«ll y a onze mois, j'ai hérité d'une situation catastrophique, que je suis en train de redresser.» C’est en ces termes que Donald Trump justifie encore, 1 an après son élection, son bilan décevant sur le plan de l'emploi et de l'économie. Avec les électeurs, c'est la fin de l'euphorie: la cote de popularité du républicain est tombée à 36% en novembre, et dans le domaine de l'économie, les deux tiers des Américains (64%) désapprouvent sa gestion, soit nettement plus qu'en février dernier.
Licenciements massifs, chômage en hausse
Sur le front de l'emploi, il doit faire passer la pilule d'un taux de chômage arrivé au plus haut depuis 4 ans, à 4,6%, contre 4,1% à la fin du mandat de Joe Biden. Un chiffre qui tient lieu de sombre verdict, pour un président qui s'est présenté comme le défenseur de l'emploi et le champion des travailleurs. Pourquoi cette détérioration?
En cause: déjà, la suppression de 162'000 emplois fédéraux décidée par Elon Musk et son département de l'Efficience (DOGE) entre février et octobre. Cela a clairement dégradé le taux de chômage à partir de cet été. Mais dans le secteur privé aussi, il y a eu plus de 126'000 emplois supprimés cette année, rien que dans le secteur technologique, sans compter le gel ou frein des embauches dans d'autres secteurs.
Ce que Trump aurait pu faire: la décision de couper de façon drastique et rapide dans les emplois fédéraux allait fatalement affecter le taux de chômage. Un plan qui se serait davantage étalé dans le temps, et qui aurait été accompagné de programmes de reclassements des fonctionnaires touchés, aurait abouti à de meilleurs chiffres. Or aucun accompagnement n'a été prévu pour les milliers de chômeurs concernés. Face à un marché du travail difficile, ni formations, ni aides à la reconversion ou à la réinsertion ne leur ont été proposées.
Autre erreur: trop soucieux d'arracher des promesses d'investissement et de création d'emplois aux entreprises étrangères, Donald Trump a nettement manqué d'autorité lorsqu'il s'est agi d'obtenir des entreprises locales – à commencer par la Big Tech – qu'elles préservent les emplois. Peut-être parce que les Big Tech figurent parmi les plus gros soutiens financiers de Donald Trump.
Effets pervers des tarifs sur la réindustrialisation
Au-delà du chômage, c'est la création d’emplois elle-même qui déçoit. Dans le secteur manufacturier, elle s'est même contractée de plusieurs milliers de postes depuis avril. Or c'est le cœur même du programme de Donald Trump. Sa campagne avait misé sur la «réindustrialisation de l'Amérique». Force est de constater qu'après 1 an au pouvoir, cela ne prend pas la bonne direction. Mal pris, le locataire de la Maison Blanche est allé jusqu'à limoger en août la responsable des statistiques de l'emploi, qualifiant les chiffres de «truqués». L'emploi manufacturier était encore en baisse en octobre et novembre. La production industrielle, quant à elle, n'a pas enregistré de croissance sur l'année.
En cause: déjà, son erreur a été de mal anticiper les effets des tarifs douaniers. Entrés en vigueur au printemps 2025, ces barrières protectionnistes ont augmenté les coûts de production pour les entreprises américaines (prix des matières premières et autres intrants importés). Les incitations à relocaliser la production et à construire des usines sont donc faibles.
Autre défi évident: même avant les droits de douane, la main-d'œuvre américaine (salaires, charges, pénuries dans certains métiers) coûtait plus cher que dans les pays à bas salaire. Les incitations à créer des emplois manufacturiers restent donc, là aussi, faibles.
Ce que Trump aurait pu faire: mieux calculer les effets ricochet des droits de douane, en particulier sur les coûts de production en Amérique. Ensuite, l'erreur a été de promettre une réindustrialisation intensive en main-d'œuvre, car elle n'est pas réaliste. En réalité, les Etats-Unis ne peuvent concurrencer les pays à bas salaires qu'avec une automatisation accrue. Une vérité qui, pour Donald Trump, serait moins vendeuse au niveau électoral.
Au fond, le républicain a sous-estimé dans ses discours la dépendance de l'Amérique au reste du monde, et surestimé ses capacités d'autonomie. Mais la réalité le rattrape. Rappelons que des composants et intrants essentiels à l'industrie américaine sont produits en Asie et pourraient très difficilement l'être aux Etats-Unis. Typiquement, les semiconducteurs, les principes actifs en pharmacie, les composants de batteries, ou encore les terres rares.
Enfin, si Donald Trump a tout fait pour obtenir – par les méthodes agressives que l'on connaît – un maximum de promesses d'investissements de la part du reste du monde dans la réindustrialisation américaine, celles-ci restent très incertaines et sans garantie.
Coût de la vie et pouvoir d'achat négligés
Donald Trump n'a pas résolu le problème de la cherté de la vie pour le plus grand nombre. Mal lui en a pris, car la cherté est devenue le problème numéro Un cette année pour les Américains. Si le républicain a annoncé que l'inflation «baisse rapidement», ce n'est pas le cas: elle se situe à 2,7%, contre 2,3% en avril. Il a par ailleurs affirmé que la croissance des salaires est supérieure à celle de l'inflation. Mais l'indice d'inflation ne reflète pas le coût réel de la vie, car il n'inclut pas des éléments comme la hausse des loyers, par exemple.
Or le coût réel de la vie a augmenté plus que l'inflation, et le pouvoir d’achat des Américains est en berne. Dans un post de blog devenu viral, le financier Michael Green va jusqu'à dire que le nouveau seuil de pauvreté n’est plus à 31'200 dollars par famille de 4 personnes dans une petite ville, mais à 140'000 dollars. Car les coûts de santé, de logement, de garde d’enfants et d'études supérieures ont explosé et sont inabordables pour les trois quarts des ménages. «Seuls 34% des Américains échappent à la précarité», assure-t-il.
En cause: Donald Trump avait promis de faire baisser les prix, mais cela ne s'est pas réalisé. Seul le prix de l’essence a reculé. Les prix des médicaments n'ont baissé que de manière ciblée et partielle, montrant les limites du pouvoir présidentiel, qui contraste avec ses promesses illimitées. Mais ce sont encore une fois les tarifs douaniers qui causent le plus de dégâts car ils ont importé de l'inflation dans toute l'économie. Les entreprises, dont certaines paient désormais des taxes d'importation de 10% en moyenne, ont transféré les coûts des droits de douane aux consommateurs, ce qui promet une poursuite de la hausse de l’inflation ces prochains mois, selon «The Economist». Pour protéger certaines industries, Trump aura donc renchéri les biens de consommation, l’électroménager, les composants industriels et même les coûts de construction (tarifs du bois, du cuivre, de l'acier), qui ont fait monter les prix des loyers et des logements.
Ce qu'il aurait pu faire: assouplir les tarifs douaniers sur les biens essentiels comme les matériaux de construction et les biens de consommation courante. Envisager une politique du pouvoir d'achat pour le plus grand nombre, qui peut passer par des allègements fiscaux pour les bas revenus et la classe moyenne. Mais aussi des incitations fiscales pour augmenter massivement l'offre de logements et construire à prix abordable. De même, dans ce pays où un abonnement internet coûte 200 dollars par mois, il serait essentiel d'ouvrir la concurrence et de casser l'oligopole des Big Tech. Des politiques éloignées des priorités de Trump.
Faible variation des déficits à ce jour
Les tarifs douaniers auraient dû réduire, voire éliminer, le déficit commercial américain. Toutefois, l'effet est loin d'être spectaculaire à ce jour. Seul le déficit commercial du mois de septembre montre une baisse marquée par rapport à celui de décembre 2024. Pour la période allant d'avril à août 2025, les volumes de déficit restent proches de ceux de l'an dernier.
En cause: le fameux effet de diversion. Quand Donald Trump impose des tarifs à la Chine, cela réduit les importations de ce pays, mais les entreprises américaines remplacent ce marché par d'autres, dont le Vietnam, par exemple. Dès lors, le déficit global reste le même, seuls les flux ont été redirigés. Enfin, comme déjà évoqué, beaucoup d’importations sont des intrants indispensables: les taxer n'élimine pas la demande, cela renchérit seulement la production.
Ce qu'il aurait pu faire: investir dans la compétitivité des exportations américaines. Tout est là. En effet, c'est d'abord le manque de compétitivité qui explique le déficit commercial américain face à de nombreux pays. Paradoxalement, la compétitivité est le sujet auquel Trump s'est le moins consacré. Pour exporter plus et mieux, il faut miser sur la productivité élevée des usines américaines et sur l'automatisation. Améliorer les coûts de production, de l'énergie, des transports, et surmonter les problèmes de pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Cela implique aussi d'investir dans les ports, les chemins de fer, dans l'énergie et la digitalisation.
Gestion économique: l'habit ne fait pas le moine
L'économie américaine est complexe, et des politiques extrêmes et risquées peuvent impressionner à court terme, mais être truffées d'effets pervers à long terme, et de conséquences collatérales indésirées.
Un président orienté business comme Donald Trump peut sembler compétent dans le domaine économique, mais l'histoire a prouvé qu'il n'en est rien. Un homme d'affaires, un économiste ou un financier n'a de loin pas forcément l'étoffe d'un grand leader économique.
Au contraire, la culture boursière et la culture de vente sont celles du court terme, et peuvent nuire à une gestion économique responsable. Vouloir montrer des résultats rapides, miser sur l'effet d'annonces spectaculaires fréquentes et sur des scènes de confrontations ou de victoires télévisées, peut avoir un effet sur l'opinion à court terme, mais bien vite, le vécu des Américains finit par prendre le dessus.
Les politiques économiques, y compris l'ambition d'une réindustrialisation d'un grand pays aussi désindustrialisé que les Etats-Unis, se conçoivent sur un temps nettement plus long qu'un mandat politique de 4 ans, et leurs résultats s'évaluent bien au-delà de cette échelle de temps. N'offrant pas la possibilité de récolter les lauriers durant le mandat, elles se doivent donc par définition d'être désintéressées, de mesurer leurs effets sur des années et non sur des mois, et de s'affranchir du jugement à court terme.
Déjà lors du premier mandat
La présidence de Donald Trump est particulièrement mise à l'épreuve par les exigences d'une saine gestion de l'économie, qui ne cadrent pas avec l'instantanéité, ni avec la spectacularisation, ni la recherche de récompense immédiate. Le New Deal de Franklin D. Roosevelt, qui avait pris le temps de la maturation intellectuelle durant environ 2 ans, avait mis 5 ans à se mettre en place, et 8-10 ans à déployer ses effets.
Déjà lors du premier mandat de Donald Trump (2017–2021), les promesses de croissance spectaculaire, de réduction du déficit commercial et budgétaire n’avaient pas été tenues.
La croissance économique, qu’il promettait à 5–6% par an, n’a pas dépassé 2-3% (ce qui restait toutefois honorable). En raison des baisses d’impôts, le déficit budgétaire avait augmenté, au lieu de diminuer. Le déficit commercial n’avait pas non plus diminué comme promis.
La baisse du taux de chômage, elle, s’était réalisée, le taux étant tombé à environ 3,5% un plus bas historique. Mais les ménages américains n'avaient pas connu de gains de salaire réel (hors inflation) notables sous ce mandat. Comme gage de sa bonne politique, Trump avait souvent invoqué la hausse des marchés boursiers. Dans lesquels seuls 10% des Américains investissent.