Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis (PLR) a remporté une bataille à Bruxelles. Après des années de négociations, l'accord de plus de mille pages avec l'Union européenne (UE) est enfin disponible. S'il est adopté, de nouvelles règles s'appliqueront entre la Suisse et l'UE. Les anciens accords ont été révisés et de nouveaux ajoutés. En cas de litige, un tribunal arbitral tranchera. De son côté, la législation suisse évoluera aussi: une clause de sauvegarde vise à limiter temporairement l'immigration. Mais qu'en pensent les acteurs principaux?
A la fin de la procédure de consultation, au cours de laquelle les partis, les associations et les cantons ont pu exprimer leur opinion, Blick s'est penché sur la place du marché politique. Voici un aperçu des tendances actuelles.
Les hallebardiers en furie
Dans sa lutte contre Bruxelles, l'Union démocratique du centre (UDC) se rallie à un nouveau symbole: la hallebarde. Depuis que le Conseil fédéral a approuvé l'accord avec l'UE en décembre dernier, cette arme médiévale suit le chef de l'UDC Marcel Dettling comme son ombre.
Que ce soit au lancement de la campagne sur la Place fédérale, lors des congrès du parti ou en faisant griller des cervelas au-dessus de traités européens brûlés, leur hallebarde est partout. Elle orne même le revers de veste des membres de l'UDC. Le parti mène son combat contre le «traité d'asservissement» avec une détermination et une ténacité sans faille. Sa devise: «Pas de prisonniers!»
Le parti est soutenu par différentes organisations critiques envers l'UE, parmi lesquelles le Comité Kompass. Dirigé par trois milliardaires, ce comité veut soumettre les référendums sur l'UE à un vote majoritaire dans les cantons par le biais d'une initiative populaire. L'accord sur l'UE est déjà en péril: si les citoyens votent «oui» à l'initiative de l'UDC «Non à la Suisse à 10 millions» avant le référendum, l'accord serait de facto caduc.
Les convaincus divisés
Le Parti vert'libéral (PVL) et l'Operation Libero seraient prêts à faire du porte-à-porte pour vanter les mérites de l'accord européen. Le paquet garantit l'accès au marché, renforce le poids de la Suisse et instaure des règles équitables, affirment les Vert'libéraux. De son côté, l'Operation Libero défend l'accord, le qualifiant de «compromis équilibré».
Malgré tout, les partisans inconditionnels de l'accord se font rares. Même parmi les voix généralement favorables, il y a des critiques. De plus, le PVL est le plus petit groupe parlementaire. Mais si l'élection est serrée, leurs votes pourraient faire la différence.
Les alliés décisifs
«L’approche bilatérale est la meilleure voie à suivre», affirment en chœur le PLR et le Centre. Les deux partis veulent poursuivre cette voie bilatérale pour le libre-échange et la liberté du travail. Mais même dans leur camp, une part non négligeable de hallebardiers pourraient se ranger aux côtés de l'UDC lors de la campagne de votation. Au PLR, ils sont un bon quart, et probablement tout autant au Centre.
C'est pourquoi les dirigeants de partis redoublent d'efforts pour garder les sceptiques dans leurs rangs. Puisque les traités européens ne sont plus modifiables, il faut améliorer la politique intérieure et l'utiliser comme levier d'action. Par exemple, le Centre veut «ancrer une clause de sauvegarde encore plus solide et basée sur la Constitution». Le PLR, quant à lui, veut intégrer une garantie de souveraineté comme mécanisme de sauvegarde. En d'autres termes: sept ans après l'entrée en vigueur des accords, les électeurs devront décider si les reconduire ou non en se rendant aux urnes.
Si les deux partis parviennent à rallier une large majorité de leurs électeurs, leur poids politique influencera de manière décisive le référendum. S'ils défendent et consolident la voie bilatérale pour l'avenir, ils deviendront de véritables faiseurs de rois.
Les défenseurs des salaires
La position des syndicats et du parti socialiste (PS) est longtemps restée un mystère, mais ils semblent à présent s'allier au PVL, au PLR, au Centre et aux Vert-e-s en faveur des accords européens, à condition que les salaires soient équitables.
Les guerriers des salaires, proches du patron des syndicats et conseiller aux Etats Pierre-Yves Maillard (PS), conditionnent leur approbation au plan de protection des salaires. L'accord avec l'UE à lui seul menace le niveau des salaires en Suisse. C'est pourquoi le dispositif suisse de sauvegarde des salaires doit être renforcé par 14 mesures de politique intérieure. Si ces mesures sont adoptées, l'aile gauche du parti sera consolidée et l'ancienne alliance PS-PLR-Centre pourrait de nouveau jouer un rôle déterminant dans le cadre des Bilatérales III.
Les quémandeurs frustrés
D'autres personnages hauts en couleurs veulent tirer leur épingle du jeu. Le secteur de l'électricité a longtemps milité pour un accord spécifique et le voici enfin: la Suisse est autorisée à participer au marché européen de l'électricité. En parallèle, elle doit ouvrir ce marché pour que chacun soit libre de choisir son fournisseur d'électricité.
Pourtant, les critiques fusent chez les représentants du secteur électrique. Ils craignent une bureaucratie excessive et un «final à la suisse». En effet, les nouvelles règles sont plus strictes que celles de l'UE. D'ailleurs, les syndicats, menés par Pierre-Yves Maillard, s'opposent totalement à l'accord sur l'électricité, jugé trop libéral. Mais cet enjeu reste un point technique et secondaire, car l'accord sera soumis à un vote séparé.
Les agriculteurs prudents
Les agriculteurs, surtout l'importante Union suisse des paysans, restent sur leurs gardes. S'ils considèrent l'approche bilatérale comme la seule option envisageable, ils ne se prononcent ni en faveur ni contre l'accord avec l'UE. Nombre d'entre eux sont proches de l'UDC, un allié anciennement important lors du rejet de l'accord sur l'Espace Economique Européen (EEE) il y a plus de 30 ans.
Mais aujourd'hui, le groupe d'intérêt agricole, parmi lesquels Migros, Coop, Emmi et Bell, affirme que les nouveaux contrats sont «viables». Les agriculteurs tenteront probablement d'obtenir des concessions particulières lors des négociations parlementaires.
Les multi-casquettes sous pression
Nul ne sait si Markus Dieth, conseiller du gouvernement d'Argovie, parviendra à concilier plusieurs fonctions. Ce qui est certain, c'est qu'en tant que président de la Conférence des gouvernements cantonaux, il doit jongler avec les différents intérêts des cantons. Une large majorité soutient les traités, mais un désaccord persiste quant à la majorité des cantons nécessaire: le peuple doit-il décider seul, ou une majorité de cantons est-elle aussi nécessaire?
Quinze cantons ont voté pour un vote sans majorité des cantons, tandis que dix ont voté pour un vote à la majorité. Le canton de Berne n'a exprimé aucune préférence. Même si une majorité est favorable à l'idée qu'un vote populaire fasse l'affaire, c'est insuffisant pour que la conférence prenne une position claire. Des débats sont donc inévitables.