En 2022, plutôt que de voir le prince Andrew, son fils cadet, condamné par la justice américaine pour avoir, à trois reprises, agressé sexuellement Virginia Giuffre, une Américaine, mineure de 17 ans la première fois, la reine Elisabeth II puisa 2 millions dans ses deniers personnels. Un accord à l’amiable fut conclu et 12,7 millions furent versés à la plaignante.
Cette Californienne qui osait s’attaquer à un membre de la famille royale était la principale accusatrice dans l’affaire Epstein, du nom de ce criminel sexuel, homme d’affaires américain, mondain, pédophile et manipulateur. Condamné une première fois à 13 mois de prison, il allait être de nouveau arrêté, pour trafic d’êtres humains. La plupart de ses victimes, estimées à un millier, étaient réduites à l’état d’esclaves sexuelles exploitées pour son bon plaisir et celui de ses convives – businessmen, politiciens, artistes – dont les noms n’ont jamais été dévoilés par la justice.
Les victimes, elles, étaient mineures. Certaines n’avaient que 13 ans. Ces adolescentes à la dérive, fragiles et paumées, étaient tenues par l’argent avant d’être livrées aux invités dans une luxueuse résidence sur l’île américaine de Little Saint James. Jeffrey Epstein, 66 ans, fut retrouvé pendu dans sa cellule le 10 août 2019 dans des circonstances troubles. Il risquait la prison à perpétuité.
Cinq mois plus tard, Buckingham Palace était secoué par le départ très médiatisé de Meghan et Harry. Un exil volontaire doublé d’accusations de racisme envers des membres de la famille royale. Les charges contre Andrew, d’une tout autre nature, allaient ternir de nouveau la réputation de la monarchie. Il fallait éviter un Andrewgate à la veille du jubilé de platine de la reine. Elisabeth II, elle, restait sourde aux avertissements de son entourage. La digue finit par céder après une réunion entre Charles, futur roi, et le duc d’Edimbourg. Andrew se retira alors de tout engagement public.
La brebis galeuse fut déchue, trois ans plus tard, de ses titres militaires honorifiques et perdit le prédicat d’Altesse Royale. Dans le cœur d’Elisabeth II, le cadet restait son fils préféré, mais, dans l’opinion publique, il était un pestiféré. L’estocade est venue du roi, son frère aîné, jeudi dernier. Du jamais vu au sein de la Firme.
Le prince William à la manœuvre
A 65 ans, la carrière et la vie publique de celui qui fut considéré en 1982, alors qu’il était pilote d’hélicoptère dans la Royal Navy, comme un héros de la guerre des Malouines, s’achèvent dans le déshonneur. Le 30 octobre au soir, un communiqué émanant du palais de Buckingham tombait comme un couperet. Le roi faisait savoir qu’il entamait une procédure formelle visant Andrew en vue de le déchoir de tous ses titres et privilèges. La situation ne s’était pas produite depuis un siècle. Les membres de la famille royale n’ont jamais perdu leurs titres officiels pour des raisons judiciaires.
Le frère de Charles III est désormais Andrew Mountbatten Windsor, mais il n’est plus duc, ni prince, comte, baron ou encore chevalier. Ne faisant plus partie de la liste resserrée des working royals, il doit quitter son domicile de Royal Lodge, un manoir de 30 pièces situé à 5 km au sud du château de Windsor. Si le message du palais précise la position d’Andrew – «il continue de nier les allégations à son encontre» –, il se termine par un soutien sans équivoque aux victimes et survivantes de la part de Leurs Majestés. Le pluriel pèse de tout son poids. La reine Camilla, engagée dans le soutien aux femmes abusées, a tenu à s’associer à cette démarche publique et à faire savoir sa position.
Mais pourquoi maintenant? Le roi, figure pourtant populaire, en rémission d’un cancer depuis son accession au trône, ne pouvait plus approcher ses concitoyens sans être apostrophé au sujet d’Andrew et de l’affaire Epstein. Ce fut le cas le lundi 27 octobre à la sortie de la cathédrale. Un quidam donnant de la voix a demandé au souverain depuis combien de temps il était au courant, ajoutant: «Avez-vous demandé à la police de couvrir Andrew?» Une femme a fait taire l’intervenant, la foule a crié «Hourra!», mais le mal était fait.
Le monarque a également subi les assauts de William, son fils aîné, son successeur. Lequel a fait savoir qu’il entendait bannir son oncle, ajoutant même qu’il ne souhaitait pas sa présence lors de son couronnement. Le 16 septembre, à la sortie des obsèques de la duchesse de Kent, Andrew, se sachant filmé et photographié, tentait d’adresser la parole à son neveu. Le fils aîné du roi écouta, serra les dents et tourna la tête vers la gauche pour se mettre à converser avec des tiers. Cette position intransigeante mais également des discussions en coulisses et la consultation de juristes ont permis au roi de prendre sa décision sans que ses démarches soient entravées par le parlement. Quant aux Britanniques, leur verdict, au lendemain de l’annonce, est sans appel. «Il ne mérite aucune sympathie, résume un passant interrogé sur les ondes de RTL. Tout cela aurait dû arriver bien plus tôt, dès que ses relations avec Jeffrey Epstein ont été révélées. Mais c’est comme ça en Angleterre, tout prend des siècles.»
Mémoires posthumes
D’aucuns demandent qu’il soit traduit devant la justice britannique. En février 2022, l’affaire a été classée sans que soit retenue ou admise la responsabilité d’Andrew, ni même un quelconque aveu de sa part. Un procès civil avait ainsi été évité. Une plainte privée pourrait-elle aboutir? Le groupe antimonarchique Republic étudierait la question à l’aide d’avocats. Il faudrait des faits nouveaux. Au Royaume-Uni, la police, après examen, a décidé de ne pas mener d’enquête criminelle. Elle étudie toutefois des informations impliquant un officier de la protection royale. Andrew aurait mandaté un membre de sa garde rapprochée afin de trouver des éléments propices à discréditer son accusatrice, mais rien ne l’atteste pour l’instant.
Andrew était devenu d’autant plus encombrant que les Mémoires posthumes de Virginia Giuffre, Nobody’s Girl, parus le 21 octobre dernier, l’accusaient clairement de viol. «Il pensait que coucher avec moi était son droit du fait de son statut», écrit-elle. Ce livre de 400 pages est sorti six mois après qu’elle s’est donné la mort à 41 ans, le 25 avril dernier, en Australie, où, mariée et mère de trois enfants de 11, 14 et 15 ans, elle avait refait sa vie.
Fragilisée par son combat malgré son courage et les nombreuses épreuves – une première agression subie à l’âge de 7 ans par son père, puis par un ami de la famille à qui elle avait été confiée –, des abus à répétition, parfois sous la menace d’une arme et, enfin, l’emprise du système Epstein. Ce dernier lui fit comprendre qu’à 19 ans elle était devenue trop vieille et, craignant qu’elle ne parle, la menaça en lui faisant croire qu’il contrôlait le département de police de Palm Beach.
La jeune femme, jolie blonde aux yeux bleus, le visage constellé de taches de rousseur, avait été amadouée et recrutée par Ghislaine Maxwell, fille du magnat de la presse Robert Maxwell, compagne et rabatteuse du pédocriminel. Incarcérée au Texas dans un établissement pénitentiaire pour femmes, la complice purge une peine de 20 ans de prison. Elle a demandé la grâce présidentielle de Donald Trump, lequel fréquentait, lui aussi, dans des circonstances jamais élucidées, le sieur Epstein. Les deux hommes se sont brouillés en 2004.
Un naufrage télévisuel
Virginia Giuffre confie que, au lendemain du premier rendez-vous avec Andrew, Maxwell lui fit savoir «que le prince s’était bien amusé». Ils se revirent deux fois, dont l’une sur l’île, lors d’une orgie avec d’autres jeunes femmes.
Pensant se dédouaner publiquement, le cadet de la reine avait invité les caméras de la BBC à Buckingham Palace le 14 novembre 2019. La journaliste Emily Maitlis l’interrogea sur son amitié avec Epstein et les accusations dont il était la cible. Croyant jouer la transparence, feignant la maîtrise, il finit par montrer son vrai visage, celui d’un menteur doublé d’un benêt. Virginia Giuffre? Il dira n’en garder aucun souvenir. Ils avaient pourtant dîné, dansé et eu des relations sexuelles, lui rappela la journaliste. Andrew ne s’en souvenait pas... L’échange fut un naufrage télévisuel. Il est visible dans son intégralité sur YouTube et il a donné lieu à deux adaptations pour le petit écran, révélant l’envers du décor.
Pour achever le tableau, l’ex-vice amiral – son dernier titre honorifique militaire perdu – trempe aussi dans une histoire aux relents d’espionnage, en raison de sa relation avec Yang Tengbo, un chef d’entreprise installé au Royaume-Uni depuis 2002, soupçonné de liens avec le pouvoir chinois.
Andrew se pensait intouchable. Il n’est plus qu’un prince déchu dont l’exil doré devrait se poursuivre dans les couloirs de Sandringham, propriété privée de la famille royale. Il bénéficiera pour s’installer d’un chèque à six chiffres et d’une rente mensuelle. Il pourra méditer cette phrase de Jonathan Swift, auteur des Voyages de Gulliver: «Je ne m’étonne jamais de voir les hommes mauvais, mais je m’étonne souvent de ne pas les voir honteux.»
Cet article a été publié initialement dans le n°45 de «L'illustré», paru en kiosque le 6 novembre 2025.
Cet article a été publié initialement dans le n°45 de «L'illustré», paru en kiosque le 6 novembre 2025.