UER y met donc un terme en 2009 avec des jurys d’experts qui attribuent désormais la moitié des points. Ainsi, seules les performances qui obtiennent des points de Lisbonne à Hammerfest, de Reykjavík à Erevan parviennent à se hisser dans les premiers rangs.

Trop injuste, cette Europe!

Une caractéristique typiquement helvétique a perduré: la complainte annuelle sur «l’Europe qui ne nous aime tout simplement pas». En d’autres termes, si nous obtenons si peu de points, c’est parce que nous sommes des mal-aimés. Et qu’importe si la création musicale helvétique pèse très peu au niveau international. Non, si nous somme si mal classés à l’Eurovision, c’est parce que les autres sont a) méchants et b) des rustres ou encore c) parce que ça n’est de toute façon que de la politique. 

Balivernes! Grâce à Nemo, nous avons gagné pour la troisième fois. Et à part une période de vaches maigres entre 2007 et 2018 et quelques zéros pointés, la Suisse se débrouille plutôt bien. Depuis 1956, elle a décroché cinq fois la quatrième place, quatre fois la troisième et trois fois la deuxième. La Belgique, qui participe depuis aussi longtemps que nous, a été écartée de la finale plus souvent et n’a gagné qu’une fois.

De toute façon, le plus important n’est-il pas de participer? La plus grande émission de télévision d’Europe est devenue un monument mondial de kitsch et de comédie, d’excès et de glamour, de convivialité, de tolérance et de diversité. Car il y a bien sûr les couleurs de l’arc-en-ciel. L’ESC est considéré comme la plus grande fête LGBT du monde. C’est en 1986 déjà que les premières drag-queens sont montées sur une scène de l’ESC, en tant que choristes du chanteur norvégien. 

Il y a près de 40 ans, des drag-queens faisaient déjà partie de la fête en assurant les chœur du chanteur norvégien Ketil Stokkan.
Photo: IMAGO/NTB

Aucun autre rendez-vous annuel ne rassemble autant de monde, de Dublin à Sydney, devant le téléviseur du foyer au moment où apparaît le sigle de l’Eurovision et retentit la fanfare du Prélude du Te Deum du compositeur Marc-Antoine Charpentier: dès la première note, c’est l’euphorie collective dans la salle de spectacle. Et des millions de téléspectateurs en ont la chair de poule.

L’Eurovision, on l’aime ou on le déteste. Certains le regardent pour le dénigrer, pour ses musiques calamiteuses, ses paroles idiotes, ses tenues d’extrême mauvais goût et ses provocations outrancières. On critique aussi les jurys manifestement sourds et aveugles et les nationalistes obtus qui votent par téléphone, mais on reste quand même jusqu’au moment final: l’attribution des points! On vibre, on tremble, on frémit – et 180 millions de personnes en Europe et plus loin encore font exactement la même chose au même moment. On fait partie du groupe, on est tous ensemble. Alors bonsoir Bâle, nous sommes prêts! 

Et si on montait à Bâle pour participer à la fête?

Même sans billet pour le grand show final de l’Eurovision, il demeure possible de vivre l’événement sur place en s’y prenant à la dernière minute, ce vendredi 16 et ce samedi 17. Car l’Eurovision Song Contest (ESC) ne se limite pas aux concerts officiels et à la finale de samedi dans la halle Saint-Jacques. Tout autour de la grande salle, dans le Centre de foire de Bâle, le village Eurovision propose des concerts et des projections, des stands de nourriture et de boissons.

Le samedi, jour de la grande finale, le parc Saint-Jacques voisin, avec ses 36'000 places, se transformera en une «Arena Plus», c’est-à-dire en un festival de concerts d’artistes internationaux avant que la finale y soit retransmise sur écran géant. Mais cet événement est payant et là aussi les réservations ont cartonné. Il reste quand même des billets en vente (ou en revente) sur le site www.ticketcorner.ch.

Les 36'000 détenteurs d'un billet pour le parc Saint-Jacques pourront suivre la finale de samedi sur des écrans géants.
Photo: ESC

Le magnifique centre-ville de Bâle est également au diapason de l’Eurovision. Toute une portion de la vieille ville, sur la rive gauche du Rhin, est en ébullition, principalement la Barfüsserplatz et l’avenue Steinenvorstadt, rebaptisée Eurovision Street pour l’occasion. 

Le site eurovision-basel.ch/fr permet de préparer sa visite. Compte tenu de l’affluence prévue durant les derniers jours de cette folle semaine, les organisateurs encouragent vivement les visiteurs à venir à Bâle en transports publics et à laisser leur voiture à la maison.

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°20 de L'illustré, paru en kiosque le 15 mai 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°20 de L'illustré, paru en kiosque le 15 mai 2025.

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