L'éclairage d'un expert
Avons-nous sous-estimé la violence d'extrême gauche en Suisse?

Une manifestation pro-palestinienne a dégénéré ce week-end à Berne. Dix-huit policiers ont été blessés, certains grièvement. La Suisse a-t-elle sous-estimé la violence d’extrême gauche? Comment y répondre? Blick a posé la question à Dirk Baier, criminologue. Interview.
Publié: 18:50 heures
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Une manifestation non autorisée en faveur de la Palestine a semé la désolation samedi à Berne.
Photo: PETER KLAUNZER
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Sandra Marschner

Les violences survenues samedi lors d’une manifestation pro-palestinienne à Berne ont choqué partout en Suisse. Dix-huit policiers ont été blessés, dont plusieurs grièvement. Des vitrines ont été brisées et le restaurant Della Casa a été incendié alors que des clients s’y trouvaient encore. Dans les rues, les affrontements ont pris des allures de scènes de guerre.

Ces émeutes ont provoqué de nombreux dégâts dans la capitale fédérale, provoquant une vague d’indignation. Désormais, des voix s’élèvent pour interdire les groupes antifascistes et durcir la loi sur le renseignement.

Mais à quel point la violence d'extrême gauche est-elle présente en Suisse? Et comment faire face à ce phénomène? Blick a posé la question à Dirk Baier, criminologue à la Haute école zurichoise des sciences appliquées.

Dirk Baier, a-t-on sous-estimé la violence d’extrême gauche en Suisse?
La violence de gauche est un phénomène récurrent en Suisse. Il suffit de penser aux affrontements répétés autour de la Reitschule à Berne ou encore aux émeutes survenues à Zurich en septembre, sur le site de la caserne. Cette violence existe bel et bien, mais je ne pense pas qu’elle soit sous-estimée. Le défi, pour la police, réside surtout dans la gestion de rassemblements comptant plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles se trouvent des individus très enclins à la violence. Dans de telles situations, les débordements sont presque inévitables.

Dans quels domaines cette violence a-t-elle particulièrement augmenté?
Selon le Service de renseignement de la Confédération (SRC), les actes violents d’extrême gauche n’ont pas véritablement augmenté. En 2024, on en a recensé 60, contre un pic de 115 en 2019. Ces chiffres fluctuent, sans qu’on puisse dégager une tendance claire. La majorité de ces violences concernent des dégradations matérielles. Les agressions physiques sont plus rares. Lorsqu'ils surviennent, ils visent principalement les policiers et, plus rarement, des militants d’extrême droite.

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Il ne faut pas mettre tous les manifestants propalestiniens – ni toutes les personnes d’extrême gauche – dans le même sac. La grande majorité est pacifique et non violente
Dirk Baier, criminologue
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Les manifestants pro-palestiniens sont-ils fondamentalement enclins à la violence, ou des éléments violents se mêlent-ils simplement aux participants pacifiques?
Il ne faut pas mettre tous les manifestants propalestiniens – ni toutes les personnes d’extrême gauche – dans le même sac. La grande majorité est pacifique et non violente. Mais il est clair qu'à Berne, certains individus cherchant délibérément l’affrontement avec la police se sont mêlés aux manifestants pacifiques. Impossible toutefois de dire si leur proportion était particulièrement élevée. Quant à leurs motivations, elles varient: certains agissent par conviction idéologique, persuadés que la violence est un moyen d’action nécessaire, d’autres recherchent avant tout le frisson que procure la confrontation.

Comment ces groupes s’organisent-ils? Ou bien cette violence est-elle surtout spontanée?
Il existe deux formes de violence. D’abord, la violence organisée. Les groupes d’extrême gauche utilisent les réseaux sociaux pour s’organiser et coordonner leurs actions. Les «Black Bloc» en sont un parfait exemple: ils cherchent systématiquement à provoquer des heurts et à s’en prendre aux forces de l’ordre. Ensuite, il y a la violence «réactive»: elle est le fait de manifestants normalement pacifiques qui, jugeant l’intervention policière excessive ou injustifiée, jugent finalement légitime de répondre par la force.

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Des mesures plus dures peuvent apaiser la situation à court terme, mais elles ne constituent pas une solution durable. En raison des effets de solidarité qu’elles suscitent, elles risquent même d’aggraver le problème
Dirk Baier, criminologue
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Comment la politique doit-elle réagir face à de telles violences? Faut-il des mesures plus sévères?
Des mesures plus dures peuvent apaiser la situation à court terme, mais elles ne constituent pas une solution durable. En raison des effets de solidarité qu’elles suscitent, elles risquent même d’aggraver le problème. En revanche, le maintien de l'ordre est nécessaire et indispensable en cette période. Les auteurs de dommages matériels ou d'agressions contre des policiers doivent être identifiés et sanctionnés. Ces mesures-là peuvent avoir un effet dissuasif. 

Quelles sont les mesures préventives qui pourraient être mises en place?
Il faut d’abord éviter que les jeunes développent un regard positif vis-à-vis de la violence, notamment à travers des programmes de prévention dans les écoles. Ensuite, il est essentiel de mieux surveiller la communication sur les réseaux sociaux. Car ceux-ci voient circuler des récits qui favorisent la radicalisation. Les contenus problématiques doivent être davantage encadrés et des contre-discours doivent être proposés. Il faut une réponse active aux messages de l’extrême gauche pour éviter qu’ils ne s’ancrent dans l’esprit des jeunes.

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