«Une leçon pour Merz»
Un ex-ambassadeur décrypte le faux départ du nouveau chancelier

Quel camouflet pour Friedrich Merz: il est le tout premier candidat à la chancellerie élu au deuxième tour. C'est une preuve évidente de défiance, même de la part de ses alliés. L'ex-ambassadeur suisse en Allemagne Tim Guldimann décrypte la situation. Interview.
Publié: 06.05.2025 à 21:55 heures
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Dernière mise à jour: 06.05.2025 à 21:57 heures
Tim Guldimann a été ambassadeur de Suisse à Berlin de 2010 à 2015.
Photo: KEYSTONE/GAETAN BALLY
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Guido Felder

Friedrich Merz a commencé par un raté mais ce mardi 6 mai, il a été élu comme nouveau chancelier allemand, seulement au deuxième tour du scrutin. Au premier tour, même certains de ses alliés ont refusé de voter pour lui. C'est un échec inédit pour un chancelier.

S'en est suivi le premier grand défi: les partis au gouvernement n'ont qu'une faible majorité de 52% au Bundestag. Tim Guldimann, politologue et ancien ambassadeur suisse en Allemagne de 2010 à 2015, nous explique la situation.

Monsieur Guldimann, vous attendiez-vous à ce faux départ?
Tim Guldimann:
Non, mais je j'y accorde pas trop d'importance. La rebuffade du premier tour n'est rien de plus qu'un rappel à l'ordre, probablement adressé à Friedrich Merz et son partenaire de coalition du SPD, Lars Klingbeil.

Des députés de son propre parti ont refusé de voter pour lui. Lesquels et pour quelle raison?
Nous l'ignorons car le vote était secret, mais je suppose qu'il y a eu des dissidents aussi bien au sein de la CDU/CSU que du SPD, qui ont ensuite changé d'avis au second tour, quelques heures plus tard.

Pourquoi les membres de la CDU/CSU et du SPD devraient-ils voter contre leur chancelier commun?
Car Friedrich Merz a fait du pied à l'AfD. Peu avant les élections, il a lancé deux interventions sur l'immigration au Bundestag, pour lesquelles il comptait sur le soutien de l'AfD. C'est très embarrassant, car il n'a pas tenu parole et dans ses relations personnelles, il a froissé certains de ses proches.

Quels sont les reproches des partis de la coalition envers le vice-chancelier Lars Klingbeil?
L'aile gauche du SPD et les Jusos sont en colère contre lui et la manière dont il s'est imposé comme nouveau chef et a évincé sa coprésidente de parti, Saskia Esken. Il a toutefois réussi à arracher à Friedrich Merz le même nombre de postes ministériels que ceux de la CDU et a présenté une nouvelle équipe gouvernementale SPD jeune avec une majorité de femmes, à l'exception de Boris Pistorius, ministres de la Défense qui reste en place.

Dans quelle mesure ce faux départ freine-t-il le nouveau gouvernement?
Il ne s'agit pas tant du premier tour, mais de la rapidité avec laquelle le gouvernement fournira des résultats, notamment en matière d'infrastructures et de gestion des réfugiés. Or, dans ce domaine, le gouvernement d'Olaf Scholz a déjà amorcé un changement de tendance.

Quel sera l'impact de la faible majorité sur Firedrich Merz et son gouvernement?
Par exemple, tous les ministres devront être présents au Bundestag pour les votes importants, et non à l'étranger. De plus, l'accord de coalition est encore flou, ce qui va encore donner lieu à des discussions.

Poutine doit se frotter les mains de ce faux départ...
Dans d'autres Etats, il faut palabrer pendant des mois avant de former un gouvernement. Ce que vous qualifiez de faux départ a été corrigé en l'espace d'un après-midi.

Comment le retrait de confiance impacte-t-il la position de Firedrich Merz au niveau européen?
Un rappel à l'ordre n'est pas un retrait de confiance. Firedrich Merz va maintenant s'efforcer de réaffirmer le rôle de l'Allemagne en tant que leader au sein de l'UE, c'est une opportunité qu'il peut saisir. 

Friedrich Merz doit-il collaborer avec l'AfD, classée à l'extrême droite par le renseignement intérieur, ou l'exclure?
Le renseignement intérieur a classé l'AfD comme parti d'«extrême droite confirmée», sans pour autant publier ses preuves. Cette situation va encore provoquer des débats et l'AfD a déjà porté plainte. Néanmoins, je suis d'avis que les partis démocratiques ne peuvent pas collaborer avec un parti qui se fixe pour objectif de saper l'Etat de droit.

Ne risque-t-on pas d'augmenter la frustration populaire et de faire croître le parti?
Oui, ce risque existe, mais tous les efforts pour limiter l'AfD ont échoué jusqu'à présent. La seule chose efficace à mes yeux serait de résoudre réellement les sujets polémiques mis en avant par ce parti. En matière d'immigration par exemple, les choses bougent déjà. Ensuite, en matière d'infrastructure, le nouveau gouvernement dispose désormais de fonds publics qui faisaient défaut à la coalition en feu tricolore. En plus de ces changements, l'Etat doit aussi mieux communiquer et convaincre les citoyens qu'il est là pour eux.

La coalition en feux tricolore a volé en éclats. Le nouveau gouvernement survivra-t-il aux quatre prochaines années?
La coalition avait à son bord le FDP, qui craignait constamment sa propre mort et ne se préoccupait pour cela que de son propre profil. Une concertation à deux est toujours plus facile qu'à trois. Je suis donc plus optimiste pour ce gouvernement.

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