Retour de Daniel Bloch sur l'année 2025
«Nous pouvons vivre avec ces 15%, même si cela laisse un goût d’amertume»

Alors que 2025 touche à sa fin, Daniel Bloch, le directeur de la chocolaterie Camille Bloch, qui produit Ragusa et Torino à Courtelary (BE), a accepté de regarder dans le rétroviseur pour «L’illustré».
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Daniel Bloch n'est pas un partisan de la croissante à tout prix.
Photo: DR
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Antoine Hürlimann
L'Illustré

L’année 2025 n’a pas été de tout repos: conflits armés, droits de douane américains, multilatéralisme plus en danger que jamais, colère des vignerons face à une concurrence étrangère jugée déloyale… Alors que le réveillon approche, qui de mieux pour faire le bilan que Daniel Bloch, patron de la célèbre chocolaterie Camille Bloch, dans le Jura bernois? Une interview cash accordée à «L’illustré». 

Daniel Bloch, c’était une année difficile. Etes-vous soulagé d’être arrivé au bout?
Quoi qu’il arrive, que l’année ait été super ou malheureuse, elle finit toujours par se terminer. Pour moi, elle s’achève mieux qu’elle n’a commencé. C’est lié au prix du cacao, aux droits de douane américains, à l’incertitude en général… Mais, maintenant, il est temps de remettre les compteurs à zéro et de prendre un nouveau départ.

Avant de nous projeter dans l’avenir, revenons sur les droits de douane imposés par Donald Trump. D’abord 39%, puis finalement 15%. Pour notre Conseil fédéral, c’est un peu une victoire à la Pyrrhus, non?
Personnellement, je ne considérerais pas cela comme une victoire du tout. Je crois que nous avons trouvé un modus vivendi pour maintenir les places de travail en Suisse. Il existe plusieurs statistiques; certains parlaient de 80'000 postes sur la sellette. Aujourd’hui, nous pouvons vivre avec ces 15%, même si cela laisse un goût d’amertume. Nous devons composer avec ce nouveau tarif imposé unilatéralement.

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Mon père disait que les Suisses jouent bien au jass mais que les Américains jouent au poker. Nous n’avons pas l’habitude de suivre ces règles-là
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Comment jugez-vous l’action de notre gouvernement durant cette crise?
Il me semble que le Conseil fédéral était toujours conscient de l’importance de l’enjeu, avec une volonté de bien faire à tous les instants. Peut-être pouvons-nous dire qu’il a affiché un optimisme un peu déplacé au départ concernant le fait de rapidement trouver une solution. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais il est probable que certaines réalités aient été sous-estimées.

Lesquelles?
Je pense principalement au «facteur président», aux Etats-Unis. Chez nous, les décisions sont collégiales et suivent un processus clair et relativement lent. Là-bas, un seul homme peut tout changer, à n’importe quel moment. Mon père disait que les Suisses jouent bien au jass mais que les Américains jouent au poker. Nous n’avons pas l’habitude de suivre ces règles-là.

Que pensez-vous de la partition jouée par Donald Trump dans cette affaire?
Evidemment, elle est pour le moins inamicale. Nous pensons être dans une situation d’accords multilatéraux, quand soudain une seule personne – un Etat –, la plus forte, rejette ces règles et impose les siennes aux autres pays. En tant que petit pays, nous étions habitués au fair-play. C’est en tout cas ainsi que nous nous comportons avec nos partenaires. C’était donc une douche froide. Même si Donald Trump a, dans les faits, simplement mis en application ses promesses de campagne.

Quels liens avez-vous avec les Etats-Unis?
D’abord un lien professionnel puisque nous avons un client qui importe du chocolat de niche, nos chocolats cashers, aux Etats-Unis. Mais j’ai aussi vécu une année dans ce pays fascinant. J’aime particulièrement voyager à New York. Une ville fantastique! Depuis mon séjour d’une année dans la Grosse Pomme en 1994, la situation politique américaine a beaucoup changé. Il y avait alors un terrible problème avec le sans-abrisme. Les inégalités étaient partout. Au fil des ans, les choses s’étaient améliorées. Mais, avec le retour d’une politique d’austérité dans le pays, la misère réapparaît.

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Les industries essaient de faire au mieux pour faire face à un monde toujours plus incertain
»

Cela fait longtemps que vous êtes un critique de la croissance à tout prix. L’instabilité politique, sur la scène internationale, vous donne-t-elle raison?
Je ne suis pas contre la croissance. Vouloir améliorer sa condition de vie, rester agile et s’adapter, c’est quelque chose de naturel. Mais je dis qu’il ne faut pas le faire n’importe comment et qu’il faut surtout rester fidèle à soi-même. A Camille Bloch, nos volumes ont baissé en 2025. Pourtant, lors de la fête des collaborateurs, j’ai dit que nous étions en pleine croissance. Pourquoi? Parce que nous avons un nouveau rôtisseur, qui va nous permettre de continuer à faire notre chocolat depuis la fève, ici, dans le Jura bernois. C’est un projet d’avenir et c’est cela, une croissance saine: investir pour le futur en adéquation avec ses valeurs.

Nous avons parlé de Donald Trump, il faut donc évoquer Vladimir Poutine. Croyez-vous que la Suisse a encore un rôle à jouer pour amener la paix en Ukraine?
Si les parties le demandent, nous devons être prêts à le faire. Mais j’estime que nous n’avons aucune influence. Il est difficile de rester totalement neutre au regard de ce qui se passe et nous ne devons d’ailleurs pas le faire. Mais il faut regarder les choses en face: nous ne pouvons pas faire grand-chose.

Quid du rôle des grandes industries?
Les entreprises ne peuvent pas changer les règles, elles les suivent. Les industries essaient de faire au mieux pour faire face à un monde toujours plus incertain.

Un conflit nous amène directement à un autre. Les images terribles de la bande de Gaza sont probablement celles qui ont le plus marqué les esprits cette année. Le vôtre également?
Oui, évidemment, cela m’a touché. Je vois trois malheurs. Le premier, le pire: les victimes civiles. Toutes ces vies innocentes à Gaza, mais aussi en Israël, c’est abominable… Ensuite, le moindre des malheurs: nous avons moins exporté en Israël en raison de la guerre. Enfin, entre deux, l’impossibilité de dialoguer. Deux camps se sont créés. Et ceux-ci voudraient que l’on soit dans l’équipe A ou dans l’équipe B. C’est dangereux.

En Suisse, nous avons par ailleurs assisté à la colère des vignerons qui s’estiment accablés par la concurrence déloyale des vins étrangers. Notre Etat doit-il davantage soutenir la production locale?
Je me suis justement engagé quand il y a eu les tarifs douaniers parce que cela nous plaçait dans une situation de concurrence déloyale envers les producteurs de chocolat de l’Union européenne. Quand il y a des désavantages concurrentiels injustes, il faut agir. Surtout avec un franc suisse qui est déjà fort. J’avais demandé un soutien pour toute la branche chocolatière à la Confédération qui a été, je dois le dire, refusé. Peut-être que si cela avait été pour du vin et non pas du chocolat, le résultat aurait été différent (il sourit). Plus sérieusement, être placé sur un pied d’égalité est essentiel. Et c’est l’un des rôles du Conseil fédéral d’y veiller. Je trouve juste de se mobiliser pour cet objectif.

Symbole fort et porteur d’espoir pour les producteurs locaux: le vigneron UDC Guy Parmelin a été élu président de la Confédération avec un score record. Comment analysez-vous ce résultat?
J’ai déjà fréquenté plusieurs fois M. Parmelin. Il m’a fait l’honneur de participer à une remise de prix européen que des producteurs de machines m’avaient décerné l’année passée. Je trouve que c’est quelqu’un d’abordable, de sérieux, qui connaît bien ses dossiers. Il représente bien ce que les Suisses attendent d’un politicien. Le fait qu’il soit Romand augmente sûrement son capital sympathie. Je le félicite pour son score, qu’il mérite. C’est un travailleur qui s’engage beaucoup et je lui souhaite plein de succès.

Vous disiez en début d’interview qu’une nouvelle année qui commence est un nouveau départ. Comment espérer qu’elle sera meilleure que la précédente?
L’espoir est une ressource importante. Il faut toujours espérer le meilleur, même s’il faut aussi être prêt à ce que les choses ne se passent pas comme on l’aurait souhaité. Tout est précaire, tout change. Certains indicateurs géopolitiques sont toutefois plutôt positifs. A notre niveau, faisons de notre mieux. Le reste, les autres, nous ne le maîtrisons pas. 

Un article de «L'illustré» n°52

Cet article a été publié initialement dans le n°52 de «L'illustré», paru en kiosque le 24 décembre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°52 de «L'illustré», paru en kiosque le 24 décembre 2025.

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