Les récentes attaques aériennes menées par la Russie contre l’Ukraine figurent parmi les plus violentes depuis le début de l’invasion. Trois nuits de suite, les forces russes ont pilonné le pays avec des missiles et des drones. Dimanche, douze personnes ont perdu la vie et près de 80 ont été blessées.
Lundi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait état de 355 drones et de neuf missiles de croisière lancés la nuit précédente. Blick fait le point sur les conséquences de ces attaques pour la population, et sur l’intensification de la guerre des drones entre la Russie et l’Ukraine. A Kiev, les témoignages révèlent un mélange de haine, d’épuisement et de désespoir.
«Nous haïssons encore plus les Russes»
«Le week-end a été particulièrement éprouvant», confie Dina Didenko, professeure d’allemand à Kiev. Il y avait des drones, des missiles, des explosions pendant des heures. «Nous avons passé deux nuits dans un parking souterrain. Nous sommes à bout de forces.» Mais malgré tout, ils refusent de quitter la ville. «Kiev est notre maison, c’est ici que se trouve notre vie.»
La colère est palpable. «Après ces attaques, notre haine envers les Russes ne fait que grandir. Nous sommes épuisés», ajoute-t-elle. Dina Didenko garde foi en la résistance de l’armée ukrainienne, mais doute du reste du monde. «Jusqu’à quand va-t-on simplement rester là à observer?», interroge-t-elle, amère.
A Kiev également, Nataliia Woronina, employée de banque et mère d’un bébé de trois mois, vit dans l’angoisse. «Grâce à Dieu, mes proches n’ont pas été touchés physiquement. Mais mentalement, nous sommes brisés.» Pour elle, les conséquences de la guerre sur la population sont profondes. «Beaucoup de couples renoncent à avoir des enfants, et de nombreuses familles éclatent parce que les hommes sont mobilisés.»
«Je n’ai pas dormi depuis trois nuits», raconte Yevhen Semekhin, producteur de médias. Il vit avec sa femme Alina et leur fille Nina dans une maison de campagne près de Kiev. Depuis la fenêtre, il voit passer les drones Shahed et les missiles russes. «Tous les matins, en buvant notre café, on découvre si nos proches ont survécu à la nuit ou pas.» Lui aussi redoute une escalade: «Bientôt, ce ne sera plus 300 ou 400 drones, mais mille qui frapperont nos maisons chaque nuit.»
Trump presque aussi impopulaire que Poutine
«Depuis l’automne 2024, il ne se passe pratiquement pas une nuit sans alerte aérienne à Kiev», rapporte Denis Trubetskoy, correspondant politique sur place. «On voit que les gens sont à bout, qu’ils dorment mal, qu’ils sont à cran.» Il note aussi une évolution politique inattendue: «Donald Trump est devenu presque aussi impopulaire que Vladimir Poutine.» Seul point positif: sa politique a au moins «rassemblé les Ukrainiens comme rarement auparavant».
L’Ukraine a-t-elle perdu l’avantage dans la guerre des drones? «C’est une course technologique serrée», estime Denis Trubetskoy. Longtemps en avance sur les drones de courte portée, l’Ukraine a depuis été rattrapée, voire dépassée, par la Russie, qui utilise depuis fin 2024 des drones reliés par fibre optique, très difficiles à intercepter. «Dans ce domaine, l'Ukraine doit justement rattraper son retard», ajoute Denis Trubetskoy.
En matière de drones longue portée, la Russie a bénéficié d’un net avantage grâce aux livraisons de drones Shahed depuis l’Iran. «Mais l’Ukraine a fait d’importants progrès», souligne le journaliste. Elle est désormais capable de perturber le trafic aérien à Moscou grâce à ses propres drones.
La stratégie de Poutine
Que Vladimir Poutine intensifie ses frappes alors que des négociations de paix sont en cours n’étonne guère Denis Trubetskoy. «C’est une stratégie classique de Poutine qu'il avait déjà utilisée pendant la guerre du Donbass, en 2014 et 2015, durant les pourparlers de Minsk.» A l’époque, l’Ukraine avait été contrainte d'accepter des conditions de paix très défavorables. Aujourd’hui encore, la destruction massive et ciblée d’infrastructures civiles vise à affaiblir le moral de la population et à faire pression sur le gouvernement.
Les discussions en cours ne sont qu’«un spectacle pour l’opinion publique», estime-t-il, et particulièrement Trump. Moscou avance des exigences irréalistes, tandis que Poutine sait qu’il pourrait tirer profit d’un désengagement progressif des Etats-Unis. «Nous sommes désormais face à l’offensive estivale de la Russie», conclut Denis Trubetskoy. Une offensive rendue possible par les incertitudes sur le soutien occidental.