A peine annoncé, le train de nuit Bâle–Malmö déraille déjà: malgré l'enthousiasme des premiers acheteurs depuis trois semaines, son lancement prévu pour avril 2026 vacille. Le projet dépend encore d'un soutien fédéral de 47 millions de francs jusqu'en 2030, financés par la loi sur le CO2.
Le Conseil des Etats a rejeté les subventions, le Conseil national se prononcera lundi. S'il refuse, le train de nuit ne circulera pas.
Pourquoi ce manque de profit?
Selon l'expert en transport de la Zurich University of Applied Sciences (ZHAW) Thomas Sauter-Servaes, les Suisses sont les champions d'Europe des voyages en train – aucun autre pays n'utilise autant le transport ferroviaire. Chaque Suisse parcourt en moyenne 2'500 kilomètres par an en train.
Les voyages en train de nuit sont également très appréciés. La demande dépasse l'offre, en particulier pendant les jours fériés et les périodes de vacances, comme indiquent les CFF. «Le train de nuit a certes un grand potentiel structurel, mais la situation actuelle rend sa rentabilité très difficile», explique Thomas Sauter-Servaes.
Même si la demande explose, les trains de nuit restent difficiles à rentabiliser. Leur exploitation coûte cher et chaque rame ne circule qu'une fois par jour, restant inutilisée le reste du temps. A l'inverse, un avion peut desservir une même destination plusieurs fois par jour. Par exemple, sur la liaison Zurich-Berlin, un trajet en train de nuit équivaut à six ou sept vols quotidiens. Avec un taux d’utilisation limité et peu de places disponibles, les recettes ne couvrent pas les coûts, d'où la nécessité de subventions fédérales.
Des voyageurs qui passent leur nuit assis
Thomas Sauter-Servaes estime que «la concurrence entre rail et aviation est faussée». Les compagnies aériennes ne couvrent qu'une petite partie de leurs coûts climatiques, ce qui revient à une subvention indirecte de l'Etat. Selon lui, si les transporteurs payaient le coût social réel du CO2 – 880 euros la tonne d'après l'Office fédéral allemand de l'environnement – les billets d'avion seraient nettement plus chers. Même avec le prix recommandé de 300 euros la tonne, le train de nuit deviendrait immédiatement plus avantageux.
Des faiblesses internes compliquent aussi l'exploitation. Les wagons restent longtemps immobilisés: le matériel roulant dédié aux trains de nuit est «terriblement inefficace», souligne Thomas Sauter-Servaes, puisqu'il passe la moitié de la journée à l'arrêt. Autre problème et non des moindres, les CFF ne possèdent pas leurs propres rames de nuit et dépendent de leurs partenaires comme les Chemins de fer fédéraux autrichiens (ÖBB), déjà très sollicités. Résultat: en cas de panne, il est souvent impossible de disposer d'un service de remplacement.
Par conséquent, les clients sont directement impactés: les wagons-couchettes sont régulièrement hors service et les passagers, relégués à des places assises à la dernière minute, doivent passer la nuit assis, malgré une réservation différente.
Thomas Sauter-Servaes plaide pour un «A320 des trains de nuit»: un train flexible, performant et standardisé, utilisable partout en Europe à moindre coût. Mais le réseau ferroviaire européen est un patchwork: règles, systèmes de contrôle et types d'alimentation varient. Qui plus est, les travaux provoquent souvent déviations, annulations et retards.
Le train de nuit comme alternative écologique
Mais malgré ces nombreux problèmes, Thomas Sauter-Servaes en est convaincu: les voyages en train de nuit en valent la peine. «Si vous voulez voyager à travers l'Europe en respectant le climat, vous ne trouverez guère de meilleure solution.»
Grâce à l'électricité verte et à la faible friction, le train de nuit est pratiquement imbattable sur le plan écologique. «L'empreinte carbone du train de nuit est environ 20 fois inférieure à celle de l'avion», explique l'expert en transport.
Mais pour mettre ce projet sur la voie, il faut une vraie volonté politique. «Les trains de nuit modernes peuvent être rentables, si nos élus garantissent des conditions de concurrence équitables», souligne-t-il.