Ils étaient tous là: son épouse Charlotte, ses filles Constanze et Carola, ses amis et compagnons de route, venus assister au grand moment de Friedrich Merz. Même l’ex-chancelière Angela Merkel – longtemps dans la lumière de ce collègue du CDU, qu’elle a récemment vertement critiqué pour ses positions radicales sur la migration – était sagement assise en tribune d'honneur pour assister à l’élection du 10e chancelier allemand.
Mais le scénario tant attendu a déraillé mardi matin. Friedrich Merz a échoué de façon spectaculaire dès le premier tour, peu après 10h. Du jamais vu dans l’histoire politique du pays. L’Allemagne se tire une balle dans son pied au pire des moments. C’est embarrassant pour Friedrich Merz, humiliant pour l’Allemagne, et tout simplement dangereux pour l'Europe.
Et pourtant, tout semblait joué d’avance. Sa coalition CDU/CSU-SPD détenait 328 des 630 sièges du Bundestag. Mais Friedrich Merz a échoué à six voix de la majorité absolue. Le calcul est simple: 18 alliés ont dû enfoncer un poignard politique dans le dos du géant conservateur, profitant du vote secret.
Impopularité et condescendance
S'agit-il de déçus de la CDU, ulcérés par les concessions «de gauche» faites à son partenaire de coalition social-démocrate (SPD) – politique migratoire assouplie, milliards pour des projets écologiques, abandon du frein à l’endettement? De compagnons de route frustrés, écartés de postes ministériels convoités?
Ou encore de députés du SPD incapables de supporter ce Friedrich venu du gestionnaire de fortune BlackRock, au ton souvent condescendant? Dans le classement de popularité de «Bild», Friedrich Merz a récemment chuté à une catastrophique 13e place. Seul un tiers des Allemands l’apprécie encore. «Friedrich le tout dernier», pour ainsi dire.
Les raisons de l’échec importent finalement peu. Les conséquences, elles, sont lourdes. Pour Friedrich Merz, cette non-élection sonne peut-être la fin d’une carrière politique de plusieurs décennies: une gifle pour celui qui se voyait déjà chancelier. Pour l’Allemagne, privée de gouvernement stable depuis la chute de la coalition dite du «feu tricolore», l’instabilité perdure – et la Bourse allemande a plongé mardi matin.
Mais pour l’Europe, l’absence de leadership dans la première puissance du continent est une catastrophe. L'Europe aurait besoin des figures fortes, au mandat clair, capables de résister aux attaques venues de l’Est et à la propagande interne et son agitation. Friedrich Merz aurait pu être – ou aurait voulu être – cet homme.
Son voyage en France annulé
Friedrich Merz devait se rendre mercredi à Paris, pour y rencontrer Emmanuel Macron, puis à Varsovie pour s’entretenir avec Donald Tusk. Une Allemagne en lien étroit avec la France et la Pologne: voilà les signaux qu’il voulait envoyer à Moscou – et, oui, à Washington – dès son premier jour. Mais les deux déplacements sont reportés. A la place d’images de force, une image de faiblesse. Un second tour aura lieu ce mardi après-midi.
En Allemagne, l’AfD réclame déjà de nouvelles élections. «Merz doit démissionner», déclare Alice Weidel, la cheffe d’un parti désormais officiellement classé «extrême droite avérée» par les services de renseignement.
Friedrich Merz n’en a cure. Il entend poursuivre le combat jusqu’à atteindre son objectif ultime. S’il échoue aussi au second tour, un troisième reste possible: une majorité simple suffira alors. Il y croit dur comme fer. Mais combien de temps tiendra-t-il encore à la tête d’une coalition pleine de traîtres à visage découvert? C’est une toute autre question.