Précarisation des étudiants, communication «fallacieuse», «greenwashing»,… À peine lancé, le nouveau projet durable de l’EPFL récolte une volée de bois vert sur les réseaux sociaux. Campus Express, encore en phase de test, ne semble vraiment pas mettre tout le monde d’accord.
Son concept? Un service de livraison de repas à l’intérieur du campus, fourni par des étudiants sur des trottinettes électriques. Le problème? Un plan mal rodé, doublé de contrats de travail douteux, estiment certains.
«Acheter une flotte de trottinettes électriques et sous-payer des jeunes? Je ne vois pas comment cela pourrait servir la durabilité!», assène au bout du fil un EPFLien. Campus Express se présente comme un projet qui emploiera des étudiants, car «beaucoup ont besoin d’un peu plus d’argent, en ces temps économiques difficiles».
À la demande de Blick, l'école polytechnique détaille ces contrats: les employés seront payés à l’heure, à un salaire horaire de 24 francs brut, ce qui correspond «à la rémunération prévue pour tous les 'jobs étudiants' à l’EPFL».
Mais ce tarif estudiantin plutôt sexy est l’arbre qui cache la forêt: l’école ne les rémunère que s’ils reçoivent des commandes sur leur temps de travail — soit entre 11h30 à 14h – dévoile-t-elle. De plus, les auxiliaires n’apprennent que la veille à minuit s’ils auront du travail ou non: il s’agit donc de contrats de travail sur appel, dits à zéro heure. Ou, comme l’exprime un membre d’Unipoly, l’association chargée de promouvoir l’écologie sur campus, de «contrats à zéro demi-heure»: ils seront en réalité payés à la demi-heure, arrondie au supérieur. Les jeunes embauchés peuvent donc se retrouver avec un salaire nul à la fin du mois.
«On ne va pas les payer pour ne rien faire»
Doit-on comprendre que ce sont ici les employés qui supportent le risque entrepreneurial? L’institution publique a délégué la gestion de Campus Express à une start-up privée, Green Future Logistics. Son CEO et fondateur l’admet: deux éléments font que le statut de ces salariés est «précaire». Ceux-ci sont considérés comme des «auto-entrepreneurs» et mandatés comme des intendants. Mais le jeune informaticien n’y voit aucun problème. «On ne va pas les payer pour ne rien faire, nous explique-t-il au téléphone. Ce serait bien plus problématique que je les emploie à temps plein, que le projet coule et qu’ils perdent leur travail, non?»
À ce jour et selon nos informations, personne n’a été engagé. Trois semaines après le lancement de ce service de livraison, Green Future Logistics n’aurait pas enregistré une seule commande. Un «flop» auquel Unipoly s'attendait, commente l'un de ses membres. Chaque livraison coûte cinq francs, pour un repas livré le lendemain à la porte d'un bâtiment. Or, l'hypothèse que les étudiants, population généralement plutôt fauchée, «préfèrent payer cinq francs au lieu de marcher cinq minutes sur le campus» laisse l'association écologiste perplexe.
Pas d'employés, pas de problèmes?
Aucun étudiant ne sillonne donc l'uni en trottinette pour Campus Express en ce moment. Ne serait-ce pas une tempête dans un verre d’eau? Absolument pas, rétorque au bout du fil Titouan Renard, un étudiant qui a récemment publié une tribune sur le sujet.
«Le problème est que l’EPFL veut jouer à la start-up, pointe-t-il du doigt au nom du comité d'Unipoly, rappelant qu’il s’agit d’une institution publique. Elle s’inspire de ce qui est le plus 'moche' dans le système des entreprises émergentes comme Uber Eats ou Smood.» Ces PME profitent de rémunérer leurs auxiliaires au lance-pierre en échappant à la régulation du travail, fulmine-t-il.
Uber Eats a par exemple été condamnée pour ses mauvaises conditions sociales. Alors que Campus Express ne flirte a priori pas avec l’illégalité. Peut-on réellement comparer? «Ce serait bien sûr naïf de mettre ces deux systèmes totalement sur le même plan, complète Titouan Renard. Mais l’EPFL imite ces start-ups: cette plateforme de livraison en a le même aspect. Elle pourrait faire de la casse sociale!» Il renchérit: «C’est très inquiétant. Cela révèle quelque chose de l’idéologie des gens de notre école.»
«Un but d'innovation et de durabilité»
Interrogée par Blick, l’EPFL soutient que les conditions de travail de ces start-ups et de Campus Express sont différentes: les assurances seront prises en charge et les véhicules mis à disposition des employés. Enfin, elle nie chercher à remplacer Uber Eats sur le campus. «Il s’agit plutôt d’un service supplémentaire», soutient Emmanuel Barraud, responsable médias de l’institution.
«Le projet-pilote Campus Express poursuit un but d’innovation et de durabilité», précise-il. Le projet est effectivement vendu sous la bannière du programme «EPFL 20-30», qui poursuit un virage vert dans la restauration de l’école depuis 2020. Sur le compte Instagram dédié, l’institution assure que cette livraison par trottinettes électriques favorisera la consommation de plats végétariens et véganes.
«Cela fait bien sur les communications»
Une assertion qui agace fortement Unipoly. Augmenter l’offre sans viande des cantines aurait été une solution bien plus efficace, estime l’un de ses membres, accusant l'institution de greenwashing. Autrement dit, elle aurait utilisé ce mot car «cela fait bien sur les communications», tonne-t-il. Le comité de l'association écologiste ne nie pas certains efforts de l’école en la matière, mais insiste: il n’y avait strictement rien de durable dans ce projet en particulier. L'EPFL aurait simplement profité de cette bannière pour innover, poursuit-il.
L'intéressée réfute ces accusations, rappelant que son plan de restauration 20-30 impose une charte très stricte sur les produits qu’elle propose. Elle précise que «le potentiel de durabilité du projet Campus Express réside dans le fait d’inciter les consommateurs à s’approvisionner sur le campus». Un potentiel qui reste pour l’instant totalement théorique.