«Genève est une ville où il n’y a pas un seul angle qui ne soit pas sous surveillance, pour s’assurer que tout le monde respecte les règles», si l’on en croit le dernier rapport de l’institut pluridisciplinaire Edgelands. Ce dernier s’est donné pour mission de faire un état des lieux de la surveillance numérique et de la sécurité urbaine au bout du lac.
L’international et pluridisciplinaire Edgelands est né sur le campus d’Harvard, avant de venir s’installer à Genève. En plus de la Cité de Calvin, l’organisation s’est déjà intéressée à la sécurité de localités telles que Medellín, Nairobi et Singapour. L’étude qui porte sur la ville romande a principalement été financée par des fondations privées, locales ou suisses, telles que la Fondation Hans Wilsdorf, par exemple. Le but, en bref? «Etudier l’impact d’une surveillance de plus en plus numérique sur le vivre ensemble, sur le contrat social», explique Bernard Rappaz, ancien journaliste, et l’une des chevilles ouvrières du projet.
«On est partis du simple constat que la sécurité est de plus en plus numérisée: des caméras de surveillance aux logiciels de reconnaissance faciale, en passant par les données personnelles collectées sur le web ou encore les QR codes, par exemple.» En plus d’alerter sur les différents modes de surveillance qui existent, le rapport nous dit ce qu’en pense la population locale.
Et les constats tirés de cette étude interpellent. Alors que les rues de la ville sont jugées (très) sûres par ses habitants, 75% des Genevoises et des Genevois se sentent en insécurité numérique, et la plupart estiment que les autorités ne sont pas assez compétentes en la matière pour protéger la population (face aux GAFAM, par exemple).
Souriez, vous êtes pisté
Lorsqu’il s’agit de sécurité physique, selon le rapport, la Cité de Calvin dort bien sur ses deux oreilles. De manière générale, «seul un petit pourcentage de la population genevoise considère les problèmes de sécurité comme la principale préoccupation». Ceci grâce à la bonne image de la police et… aux nombreuses caméras de surveillance dans les rues, selon le rapport d’Edgelands.
Combien y en a-t-il, de caméras dans les rues de Genève, au juste? Et à qui appartiennent-elles? Bernard Rappaz botte en touche: «Franchement, nous avons été incapables de trouver ce nombre. Je ne suis même pas certain que les autorités en charge de la sécurité le sachent précisément, et c’est un problème symptomatique. En silence, sous nos yeux, une société de la surveillance se met en place – sans débat public.»
Interrogé par Blick à ce propos, le département de la sécurité, de la population et de la santé (DSPS) du canton de Genève rétorque quant à lui: «Nous dénombrons 2749 caméras sur l’ensemble du canton de Genève, appartenant à une quarantaine d’institutions publiques.» Mais ce chiffre est à prendre avec des pincettes, car il n'inclut pas les caméras privées. Or, selon le rapport d'Edgelands, Genève compte justement «plus de caméras privées que de caméras publiques dans les rues». Les autorités locales n’ayant pas la main sur les installations privées, les identifier et les dénombrer, c’est presque mission impossible.
Ce qui est certain, c'est que Genève est très surveillée. Peut-être même (bien) plus que d'autres villes en Suisse. Toujours selon le rapport, en 2018, le système de vidéosurveillance installé dans le quartier des Pâquis était considéré comme le «dispositif de caméras le plus étendu spatialement, et le plus avancé techniquement de Suisse, focalisé sur des espaces publics extérieurs, avec visionnage des images en temps réel».
Cherche politicien compétent en numérique
Grâce aux caméras qui sont sous le contrôle des autorités, et au travail de la police, la plupart des personnes interrogées par Edgelands considèrent donc la sécurité publique à Genève comme «un fait acquis». Mais, pour ce qui est de la sécurité numérique, c’est un autre son de cloche.
Bernard Rappaz explique: «Le grand constat que nous avons pu tirer de cette étude, c’est l’inquiétude de la population quant aux capacités des autorités à maîtriser la numérisation de la sécurité. Il y a une sorte de prise de conscience croissante par rapport à la perte de contrôle des politiques dans ce domaine – et c’est malheureusement une réalité.» Notamment en ce qui concerne la protection des données vis-à-vis des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft): les gens veulent se sentir mieux protégés par leurs élus.
On l’a dit: 75% des Genevoises et des Genevois ne se sentent pas en sécurité numérique. «S’il s’agissait du même chiffre pour la sécurité physique, les partis politiques se seraient déjà mieux emparés du problème… Genève ne réalise pas à quel point les gens se sentent démunis face à la digitalisation!», déplore celui qui a aussi été rédacteur en chef pour l’actualité TV et numérique de la RTS.
Il le dit clairement: cette étude est un appel à l’aide. «Les pouvoirs publics doivent prendre conscience des inquiétudes des gens face au numérique», souligne Bernard Rappaz. Et le débat doit sortir des cercles érudits, pour gagner les places publiques et le Parlement: «Nous avons aussi constaté la sécurité numérique à Genève est la prérogative d’une petite élite, d’un petit cercle d’experts, qui monopolise les discussions et le débat public. Le monde politique et la société civile ne sont pas assez impliqués.»
Une carte interactive pour sensibiliser
Pour alerter sur cette situation, en plus du rapport publié, l’institut Edgelands a mis en place une carte interactive, que vous pouvez consulter sur votre ordinateur ou – encore mieux – sur votre smartphone. Ce qui vous permettra de faire la balade proposée en temps réel.
Du Pont du Mont-Blanc à la Gare Cornavin, en passant par le Quai des Bergues, Manor et la Poste, un parcours virtuel vous sensibilise aux principales problématiques de la sécurité numérique. Métaphore à l’appui: avant, on envoyait des lettres par poste, via le postier. Facile. Mais combien sommes-nous à comprendre les mécanismes et les algorithmes qui régissent nos échanges virtuels, nos messages WhatsApp? Bien trop peu.