La flemme des parents?
En Suisse, l'apprentissage du vélo se perd chez les enfants et les ados

En Suisse, le nombre d’enfants capables de faire du vélo a drastiquement diminué. Un signe préoccupant pour un pays qui souhaite valoriser la mobilité durable. Alors comment renverser cette tendance?
Publié: 28.10.2025 à 05:56 heures
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Selon l'enquête sur la mobilité de la Confédération, l'utilisation du vélo chez les jeunes a diminué de moitié depuis 1994.
Photo: Keystone
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Lino Schaeren

On dit souvent que faire du vélo, ça ne s'oublie pas. Pourtant, en Suisse, de moins en moins d'enfants savent en faire. Une contradiction frappante dans un pays qui prône la mobilité douce, à la fois durable et active. Car celui qui n'a jamais appris à se déplacer en vélo en plein trafic préfèrera plus tard rester bien confortablement assis dans sa voiture. Les habitudes de mobilité se forgent dès le plus jeune âge, et marquent durablement les comportements futurs.

Roger Bader sait de quoi il parle. «Lorsque nous commençons à préparer l'examen de vélo en quatrième année, de plus en plus d'enfants ne sont encore jamais montés dessus», déclare le chef du service Instruction routière de la police cantonale de Soleure. 

Le quinquagénaire assiste à ce changement depuis des années. Ce qui allait de soi autrefois montre aujourd'hui un écart flagrant au sein des classes d'école. Et le problème ne concerne de loin pas que de Soleure. Une enquête auprès des cantons dresse un bilan général alarmant: les capacités de conduite diminuent, encore plus dans les villes qu'à la campagne.

Les parents éduquent des passagers, pas des cyclistes

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Selon l'enquête sur la mobilité de la Confédération, l'utilisation du vélo par les enfants et les adolescents a diminué de moitié depuis 1994. Aujourd'hui, moins d'un jeune de 13 à 15 ans sur cinq se met quotidiennement en selle. «De nombreux enfants continuent de rouler tôt et en toute sécurité, mais en même temps, le nombre d'élèves qui ne peuvent pas garder l'équilibre en raison de déficits moteurs augmente», observe Roger Bader.

L'expert en transports évoque un écart qui ne cesse de se creuser. Et pour lui, la responsabilité incombe aux parents. «Faire du vélo n'est plus une priorité pour de nombreux parents. Ils confient cette tâche à l'école». Avec le développement des appareils numériques, les enfants passent également bien plus de temps à l'intérieur. 

Mais le comportement des parents reste déterminant. Diverses études le montrent: ceux qui prennent la voiture, même pour de courts trajets, élèvent de petits passagers plutôt que des cyclistes. L'éducation surprotectrice de certains parents jouent aussi un grand rôle.

Une étude réalisée en 2021 par l'Université de Lausanne sur mandat de la Confédération est aussi parlante: l'utilisation du vélo dépend fortement de l'ADN familiale et sociale. Les jeunes sont plus enclins à faire du vélo si leurs parents et leurs amis en font autant. Et plus le niveau de formation des parents est élevé, plus l'attitude envers le vélo est positive. 

Refaire du vélo un enjeu éducatif

«Devant le jardin d'enfants, j'aborde dix parents qui amènent leurs enfants en voiture, confie Roger Bader. Huit me disent qu'ils ne sont là qu'aujourd'hui, à titre exceptionnel. Le lendemain, les mêmes huit voitures sont de nouveau là...» Mais ce transport bien intentionné a des conséquences: les enfants bougent moins et n'apprennent pas l'autonomie.

Anne Bernasconi, responsable de l'alliance Ecole+Vélo chez PRO VELO Suisse, observe également cette évolution avec inquiétude. Elle déplore une transition trop unilatérale dans la politique des transports: la nouvelle loi sur les pistes cyclables renforce l'infrastructure, certes, mais il faudrait aussi accorder plus de moyens à la formation et à la promotion de la mobilité douce. «Nous avons besoin d’un plan d’investissement global qui renforce aussi la culture du vélo, par exemple à travers l’enseignement de la circulation», souligne-t-elle.

Anne Bernasconi plaide pour que le vélo soit enfin reconnu comme un véritable enjeu éducatif. «Les parents devraient idéalement apprendre à leurs enfants à faire du vélo, mais la réalité sociale a changé. Un engagement plus fort de l’école serait donc bienvenu», souligne-t-elle. 

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Les enfants adorent toujours le vélo. Encore faut-il leur donner l'occasion d'en faire
Anne Bernasconi, responsable de l'alliance Ecole+Vélo à PRO VELO Suisse
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Elle propose d’accorder au vélo la même place que la natation dans les programmes scolaires — avec, pourquoi pas, des camps de vélo en complément des traditionnels camps de ski. «Ce que je continue de constater heureusement, c'est que les enfants adorent toujours le vélo. Mais encore faut-il leur donner l’occasion d'en faire», insiste-t-elle.

Contrôles et prêts de vélos gratuits

Pour Anne Bernasconi, la commune de Köniz, dans le canton de Berne, est un exemple à suivre. Un projet local y propose des contrôles de sécurité gratuits pour les vélos des enfants et met des bicyclettes à disposition de ceux qui n’en possèdent pas.

Köniz a en outre constitué un pool d'auxiliaires qui accompagnent les classes lors d'excursions à vélo ou de trajets vers la piscine, déchargeant ainsi les enseignants. Des interdictions de circuler pour les voitures ont également été introduites autour des bâtiments scolaires. 

«Je souhaite que cette initiative inspire d'autres communes», déclare Anne Bernasconi. Elle en est convaincue: ce n'est que si les parents, l'école et les autorités travaillent ensemble que les enfants se remetteront en selle.

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