Les radios privées fulminent
Après son rétropédalage sur la FM, la SSR est menacée de poursuites judiciaires

La SSR envisage un retour sur la bande FM après l'effondrement de ses audiences. Mais ce revirement se heurte à de fortes résistances: les radios privées menacent désormais de recourir à la justice si une autorisation exceptionnelle est accordée.
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Fin 2024, la SSR mettait fin à la diffusion de ses programmes en FM. Elle souhaite désormais revenir en arrière.
Photo: Keystone
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Marco Lüssi

Mardi, le Conseil des Etats a décidé de suspendre l'arrêt de la diffusion de la bande FM, une véritable victoire pour les radios privées. Mais deux jours plus tard, coup de théâtre: la SSR a annoncé, elle aussi, vouloir rétablir ses programmes sur la bande FM, ceci après avoir perdu plusieurs centaines de milliers d’auditeurs depuis le passage exclusif au DAB+ et à internet à la fin de l'année 2024.

Mais entre l’annonce et la réalisation effective de ce grand retour à la FM, le chemin s’annonce long. La SSR reste très vague sur les modalités concrètes de ce rétablissement. Les questions liées au calendrier et à la mise en œuvre sont jugées «prématurées». L’entreprise publique dit attendre «les nouvelles directives réglementaires du Conseil fédéral et de l’Office fédéral de la communication (OFCOM)», comme l’explique son porte-parole Nik Leuenberger à Blick.

La SSR a besoin d’une autorisation exceptionnelle

Actuellement, la SSR ne dispose plus de concession radio FM. En revanche, les autres stations qui y recourent encore bénéficient d’une autorisation valable jusqu’à fin 2026. Si la SSR souhaite revenir sur la bande FM avant 2027, elle devra donc demander une autorisation exceptionnelle à l’OFCOM. Une démarche qui n’a pas encore été effectuée, confirme l’OFCOM à la demande de Blick

Même si une telle requête devait être déposée et acceptée, rien ne dit qu'elle ne ferait pas l'objet d’un recours. «En principe, ce type de décision peut être contesté», indique l’OFCOM. Dans le secteur, tout le monde ne voit pas d’un bon œil un retour anticipé de la SSR sur la FM. Les radios privées ont profité de l’abandon de la FM par la SSR pour gagner des auditeurs, lesquels pourraient se tourner à nouveau vers les chaînes du service public. Un renouveau de la FM serait en outre désavantageux pour les stations diffusant exclusivement en DAB+.

Les radios privées menacent d’actions juridiques

L’Association suisse des radios privées ne souhaite pas empêcher la SSR de revenir sur la FM avant 2027, explique son directeur Peter Scheurer. Mais «si la SSR obtient une autorisation exceptionnelle, nous veillerons de très près à ce que tout se déroule correctement sur le plan juridique». L’objectif est notamment d’éviter que la SSR ne bénéficie d’un avantage concurrentiel par rapport aux radios privées qui devront se battre pour obtenir une nouvelle concession à partir de 2027.

Reto Wettstein, propriétaire de la petite station Radio2Go.CH et député du Parti libéral-radical (PLR) au Grand conseil (législatif) du Canton d'Argovie, est bien plus catégorique. Il s’oppose fermement à toute autorisation exceptionnelle. «Dans un Etat de droit, tout le monde doit être traité sur un pied d’égalité», affirme-t-il. Il ne doit donc pas y avoir de possibilité supplémentaire pour la SSR qui ne soit pas prévue par la loi.» Dans une lettre adressée à l’OFCOM et consultée par Blick, Reto Wettstein annonce qu’«toute décision accordant à la SSR une autorisation exceptionnelle ou une réattribution anticipée des fréquences OUC restituées sera contestée dans les délais par les voies de droit».

«Une gigantesque destruction de la redevance»

Pour Reto Wettstein, le retour de la SSR sur la FM serait de toute façon une «énorme erreur». «C’est une gigantesque opération de destruction de la redevance», estime-t-il. Selon lui, la SSR perdrait toute crédibilité en tant que moteur de la numérisation. «Il aurait mieux valu offrir un appareil DAB+ à chaque personne qui n’en possède pas encore, avec un logo de la SSR si nécessaire. Cela aurait été plus sympathique et même moins cher.»

Mais l’obtention d’une autorisation n’est pas le seul obstacle. Les défis techniques sont également considérables. Lors de l’arrêt de la bande FM, la SSR a démantelé ses infrastructures de diffusion. Il faudrait désormais les réinstaller, ce qui nécessite au préalable des permis de construire. Le processus pour les obtenir est long et coûteux. On ignore si les installations démontées ont été conservées, déjà vendues ou mises au rebut. La SSR ne souhaite pas répondre à ces questions. Une chose est sûre: la reconstruction coûterait plusieurs millions de francs, selon l’ampleur de la couverture FM que la SSR souhaiterait rétablir.

Un dilemme stratégique

Le pionnier de la radio Roger Schawinski déconseille à la SSR de rétablir une couverture FM complète. «Il n’est pas nécessaire que la deuxième chaîne radio romande soit audible dans le Val Müstair», estime-t-il. Selon lui, la SSR pourrait se limiter aux premières chaînes et aux stations d’information régionales. «Cela permettrait d’économiser beaucoup d’argent au niveau de la redevance».

Reste une question centrale: la SSR peut-elle se permettre de ne remettre en service qu’une partie de ses programmes, ou de n’assurer une couverture FM que dans les régions les plus peuplées? Le mécontentement sera-t-il plus fort si certains auditeurs restent privés de leur station favorite malgré l’annonce d’un retour de la FM, ou lorsque l’on connaîtra le coût réel d’une couverture nationale complète, y compris dans des régions où l’audience est marginale?

Une pression accrue sur les autorités

Une chose est certaine: les décisions à venir placent la direction de la SSR, et notamment sa directrice Susanne Wille, face à des arbitrages délicats. Même constat pour le directeur de l’OFCOM, Bernard Maissen. Alors qu’il devrait préparer son départ à la retraite au printemps 2026, il doit désormais piloter l’élaboration de la procédure d’attribution des nouvelles concessions FM à partir de 2027. L’OFCOM communiquera sur les détails dans les prochaines semaines.

De son côté, l’association Unikom, qui représente les radios numériques, observe la situation avec inquiétude. Elle craint d’être désavantagée par rapport aux radios FM et envisage de déposer une plainte auprès de la Commission de la concurrence.

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