La Confédération forcée de réagir
Alfred Gamper prépare une nouvelle offensive de lobbying aux Etats-Unis

Menés par Alfred Gantner, des représentants de l'économie suisse veulent lancer une campagne de lobbying aux Etats-Unis. Le Seco en est informé, mais cette manœuvre accroît la pression sur le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis.
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Actuellement, Alfred Gantner est devenu une sorte ministre suisse des affaires étrangères privés.
Photo: DUKAS
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Reza Rafi et Raphael Rauch

Son visage a fait la Une de l'actualité cette semaine. Alfred Gantner, cofondateur de la société de capital-investissement Partners Group et membre de la «Team Switzerland». Le milliardaire était l'un des représentants de l'économie qui, par sa visite au président américain Donald Trump, a largement contribué à la réduction des droits de douane de la Suisse de 39 à 15%.

Les deux premières semaines suivant l'accord, il a laissé la parole au ministre de l'Economie, Guy Parmelin, avant de s'exprimer lui-même à la télévision pour expliquer l'accord douanier. Ses propos ont placé la Berne fédérale dans une position délicate: des craintes se sont installées concernant l'autonomie des chefs d'entreprise, sur les connaissances exactes du Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) et sur l'indépendance du Conseil fédéral.

Le DEFR forcé de réagir

La confusion a obligé le département de Parmelin à prendre position samedi pour clarifier la situation. «L'idée d'une rencontre des entrepreneurs à la Maison Blanche est née de différentes discussions, y compris avec l'administration», peut-on y lire.

Les entrepreneurs auraient ensuite «pris l'initiative à titre privé». Pour le conseiller fédéral UDC et sa secrétaire d'Etat Helene Budliger Artieda, la situation a dû parfois être délicate.

Car les relations entre les groupes et les pouvoirs publics éveillent des soupçons en matière d'ordre public. La gauche souhaite examiner cette collaboration à la loupe au Parlement. Une question cruciale se pose donc: que se passe-t-il maintenant avec la «Team Switzerland»? Les milliardaires sont-ils toujours de la partie?

«La Suisse a trop peu de relations aux Etats-Unis»

D'après les informations recueillies par Blick, Alfred Gantner prévoit, avec d'autres grands noms du monde des affaires et des associations professionnelles, de renforcer durablement le lobbying de la Suisse aux Etats-Unis. Pour ce faire, il est à la recherche d'une nouvelle société de lobbying aux Etats-Unis.

L'objectif est d'établir des contacts ciblés avec les gouverneurs et sénateurs des Etats américains dans lesquels les entreprises suisses sont implantées. Un comité de pilotage doit veiller, grâce à une «stratégie d'attraction», à ce que la Suisse marque sa présence une fois par trimestre.

Alfred Gantner justifie cette offensive de lobbying auprès de Blick: «La Suisse a trop peu de relations politiques et économiques aux Etats-Unis. C'est pourquoi je suis d'avis qu'il est nécessaire d'agir. La Suisse est importante, car elle est le sixième investisseur direct étranger. Il est crucial d'avoir une présence plus forte et de mieux communiquer sur la contribution de la Suisse à la performance et au progrès économiques des Etats-Unis, afin de développer une culture de l'information et de la confiance.»

Une visite préparée méticuleusement

Cette action sera financée, comme les efforts précédents, par le secteur privé. Le Seco est au courant de ces projets, comme le confirment plusieurs sources.

La procédure se déroule dans l'élan de l'accord fructueux, lui-même rendu possible grâce à une préparation minutieuse de la visite du 4 novembre. La délégation avait préparé une manoeuvre habile pour freiner le secrétaire américain au commerce, Howard Lutnick, qui voulait imposer à la Suisse un paiement de 100 milliards de dollars, sur le modèle japonais. 

A titre d'exemple, le président de Roche, Severin Schwan, n'a par exemple pas assisté à la visite, afin qu'Howard Lutnick, qui ciblait la pharma, n'ait pas de raison d'être présent dans le bureau ovale. Il est évident qu'Alfred Gantner et consorts ont pris un risque en s'engageant. Son engagement n'a pas fait que des heureux au sein de la direction du Partners Group.

Et le groupe de pilotage de Cassis?

Mais les nouveaux plans de lobbying d'Alfred Gantner peuvent aussi être lus comme une critique implicite de la politique étrangère suisse. Le chef du DFAE Ignazio Cassis a été accusé à plusieurs reprises, et de différentes manières, de rester quasiment invisible dans cette situation exceptionnelle.

La semaine prochaine, le comité de pilotage «Relations Suisse-Etats-Unis» se réunira à nouveau à Berne. Ce groupe de travail a été créé de toutes pièces après le coup de massue douanier de Trump du 2 avril. Lorsque la Suisse s'est rendue compte que Trump n'accordait aucun avantage à Berne et imposait même des droits de douane encore plus élevés que ceux de l'UE, le Conseil fédéral a mis en place ce groupe de travail ad hoc, présidé par Ignazio Cassis en personne.

La semaine prochaine, le groupe de travail se réunira pour la dixième fois – et se trouve déjà en cours de liquidation. Il n'est mandaté que jusqu'à la fin de l'année. La Suisse ayant entre-temps obtenu un accord avec Washington, la question se pose de savoir quel groupe de travail doit poursuivre les négociations.

Le DEFR fait-il une fois de plus la leçon au DFAE?

Selon les informations de Blick, le Département de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) devrait désormais prendre la direction des opérations. D'autant plus que la secrétaire d'Etat du Seco, Helene Budliger Artieda, avait déjà un rôle déterminant dans les négociations douanières. Il est question qu'à l'avenir, ce soit elle ou la secrétaire générale du DEFR Nathalie Goumaz qui dirige le groupe de travail. L'ambassadeur spécial Gabriel Lüchinger, qui n'a rien à voir avec le deal douanier, devrait perdre son titre prestigieux et se concentrer à nouveau entièrement sur la politique de sécurité.

Le DEFR fait-il une fois de plus la leçon au DFAE? A Berne, personne ne veut en entendre parler. «La structure opérationnelle du groupe de pilotage fait actuellement l'objet de discussions au sein du Conseil fédéral. A l'heure actuelle, il est encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet», fait savoir le Département fédéral des affaires étrangères. Le Conseil fédéral s'efforce de parler d'une seule voix à l'extérieur.

Le Conseil fédéral est en effet d'accord sur un point: l'affirmation répandue par le camp bourgeois selon laquelle Cassis et Jans ont tenté de gagner du temps au Conseil fédéral et ont ainsi raté un accord de 10% pour la Suisse est unanimement contredite.

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