Un envoyé spécial pas à la hauteur
L'Ukraine tremble avant la rencontre entre Steve Witkoff et Vladimir Poutine

L'envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, rencontrera Vladimir Poutine cet après-midi à Moscou pour lui présenter le plan de paix révisé. Mais il ne semble clairement pas à la hauteur de la tâche. Les négociations risquent bien de capoter, et ce pour trois raisons.
Vladimir Poutine et Steve Witkoff s'entendent bien personnellement. Le chef du Kremlin voit dans l'investisseur immobilier américain une proie facile.
Photo: AFP
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Samuel Schumacher

Quelles concessions et quels cadeaux l’envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, fera-t-il cette fois à sa vieille connaissance Vladimir Poutine? C’est la question qui préoccupe de nombreux responsables politiques américains... et des millions d’Ukrainiens. Lors de la rencontre prévue cet après-midi, Steve Witkoff, proche de Donald Trump et investisseur immobilier, doit remettre au chef du Kremlin la version révisée du plan de paix élaborée par Kiev et Washington.

En raison de ses agissements passés, Steve Witkoff est perçu par une partie de l’élite politique à Moscou comme un naïf inféodé à Vladimir Poutine, voire comme un «traître à sa patrie». Trois raisons expliquent pourquoi Volodymyr Zelensky et toute l’Ukraine abordent la rencontre entre Witkoff et Poutine avec une profonde inquiétude.

1

Witkoff ne maîtrise pas le dossier

Au lieu d’être confronté à une équipe diplomatique aguerrie, capable de résister à la propagande russe, Poutine se retrouve face à un homme qui ne semble manifestement pas saisir les enjeux de la guerre en Ukraine. Steve Witkoff l’a montré publiquement à plusieurs reprises.

Dans une interview accordée au journaliste américain Tucker Carlson, Steve Witkoff n’a par exemple pas été capable de citer les cinq régions ukrainiennes annexées par la Russie (Crimée, Donetsk, Lougansk, Zaporijjia et Kherson). Dans cette même interview, il a relayé sans filtre la fable russe selon laquelle des soldats ukrainiens auraient été encerclés à Koursk: une fausse information qu’il a présentée comme un fait établi.

2

Witkoff agit comme un agent russe

Bloomberg a récemment révélé les enregistrements de deux appels téléphoniques illustrant à quel point Steve Witkoff se montre imprudent et facilement manipulable. Lors d’un échange avec le conseiller diplomatique de Poutine, Iouri Ouchakov, Steve Witkoff est allé jusqu’à indiquer à son interlocuteur ce qu’il devait faire pour obtenir l’appui de Trump.

Un second appel, entre Iouri Ouchakov et le négociateur russe Kirill Dmitriev, confirme que ce sont les Russes qui ont rédigé le plan initial en 28 points, transmis ensuite «clé en main» à Steve Witkoff. Aux Etats-Unis, ce jeu dangereux lui a valu des accusations de «trahison» émanant de plusieurs camps politiques.

Autre point particulièrement sensible: lors de ses déplacements à Moscou, Steve Witkoff s’appuie sur des traducteurs du Kremlin. Cette pratique a causé au moins un malentendu: lorsque Poutine avait évoqué le «retrait pacifique de Kherson», Steve Witkoff avait annoncé aux Américains que le Kremlin était prêt à se retirer. Poutine, lui, parlait d’une invitation lancée aux Ukrainiens pour qu’ils quittent Kherson.

3

Marco Rubio tenu à l'écart

Le secrétaire d’Etat américain et conseiller à la sécurité nationale Marco Rubio a récemment finalisé, avec les Ukrainiens, la dernière version du plan de paix lors d’entretiens à Genève. Il parlait d’«énormes progrès» et estimait avoir mis au point un document acceptable aussi pour Kiev, même si les détails n’ont pas été rendus publics.

Problème? Marco Rubio n’est pas présent aujourd’hui à Moscou, alors que Steve Witkoff présente la proposition à Poutine. Le diplomate en chef des Etats-Unis reste à Washington pendant que l’ami de Trump mène les discussions. Cela montre que la volonté du président américain de conclure rapidement un accord répond avant tout à des considérations économiques. Le fait que Steve Witkoff soit accompagné du gendre de Trump, Jared Kushner, pour son sixième voyage en Russie cette année — sans être allé une seule fois en Ukraine — renforce cette impression.

Heather Conley, spécialiste de la Russie au sein du think tank American Enterprise Institute, déclare à Bloomberg Radio qu’avec l’envoi de Steve Witkoff et Jared Kushner, combiné à la mise à l’écart de Marco Rubio, le gouvernement américain «agit activement contre les intérêts nationaux et contre notre sécurité».

Poutine s'en tient à une exigence maximale

Quelle que soit l’issue de la rencontre entre Witkoff et Poutine, le Kremlin a rappelé la semaine dernière une exigence incontournable: Poutine n’acceptera de cessez-le-feu que si l’Ukraine renonce au Donbass – y compris les quelque 6000 km2 encore contrôlés par Kiev. Une exigence impossible à accepter: la Constitution ukrainienne interdit toute cession de territoire.

Les Russes ont déjà remporté une victoire: ces discussions leur offrent du temps pour poursuivre l’affaiblissement militaire et psychologique de l’Ukraine, tout en donnant l’illusion de travailler à une solution diplomatique. La paix reste lointaine. Et la visite de Steve Witkoff à Moscou aujourd’hui n’y changera probablement rien.

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