Une nouvelle victoire. Une nouvelle occasion, pour Giorgia Meloni, de revenir à Rome en affirmant que l’Italie l’a emporté sur le front européen. Achevé au milieu de la nuit, vers trois heures du matin ce vendredi 19 décembre, le dernier sommet des dirigeants des 27 à Bruxelles pour 2025 s’est conclu par un double succès italien.
L’accord commercial avec les pays du Mercosur, que Rome jugeait trop défavorable aux agriculteurs transalpins, reviendra sur le tapis en janvier, avec de meilleures garanties agricoles. Et l’utilisation des 200 milliards d’euros d’avoirs russes bloqués dans les banques européennes pour garantir un prêt à l’Ukraine a finalement été abandonnée. Ce que Rome préconisait, en solidarité avec la Belgique directement concernée en raison de la présence à Bruxelles de la caisse de compensation Euroclear, où sont entreposés (et gelés) 185 milliards d’euros de la banque centrale russe.
Le recul de Merz et von der Leyen
Pour parvenir à cette double victoire, Giorgia Meloni a dû faire reculer deux dirigeants européens qui défendaient des thèses opposées. Deux Allemands: le chancelier Friedrich Merz, dont le pays est la première puissance économique de l’Union, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui défendait une entrée en vigueur immédiate de l’accord Mercosur. Double défaite de l’Allemagne face à l’Italie, et pas sur un terrain de football, mais sur le tapis vert du sommet de Bruxelles!
Comment? En se montrant pragmatique et opportuniste. Giorgia Meloni a, sur les deux dossiers du Mercosur et des avoirs russes, réussi à se rallier aux coalitions gagnantes, aux côtés (pour une fois) de la France d’Emmanuel Macron. Unité de vue avec Paris sur la défense des agriculteurs, face aux importations à venir en provenance d’Amérique latine. Et unité de vue avec Paris et le gouvernement belge sur la question très sensible des avoirs russes: pas question de laisser la Belgique, pays fondateur de l’Union, exposée à d’éventuelles représailles russes. Dans les deux cas, l’Allemagne défendait une position opposée.
Celle que Giorgia Meloni a vraiment battue à plate couture est la présidente de la Commission européenne. Ursula von der Leyen doit revoir sa copie sur le Mercosur, et la Commission doit maintenant travailler à un emprunt commun pour l’Ukraine de 90 milliards d’euros, adossé au budget de l’UE. Le chancelier allemand, lui, s’est félicité de ce sommet qui n’a pas retenu ses options, car il consolide la position de l’Ukraine face à la Russie, le jour même où Vladimir Poutine s’exprimait lors de sa conférence de presse annuelle.
Le match n’est donc pas plié. Rome reste, au niveau européen, moins puissante que Berlin. Sauf que Giorgia Meloni, ce faisant, envoie un signal à un allié de poids: Donald Trump. Le président des Etats-Unis ne voulait pas que les Européens immobilisent les actifs russes, dont il revendique une partie pour ses entreprises lorsque la reconstruction de l’Ukraine s’enclenchera. Bien joué!
Avec Macron, le duel et l’entente
Avec Emmanuel Macron, la partie est plus subtile encore. Les deux dirigeants ne s’apprécient guère. Meloni a souvent mal vécu l’arrogance française. Mais là aussi, le pragmatisme l’emporte. L’Italie et la France sont lourdement endettées (même si les taux d’intérêt italiens, ces temps-ci, sont meilleurs que les taux français en raison de l’instabilité politique à Paris). Ces deux pays ont besoin du bouclier allemand avec l’euro. Leur seule solution, pour éviter le rouleau compresseur de Berlin, est donc de s’unir. A eux deux, Macron et Meloni pèsent trop lourd pour que Friedrich Merz passe en force. Or Meloni sait que, de toute façon, le président français terminera son mandat en mai 2027 et qu’il sera très marginalisé dès le début de la campagne présidentielle, à partir de l’automne 2026. S’allier à la France est donc à son avantage…
La Première ministre italienne, venue de l’extrême droite, a en plus un argument qui pèse lourd dans le débat politique européen: la défense du «bon sens». C’est ainsi qu’elle a qualifié l’accord de l’Union européenne sur l’important prêt de 90 milliards d’euros destiné à l’Ukraine. Elle a présenté ce compromis comme une issue nécessaire: «Je suis heureuse que le bon sens ait prévalu, que nous ayons pu garantir les ressources nécessaires, mais avec une solution reposant sur des bases juridiques et financières solides.» Ce mécanisme garantit un financement prévisible et d’ampleur pour Kiev, sans exposer les Etats membres de l’UE ni les institutions financières à d’éventuelles poursuites judiciaires de la part de la Russie. Il répond à l’impératif politique de démontrer un soutien indéfectible à l’Ukraine tout en respectant un cadre juridiquement défendable.
Pas encore une géante européenne
Meloni, grande dirigeante européenne? Il est encore trop tôt pour l’écrire, mais sa mutation est incontestable. Lors de sa campagne électorale de 2023, Giorgia Meloni s’en prenait ouvertement à l’Europe et à la Commission. Elle promettait de «renationaliser» des pans entiers de l’action publique, en particulier sur les migrations. La donne a changé. Le pouvoir et ses contraintes, et surtout l’importance pour l’Italie du prêt de 194 milliards d’euros accordé par l’Union dans le cadre de son plan «Next Generation EU», adopté durant la pandémie de Covid, l’ont obligée à composer. D’accord, en somme, pour avancer ensemble. Mais à la mode italienne plutôt qu’à la mode française ou allemande.