Cette guerre est celle qui peut changer le cours du conflit qui se joue, depuis le 25 février 2022, sur les 1500 kilomètres de la ligne de front entre l’Ukraine et la Russie. C’est une guerre parfois lointaine, comme le prouvent plusieurs frappes contre des pétroliers, au large de l’Afrique et en Méditerranée. Cette guerre se joue en haute mer. Et elle est aussi secrète que décisive. Blick révèle les cinq secrets qui rendent ce théâtre d’opérations décisif à l’heure où les négociations se poursuivent à Miami (Floride) entre Russes, Américains et Ukrainiens, mais aussi avec une délégation européenne.
On imagine mal les services de renseignement ukrainiens, aussi performants soient-ils, réussir à frapper des pétroliers en haute mer sans que les alliés de Kiev en soient informés. Le dernier cas en date est celui du Qendil, un tanker battant pavillon omanais, parti de Sikka en Inde et faisant route vers Oust-Louga, en Russie. Ce navire a été touché par des drones aériens à plus de 2000 km des frontières de l’Ukraine, au large des côtes libyennes, en mer Méditerranée. D’où ont décollé ces drones?
Les médias russes ont tout de suite évoqué la Grèce et l’Italie, où les forces navales de l’OTAN disposent de bases à Souda (Crète) et à Naples (Italie), là où est d’ailleurs installé son commandement maritime. Cette guerre navale vise, rappelons-le, la fameuse «flotte fantôme» de 600 à 1 400 navires qui exporte le pétrole russe et contourne l’embargo européen. L’Union européenne a jusque-là identifié et placé sous sanctions 540 de ces navires.
Le dernier-né de l’arsenal naval ukrainien porte un nom de nourrisson: le «Sub Sea Baby». Le 15 décembre, le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) l’a dévoilé en revendiquant une frappe contre un sous-marin de la classe Improved Kilo sur la base navale russe de Novorossiïsk. Une vidéo de l’attaque a été publiée. Le sous-marin a été percuté alors qu’il était amarré en surface, et non en plongée. Ce drone naval ukrainien a une particularité: il pourrait rester immergé pendant sa phase d’attaque, contrairement aux habituels drones de surface «Sea Baby» (USV).
Une question se pose toutefois: le SBU a-t-il, seul, construit ces drones ou bénéficie-t-il de l’aide d’experts alliés? Les Russes pointent du doigt les Britanniques et leur programme «Atlantic Bastion», destiné à créer «une force hybride hautement avancée pour protéger les câbles et pipelines sous-marins». Une trentaine de sociétés européennes sont impliquées. La mer Noire serait-elle un champ d’essai grandeur nature?
La «flotte fantôme» qui exporte le pétrole russe est composée de plus d’un millier de navires pétroliers. Ils s’approvisionnent en brut dans les ports russes de Primorsk, sur la mer Baltique, ou de Novorossiïsk, sur la mer Noire, et acheminent cet or noir vers des raffineries en Inde, comme celles de Vadinar (dans le Gujarat, l’Etat du Premier ministre Narendra Modi), possédées à 49% par le géant russe Rosneft, sous sanctions américaines depuis le 21 novembre.
Or cette flotte a un point faible: les armateurs. Les navires, rebaptisés et placés sous pavillons de complaisance, appartiennent à des entités basées le plus souvent dans des paradis fiscaux, mais connues des services de renseignement européens. Selon une enquête intitulée «Shadow Fleet Secrets», publiée en février 2025, environ 230 navires originaires d’Europe et des Etats-Unis opèrent même au sein de la flotte exploitée par la Russie. Entre 2022 et 2024, les compagnies maritimes allemandes Schulte, Chemikalien Seetransporte et Salamon AG auraient vendu onze pétroliers à des sociétés chinoises et turques pour la somme de 200 millions d’euros.
Frapper les navires, c’est indiquer aux armateurs qu’ils courent des risques de plus en plus importants. Même si l’on sait qu’en sous-main, c’est la Russie qui paie: elle aurait investi depuis 2022 plus de 10 milliards de dollars dans ces navires qui voguent sans assurance. Mais encore faut-il trouver des équipages…
Attention, guerre navale clandestine! Lors des survols de plusieurs aéroports européens par des drones, entre septembre et novembre 2025 (Copenhague, Berlin, Bruxelles), une théorie a émergé: celle de possibles navires espions russes, qui serviraient de «bases mobiles» pour ces aéronefs sans pilote destinés à semer le désordre dans le trafic aérien européen.
Depuis, d’autres accusations ont fait surface. Selon la chaîne américaine CNN, des sociétés de sécurité contrôlées par les services de renseignement russes auraient placé des agents sur certains tankers de la «flotte fantôme». Le nom de l’une d’entre elles, Mora Security (ciblée par les sanctions du Trésor américain depuis 2024), a émergé.
Quid, en revanche, des Ukrainiens? Selon d’autres sources, ces derniers disposeraient de vrais-faux navires marchands chargés de pister les tankers et de les attaquer lorsqu’ils ont les soutes vides, afin d’éviter une marée noire. La référence: l’attaque de drones sur des aéroports russes en juin 2025, menée par des appareils transportés dans des conteneurs chargés sur des camions. Ici, la même méthode serait employée en mer.
Vladimir Poutine, comme Nicolás Maduro. Le président russe et son homologue vénézuélien (tous deux alliés) ont le même talon d’Achille: ils doivent absolument exporter leur pétrole brut pour survivre. Or que se passe-t-il aujourd’hui dans la mer des Caraïbes et dans le golfe des Amériques? Les États-Unis sont passés à l’attaque en haute mer. Ils viennent d’annoncer, le 20 décembre, la saisie d’un second pétrolier au large du Venezuela. À nouveau, des forces spéciales ont été héliportées, sous prétexte de faire main basse sur des cargaisons de drogue embarquées.
Pourquoi ce parallèle? Parce que Washington montre la voie en violant les eaux internationales. Comment, dès lors, reprocher à l’Ukraine de faire la même chose lorsque ses services s’attaquent à des tankers en Méditerranée ou au large de l’Afrique? Côté européen, un texte est en préparation visant à réinterpréter la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, afin de donner aux autorités nationales des pays de l’UE une plus grande marge de manœuvre pour arraisonner les navires suspects.