Climat, guerres, inégalités
«J’observe le reste du monde se dégrader, sans savoir quoi faire»

Des chiffres et des études le certifient: les jeunes Suisses ne vont pas bien. Mais qu'est-ce qui les préoccupe vraiment? Quatre jeunes répondent à ces questions et témoignent de leurs craintes pour l'avenir.
Chez les femmes de 18 à 24 ans, plus de 51% sont stressées. (Image d'illustration)
Photo: Shutterstock
Adina Steimer, Lea Ernst, Mathilde Jaccard

Aux quatre coins de la Suisse, Blick est allé à la rencontre de ces jeunes qui sont préoccupés par l’époque de crise que nous traversons. Pandémie, guerre, pénurie d’énergie, climat ou encore les drogues… Les inquiétudes des Suisses âgés entre 17 et 26 ans sont multiples.

Certains ont traversé une dépression, d’autres tentent de rester optimistes. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes: les jeunes sont davantage touchés par le mal-être psychique. Chez les femmes de 18 à 24 ans, plus de 51% sont stressées. Chez les hommes et femmes confondus 56% se sentent stressés sur le plan psychique.

Cyril, 20 ans, ferblantier à la Chaux-de-Fonds

«Ce qui me préoccupe le plus dans cette société, c’est que malgré la guerre, la pénurie d’énergie ou les inégalités sociales, personne ne fait rien de vraiment concret. La plupart des personnes font semblant de soutenir des causes, mais ne font rien d’autre que de poster des publications sur les réseaux sociaux. Je me sens désemparé et désespéré face à la bêtise humaine. Ce contexte global me pèse énormément, mais j’essaie d’oublier en voyant mes amis afin d’éviter de déprimer.

J’ai le sentiment que l’entraide et le soutien n’existent tout simplement plus. La seule chose qui compte, c’est le profit et l’argent. Je suis peut-être pessimiste, mais selon moi, le système actuel ne peut tout simplement pas fonctionner. Tant que le capitalisme nous régira, cette société, où la consommation et le paraître sont maîtres de nos actions, n’a pas d’avenir.

J’essaie au mieux, avec mon métier et ma personnalité, d’apporter de l’amour et de la bienveillance autour de moi, on en a toutes et tous besoins. Je peux comprendre que certains jeunes se sentent mal, mais j’essaie de relativiser. Je me dis qu’on est vraiment privilégiés dans notre pays et qu’on a de la chance, tout simplement parce que notre première pensée le matin n’est pas de réfléchir où trouver à manger ou un toit pour dormir.»

Ainhoa Martinelli, une Bernoise de 19 ans

«La crise climatique et notre système inerte me préoccupent. Je me sens impuissante. Nous fonçons droit dans le mur à 120 km/h. Cela fait peur. Je pense que le malaise psychique des jeunes est un symptôme du système.

C’est pourquoi je suis très active dans le mouvement climatique. Je consacre une grande partie de mon temps libre à l’activisme.

En ce moment, je mets en place 'Debt for Climate' en Suisse. A l’origine, ce mouvement vient des pays du Sud global (pays dits «en développement» ou «émergents», ndlr). L’objectif est de les libérer de leurs dettes financières et de mettre ainsi fin à leur exploitation. Cela me donne de l’espoir. Les relations et les échanges de ma bulle me donnent de la force supplémentaire.

Ainhoa Martinelli (19 ans) d'Erlach BE.
Photo: Zamir Loshi

J’ai un réseau international et j’ai récemment participé au 'System Change Camp' à Hambourg. Nous avons bloqué des terminaux de GNL pour perturber le capitalisme fossile. En discutant avec des activistes du Sud global, je me suis rendu compte que je soutenais le mouvement avec toute ma passion et que j’acceptais aussi les expériences négatives. Je me suis rendu compte une fois de plus à quel point je suis privilégiée en Europe. Avec mon activisme, je ne dois pas m’attendre à des sanctions comme la mort.

On se fait souvent une fausse idée du mouvement climatique. Je peux le comprendre. Nous ne voulons pas pointer du doigt les individus. Le mouvement climatique souhaite que les entreprises ou les politiques assument leurs responsabilités. Je ne pense pas qu’il soit juste de rejeter la faute sur les individus.

Pour l’avenir, je souhaite un système de démocratie de base dans lequel nous pouvons vraiment changer les choses.»

Angela*, Neuchâteloise de 22 ans

«Le manque d’implication de certaines personnes ou des gouvernements me préoccupe particulièrement. Dans cette époque, tant bouleversée par de nombreuses crises, je trouve hallucinant que l’union et l’entraide aient disparu. Pourtant on est tous dans le même bateau, et ce n’est qu’ensemble qu’on pourra s’en sortir face aux inégalités et tous les autres problèmes actuels.

Je ressens tellement d’impuissance face à ce constat. Et encore plus parce qu’en Suisse, on vit dans une petite bulle privilégiée. J’observe le reste du monde se dégrader, sans savoir quoi faire. Et c’est davantage décourageant de se savoir privilégiée et de ne pas pouvoir faire plus. Des pays où les personnes n’ont même pas de quoi manger, ce n’est pas leur première préoccupation de trier les déchets. Mais ici, en Suisse, on a les moyens de faire plus, de faire mieux. Et pourtant, je n’ai pas l’impression qu’on le fasse.

On me dit souvent que je suis trop pessimiste mais quand je regarde certains chiffres, la hausse des températures, les feux de forêts… j’ai plutôt le sentiment d’être réaliste et de tout simplement voir le monde s’écrouler. Tout cela ne me donne pas envie de faire d’enfants par exemple. Et même, j’ai eu tellement de peine à simplement trouver ma place dans la société ou de trouver un sens au quotidien. Je me suis souvent dit, mais à quoi ça sert si même la base de ce monde n’est pas stable? Comment je pourrais être stable dans ces circonstances?

Déjà que ce n’est pas facile de changer ses propres habitudes, c’est encore plus frustrant lorsque je constate que ça ne fait peu, voire pas d’effets parce qu’il faudrait que cela vienne de plus haut. Je me sens seule, abandonnée par les politiques. Alors que je fais l’effort de trier mes petits déchets, d’être consciente des problématiques actuelles, les grosses firmes industrielles polluent à tout bout de champ. C’est décourageant. Mais j’essaie malgré tout de sensibiliser mon entourage aux petits gestes du quotidien qui peuvent être utiles. J’essaie d’appréhender tout de même l’avenir de manière positive en me concentrant sur ce qui est fait pour améliorer le monde.»

Tim Steinmann, 22 ans, apprenti forestier à Schaffhouse

«L’argent n’est pas la priorité absolue dans ma vie. La pression de la performance ne me dérange pas – tant que je vois un sens à mon travail.

Ce que j’ai appris de la vie jusqu’à présent: l’importance incroyable de se défendre soi-même. De parler quand quelque chose ne nous convient pas. Si on ne le fait pas, cela peut avoir de graves conséquences – j’en ai fait l’expérience sous la forme d’une dépression, dont je me suis entre-temps libéré.

Au sens figuré, la vie d’aujourd’hui ressemble le plus souvent à une traversée de Times Square à New York la nuit. Partout les enseignes lumineuses clignotent. Grandes et colorées, frénétiques et prometteuses, elles rivalisent toutes pour attirer notre attention. Difficile de résister à cette surabondance de stimuli.

Tim Steinmann (22 ans) de Schaffhouse.
Photo: zVg

C’est justement pour cette raison que je pense que nous avons besoin d’une concentration claire dans la vie et que nous devrions constamment nous interroger sur ce que nous faisons réellement. Le négatif prend vite le dessus, c’est pourquoi nous devrions nous concentrer chaque jour sur les belles choses.

Je ne pense pas qu’une seule personne puisse changer le monde entier. Mais chaque personne peut apporter sa petite pierre à l’édifice. Pour ma part, j’ai trouvé ma place dans la forêt. J’ai compris qu’elle était importante pour le climat. Mon travail est à très long terme: je ne verrai pas les résultats de ce que je fais maintenant avant de nombreuses années.

Je perçois un changement dans la société. Nous sommes aujourd’hui plus conscients de l’environnement et plus sensibilisés, on pense à long terme. Ce n’est certes qu’une étincelle, mais elle a du potentiel. L’avenir est entre nos mains.»

*Nom d'emprunt

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