Un trafiquant décrit son «job» pour Blick
Patrick L., dealer en Suisse: «Je ne force personne à acheter ma coke»

«La Suisse est inondée de cocaïne», affirme Patrick L. Ce dealer a accepté de se confier à Blick sur son commerce illégal. Et il le fait avec une facilité déconcertante, bien qu'il admette parfois ressentir de la culpabilité.
Publié: 06:10 heures
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Dernière mise à jour: il y a 16 minutes
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Patrick L. veille à garder une apparence soignée.
Photo: Florin Schranz
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Florin Schranz

Récemment, plusieurs villes suisses ont été marquées par l'émergence de nouvelles scènes de la drogue. Avec elles, une hausse des petits vols et des cambriolages, comme Blick l'avait relaté lors d'un reportage à Soleure, ville suisse à la plus haute proportion de délits par habitants.

Patrick L.*, la trentaine, connaît bien ce milieu. Dealer depuis plus de dix ans, il a manipulé toutes sortes de substances et en consomme lui-même à l’occasion. Il a accepté de raconter son «métier» à Blick, sous des conditions strictes. Et pour cause, l’homme prend de gros risques en se confiant ainsi. Son lieu de résidence, ainsi que toutes les informations permettant de l'identifier sont tenus secrets.

Tisane et cocaïne

Patrick L. vit dans un joli quartier de banlieue du Canton de Berne. Poli et souriant, l'homme nous sert une tisane aux herbes. Mais derrière cette allure soignée se cache une autre réalité. Et il ne tarde pas à la révéler: à peine lui a-t-on posé les premières questions, qu'il sort une série de documents ainsi qu'un petit sachet de poudre blanche qu'il dépose sur la table

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La Suisse est actuellement inondée de cocaïne
Patrick L., dealer
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«La Suisse est actuellement inondée de cocaïne», affirme-t-il. «95 % de pureté, si vous voulez tester. Les prix baissent, alors il faut miser sur la qualité, sinon les clients s’en vont.»

La police, il la connaît. Il y a quelque temps, il a été interpellé avec plusieurs kilos de cannabis, comme en témoigne une ordonnance pénale qu'il a conservée chez lui. Quelques années plus tôt, il avait déjà été arrêté avec une quantité importante d’ecstasy. Le reste du temps, reconnaît-il, il a eu de la chance.

Son premier contact avec la drogue, il l'a eu en tant que consommateur. Il fumait du cannabis. Cherchant un moyen de s'en procurer gratuitement, il s'est mis à en acheter plus qu’il n’en consommait. L'objectif? Vendre à ses connaissances et garder le surplus pour lui.

«Tailler ces fichues feuilles, ça prend des jours»

Son affaire a alors pris de l’ampleur, et sa clientèle s’est élargie. Il a commencé à cultiver lui-même du cannabis. Pour cela, il louait différents appartements, installait des lampes et plantait des boutures. Pour masquer l’odeur, il utilisait des filtres à charbon actif. «Le jardinage rend à moitié fou, tailler ces fichues feuilles, ça prend des jours», lâche-t-il.

Patrick L. dispose également d'un emploi «traditionnel», qu'il n'a jamais quitté. Son trafic, il l'a développé en parallèle. Avec trois «associés», il a investi 40’000 francs dans du matériel afin de mettre en place une plantation.

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Le respect qu’on accorde à un gangster m’a plu
Patrick L., dealer
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Ensemble, ils ont loué un bâtiment isolé dans le canton de Berne. Ils y ont cultivé du cannabis à grande échelle En un an, ils auraient engrangé 400’000 francs de chiffre d’affaires, selon ses propres dires.

Le cinéma, élément déclencheur?

C’est le cinéma qui aurait fait basculer Patick L. «J'ai été attiré dès mes 11 ans par un film de gangsters hollywoodien», raconte-t-il. «Le respect qu’on accorde à un gangster m’a plu.» Quand il parle, il s'emballe vite. Il assure toutefois qu’il était bon élève. «Mais je me suis vite ennuyé.»

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Certains vendent du vin, moi je vends des produits illégaux
Patrick L., dealer
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Patrick L. décrit son activité comme le ferait n'importe quel comptable en entreprise: chiffre d’affaires, bénéfices. «Certains vendent du vin, moi je vends des produits illégaux», dit-il. Cannabis, amphétamines, cocaïne, LSD, ecstasy… «Je veux offrir le meilleur, comme un bon caviste.»

«Les consommateurs? Je ne les connais pas»

Enfreindre la loi ne lui pose-t-il pas plus de problème? «Je ne force personne à acheter de la cocaïne», rétorque-t-il. Mais il concède parfois avoir mauvaise conscience. «Je n'ai plus forcément de contact avec le consommateur final.» En fait, Patrick L. opère souvent en tant qu'intermédiaire: il se contente de réceptionner et de redistribuer des paquets, sans toucher à la marchandise.

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L’un de mes collaborateurs envoie chaque mois plusieurs centaines de francs à une famille aux Philippines qui l’avait accueilli en vacances, pour équilibrer son karma
Patrick L., dealer
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Il sait que des gens meurent à cause des drogues qu’il écoule. Mais il estime aussi œuvrer pour le bien. «L’un de mes collaborateurs envoie chaque mois plusieurs centaines de francs à une famille aux Philippines qui l’avait accueilli en vacances, pour équilibrer son karma», explique-t-il. Patrick L., lui, se dit peu concerné par les consommateurs. «Je ne les connais pas.»

Pas besoin de violence quand on est un bon commerçant

Il jure n’avoir jamais eu recours à la violence. De l’argent, il n'en a perdu qu’une seule fois, lorsqu’un client a disparu dans la nature. «Je suis simplement un bon commerçant», estime-t-il. «Quand on s’entoure de bonnes personnes, on établit un lien de confiance. »

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Si tu fais ça tout le temps, tu deviens parano
Patrick L., dealer
»

Soudain, Patrick L. se montre beaucoup plus nerveux. Il s’inquiète d’avoir révélé trop de détails sur son identité au cours de l’entretien. Puis il se calme, reprend son souffle et nous propose à nouveau du thé.

Pour rester en bonne santé, il fréquente la salle de sport. Cela fait longtemps qu'il ne fume plus. Il s’accorde aussi régulièrement des pauses, parfois une année entière sans trafic, en se limitant à l'exercice de son travail régulier.

Mais Patrick L. ne conseille à personne d’emprunter sa voie. «Si tu fais ça tout le temps, tu deviens parano», prévient-il. Pas encore quadragénaire, il a déjà mis de côté un demi-million de francs. Le véritable prix, dit-il, ce sont les consommateurs qui le paient.

*Nom d'emprunt

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