«298 suspects dénoncés en quatre ans»
Sous de fausses identités, ce cyber-justicier traque les pédophiles

Marvin Ojaghi, 31 ans, se fait passer pour un ado sur les réseaux pour piéger des pédophiles présumés. Epaulé par 40 bénévoles en Allemagne, il a signalé 298 cas en quatre ans. Très suivi sur TikTok, son approche suscite à la fois admiration et critiques.
Publié: 17.10.2025 à 13:35 heures
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Dernière mise à jour: 17.10.2025 à 14:58 heures
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L'ex-hacker Marvin Ojaghi de Stuttgart traque les pédophiles en ligne.
Photo: Nico Kurth
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Qendresa Llugiqi

En ligne, il se fait appeler Louisa et a onze ans. Ou parfois Lena, douze ans. En réalité, il s'appelle Marvin Ojaghi, a 31 ans et vit près de Stuttgart, en Allemagne. Depuis environ quatre ans, cet ancien hacker chasse de son propre chef les pédophiles présumés avec une équipe d'environ 40 bénévoles.

Son équipe et lui sont ce qu'on appelle des «Pedo Hunters», des chasseurs de pédophiles. Ils représentent un phénomène qui suscite beaucoup d'attention sur les réseaux sociaux, parfois célébré, parfois critiqué.

Aussi en Suisse?

On ne connaît pas de chiffres sur les chasseurs de pédophiles en Suisse. Dans notre pays, ce sont surtout des incidents dans lesquels des mineurs ont attiré des pédophiles présumés dans des pièges qui ont fait les gros titres jusqu'à présent. A la police cantonale de Saint-Gall, on parle d'une «poignée de cas», dans le canton d'Argovie, il y avait «deux groupes de la même région». La police cantonale de Zurich a également enregistré plusieurs cas.

Marvin Ojaghi, qui est suivi par environ 280'000 personnes sur TikTok, est actuellement l'un des chasseurs de pédophiles les plus connus dans les pays germanophones. En Suisse aussi, il a deux petites équipes, même s'il n'y a pas encore eu d'interventions dans notre pays.

Contrairement aux exemples actuels, dans lesquels des jeunes Suisses attirent des pédophiles présumés dans des pièges et les battent jusqu'à les envoyer à l'hôpital, les assistants de Marvin Ojaghi sont tous majeurs. Il souligne qu'aucune violence n'est utilisée et que (plus) personne n'est mis au pilori publiquement. «En l'espace d'environ quatre ans, nous avons dénoncé 298 pédophiles présumés», déclaré il fièrement ors d'une interview avec Blick par appel vidéo.

Marvin Ojaghi lors de l'entretien vidéo avec Blick.
Photo: DR

Son activité a déjà fait l'objet de plusieurs articles. Par exemple, lorsqu'il y a un an, il a piégé un pédophile aux cheveux rasta à la gare de Francfort. Ou lorsqu'il a arrêté un homme d'église à la gare de Berlin. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent comment se déroulent ces confrontations: Marvin Ojaghi interpelle les pédophiles présumés, leur demande pourquoi ils voulaient rencontrer un enfant. En parallèle, ses collègues appellent la police.

Un gros travail en amont

Selon Marvin Ojaghi, ces rencontres ne sont possibles qu'après un travail préparatoire de longue haleine. «Beaucoup ne voient pas ce qui se passe en arrière-plan. Le fait d'écrire pendant des heures, de subir les fantasmes pédophiles et de tenir méticuleusement des dossiers pour préserver les preuves, par exemple.»

Avec son équipe, il gère plus de 50 profils sur différentes plateformes de réseaux sociaux. Il passe environ six heures par jour à écrire à jusqu'à 20 pédophiles. Et ce, en plus de son travail de responsable commercial chez un groupe de télécommunications britannique.

Selon lui, le contact avec les pédophiles présumés se déroule un peu toujours de la même façon. L'âge joue un rôle central dès le début. «Ils demandent d'eux-mêmes quel âge j'ai.»

Des semaines s'écoulent généralement jusqu'à ce qu'une rencontre ait lieu. «Mon cas le plus long a duré six mois», raconte Marvin Ojaghi. Une longue période pendant laquelle – comme il le dit – il a «été abusé à la place des enfants». Et cela laisse des traces. «Je dors mal, j'ai du mal à totalement déconnecter.»

Confrontations en live

Si les pédophiles présumés veulent une rencontre réelle, Marvin Ojaghi et ses assistants se penchent intensivement sur le lieu de rencontre. L'auteur présumé ne doit pas pouvoir s'enfuir, mais en même temps, il ne doit rien lui arriver de grave. «Nous voulons qu'il aille en prison en bonne santé et qu'il purge sa peine», confie-t-il.

Jusqu'à présent, Marvin Ojaghi a diffusé 63 de ses confrontations en direct sur Tiktok. Il ne s'agit pas pour lui de se mettre en scène. «Je veux montrer à mes followers 'vous voyez, les pédophiles présumés viennent vraiment à la rencontre d'un prétendu mineur!'»

Il veille cependant à ne jamais montrer le visage des personnes confrontées et à ne jamais citer leur nom. «Avant, nous les mettions au pilori publiquement, et c'était mal. Heureusement, je n'ai jamais eu de problèmes avec la justice pour cela.»

Selon Ojaghi, la violence n'est jamais utilisée, et aujourd'hui, plus personne n'est mis publiquement au pilori.
Photo: DR

Son objectif est de mettre la lumière sur les abus que subissent les enfants. Marvin Ojaghi, qui a grandi en foyer, avait observé très tôt des abus dans son entourage. Entre-temps, il a également publié deux livres pour enfants sur les dangers en ligne pour les mineurs. Il souhaite que les sanctions contre les pédophiles soient renforcées. En Allemagne, il a même lancé une pétition à ce sujet.

«Il risque de diffamer des innocents»

Blick s'est entretenu avec Dirk Baier, professeur de criminologie à l'Université de Zurich. A ses yeux, Marvin Ojaghi n'agit pas par pur altruisme. «Il le fait pour se sentir mieux. Son but est de chasser et de punir sévèrement ce qu'il considère comme de la racaille.»

«
S'il transmet des preuves insuffisantes à la police, de vrais suspects pourraient être alertés
Dirk Baier, professeur de criminologie à l'Université de Zurich
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Certes, Marvin Ojaghi et son équipe ont le mérite de ne pas recourir à la violence. Mais leur manière de procéder reste problématique pour Dirk Baier. «Il qualifie de pédophiles des personnes qui évoluent dans la zone grise de la pédophilie ou des abus sexuels et risque de diffamer des innocents.»

L’activité de Marvin Ojaghi pourrait, dans le pire des cas, nuire aux enquêtes officielles. «S'il transmet des preuves insuffisantes à la police, de vrais suspects pourraient être alertés, prendre peur, puis se replier sur d'autres plateformes pour poursuivre leurs agissements.»

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