La ligne rouge dépassée. Le pas de trop. Le moment où tout bascule. Vladimir Poutine est-il dans cette situation après ses bombardements répétés sur Kiev et les grandes villes ukrainiennes, alors que Donald Trump lui tend depuis des mois une main plus qu’amicale? Son offre de reprendre les pourparlers de paix à Istanbul le 2 juin peut-elle être prise au sérieux ?
Au moins quatre éléments permettent de penser que le président russe a peut-être déclenché un engrenage fatal, à force de croire que son homologue américain ne ripostera pas s’il continue de causer d’énormes dommages aux populations civiles ukrainiennes.
Le premier élément est l'attitude de Donald Trump, désormais ouvertement vexé par celui qu'il qualifie de «fou». On sait que le locataire de la Maison-Blanche a beaucoup misé politiquement sur la paix en Ukraine. Il l’a promis d’abord en une journée, puis en cent jours. Il tente maintenant de renvoyer la balle au Vatican, où le nouveau pape américain Léon XIV vient de confirmer ses offres de service, même si le Kremlin, trés lié à l'église orthodoxe, n'apprécie guère le Saint-Siège.
En langage courant: cela se nomme perdre la face. Poutine est train de faire passer Trump pour un naïf, voire pour un leader incapable de s’opposer au langage des armes.le déploiement de 125 000 soldats russes à la frontière ukrainienne, dont 50 000 dans la région de Soumy, est observé par les satellites américains. C’est très risqué pour lui. Car Trump a besoin d'un bouc émissaire à accuser pour avoir fait échouer la paix. Et ce pourrait bien être son «ami Vladimir»…
Deuxième élément: la décision du Chancelier allemand Friedrich Merz de ne plus fixer de limitations à l’emploi, par les Ukrainiens, des missiles livrés par les Européens. «Il n’y a plus de limites de portée pour les armes qui ont été livrées à l’Ukraine. Ni par les Britanniques, ni par les Français, ni par nous. Ni par les Américains», a-t-il déclaré lundi 26 mai à la télévision WDR.
Merz n’a pas accompagné cette déclaration d’une annonce de livraison des missiles Taurus à longue portée. Mais l’on sait qu’en la matière, la confirmation vient après la livraison…
Perte d’initiative
Troisième élément: Poutine est en train de perdre l’initiative diplomatique que lui avait donnée Trump. Les dirigeants européens, on le sait, reprochaient au président des Etats-Unis de répéter les éléments de langage de la Russie. L’embuscade tendue le 28 février au président Zelensky à la Maison Blanche avait offert à Moscou une superbe fenêtre de tir.
Or qu’en a fait Poutine? Rien. L'assurance de son ministre Serguei Lavrov, qui promet des propositions de paix pour le 2 juin, pèse trés peu face à l'offre concrète de Volodymyr Zelensky pour une rencontre à trois avec Trump et Poutine. Autre dossier épineux: la donne compliquée avec son grand allié chinois, désireux d’apparaître comme le grand défenseur de l’ordre multilatéral. La question, pour le Kremlin, est de récupérer cette initiative diplomatique. Seule possibilité: faire une concession majeure et immédiate, par exemple accepter le cessez-le-feu inconditionnel de trente jours demandé par les Européens et déjà accepté par l’Ukraine. Or cela semble impossible.
Quatrième clé de cet engrenage qui pourrait conduire à l’isolement de la Russie, à l’éventuelle adoption de nouvelles sanctions par les Etats-Unis et au réarmement de l’Ukraine par Washington? Le déploiement massif de troupes russes à la frontière ukrainienne.
Pour beaucoup d’experts, les attaques répétées de drones et de missiles sur les villes ukrainiennes visent à casser le moral de la population, à briser l’arrière-garde pour, ensuite, se jeter à l’assaut du front. Or Trump ne veut pas d’un retour de la guerre à grande échelle. Il dénonce sans cesse le saccage des vies humaines. Plus Poutine fait des ravages, plus Trump va le trouver infréquentable.
Sanctions en vue
La question, pour Vladimir Poutine, est donc de ne pas s’aliéner définitivement Donald Trump. D’autant que 80 sénateurs américains ont déjà signé le projet de sanctions secondaires qui viseraient, si elles sont adoptées par le Congrès, des entités et pays qui aident la Russie à contourner l’embargo commercial et énergétique mise en place depuis l’agression de l’Ukraine le 24 février 2022.
Si un tel vote intervenait, et que parallèlement les Etats-Unis ouvraient les vannes des livraisons d’armes à l’Ukraine, à un mois du sommet de l’OTAN les 24 et 25 juin à La Haye (Pays-Bas), alors oui, l’engrenage déclenché pourrait commencer à être fatal à la puissance russe. Zelensky a en tout cas déjà annoncé qu'il viendra au sommet de l'OTAN. Il avance maintenant le chiffre de 30 milliards de dollars pour ses besoins en armement. Et si Trump disait OK ?