Alerte maximale pour les équipages des navires, souvent en très mauvais état, de la flotte fantôme russe. Après l’annonce, ce jeudi 23 octobre, de l’adoption par l’Union européenne (UE) de son 19e paquet de sanctions économiques et financières contre la Russie, la possibilité d’opérations coups de poing contre ces tankers indispensables à l’exportation des hydrocarbures russes n’est pas à exclure.
Ces nouvelles sanctions, qui coïncident avec l’annonce de mesures américaines contre les deux géants pétroliers russes Lukoil et Rosneft, prévoient «le ciblage de la flotte fantôme, des ports de pays tiers, du trafic aérien, des cryptomonnaies et des chaînes d’approvisionnement», soit une attaque en règle contre le dispositif commercial clandestin mis en place par Moscou depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022.
Des tankers arraisonnés
Va-t-on, enfin, voir des commandos marine des armées des pays de l’Union européenne arraisonner des tankers, monter à bord voire les séquestrer dans des ports, comme cela a été fait au large des eaux territoriales françaises début octobre, avec le «Boracay»? Sans doute. Le 3 octobre, ce pétrolier russe rebaptisé «Pushpa» et battant pavillon du Bénin, avait été intercepté au large de Saint-Nazaire. Il avait quitté le 20 septembre le port russe de Primorsk, en mer Baltique. Le navire a ensuite pu continuer sa route mais l’avertissement était clair.
Avec le 19e paquet de sanctions qui doit être approuvé ce jeudi en ouverture du sommet des dirigeants de l’UE à Bruxelles, la chasse à cette «flotte fantôme» va s’intensifier. Concrètement, ce paquet de sanctions que la Suisse devra appliquer – conformément à la décision du Conseil fédéral du 28 février 2022 – prévoit un «renforcement de l’interdiction de transaction visant deux grandes compagnies pétrolières russes (Lukoil et Rosneft, visées par les Etats-Unis) et 117 nouveaux navires de la flotte fantôme sanctionnés.
Cela signifie, pour ceux-ci, une interdiction d’accès aux ports, des restrictions sur les transferts de navire à navire et une interdiction de réassurance pour leurs affréteurs. 558 navires sont concernés sur une flotte qui en comporterait environ 1500.
Flotte clandestine
La flotte pétrolière russe clandestine a été constituée, avant l’assaut contre l’Ukraine, par l’oligarque Igor Setchine, très proche de Vladimir Poutine. Ce dernier a reçu un mandat pour rafler des tankers souvent délabrés, et les faire passer sous le contrôle de sociétés écrans. Ils sont ensuite affrétés par des entités de pays tiers, notamment en Inde, pour exporter le pétrole russe via la Baltique.
Donald Trump a déclaré cette semaine, alors qu’il évoquait la possibilité d'une rencontre avec Poutine à Budapest (Hongrie), que le Premier ministre indien Narendra Modi lui avait assuré que Delhi «n’allait pas acheter beaucoup de pétrole à la Russie», car lui aussi «souhaite voir la guerre entre la Russie et l’Ukraine prendre fin».
Dans le cas du «Boracay» intercepté par la marine française, sa destination était Vadinar dans le nord-ouest de l’Inde, où se trouve la deuxième plus grande raffinerie du pays, opérée par le groupe pétrolier Nayara Energy Limited (visé par le 18e paquet de sanctions pris en juillet par l’UE contre Moscou). Nayara Energy Limited a pour actionnaire Rosneft.
Or toute une série de filiales de ce conglomérat russe, et de son alter ego Lukoil, sont depuis ce mercredi 22 octobre visées par le Trésor américain: «Les mesures prises accentuent la pression sur le secteur énergétique russe et affaiblissent la capacité du Kremlin à générer des revenus pour financer sa machine de guerre et soutenir son économie fragilisée. Le Trésor continuera d’utiliser ses pouvoirs pour soutenir le processus de paix», affirme le communiqué de Washington.
La question des drones
Un autre volet de la flotte fantôme russe est visé par ces sanctions européennes: leur potentiel déploiement de drones sur des aéroports ou des ports de l’UE, lancés à partir des navires basés dans les eaux internationales. 45 nouvelles entités soutenant le contournement des sanctions sont visées: 17 hors de Russie, dont 3 en Inde, 2 en Thaïlande et 12 en Chine/Hong Kong, dont beaucoup sont impliquées dans le développement d’aéronefs sans pilotes.
Le sommet de Bruxelles, qui s’ouvre ce jeudi par une réunion de la «coalition des volontaires» qui soutient l’Ukraine, va aussi se pencher sur la question cruciale des 200 milliards d’euros d’actifs de la banque centrale russe gelés au sein de la société de compensation Euroclear, basée dans la capitale belge. Jusque-là, l’idée était d’adosser à cette manne financière immobilisée un prêt pour approvisionner Kiev en armes. La saisie pure et simple d’une partie de cet argent est maintenant sur la table, avec le soutien des Etats-Unis. La Belgique, qui redoute les conséquences puisqu’elle abrite légalement ces fonds, mais aussi la France, inquiète de donner un signal préoccupant aux investisseurs étrangers en Europe, pourraient lever leur veto.