«Le Conseil fédéral doit se réveiller»
Andrea Gmür presse le Conseil fédéral à sortir le gros arsenal pour la sécurité

En tant que présidente de la Commission de la politique de sécurité, la centriste Andrea Gmür tire la sonnette d'alarme. Selon elle, le Conseil fédéral fixe les mauvaises priorités. Blick dévoile pourquoi elle recommande le service militaire à chaque jeune femme.
La conseillère aux Etats lucernoise Andrea Gmür à l'exposition «Fake News» au Musée des transports de Lucerne. «En matière de cyberdéfense, il est urgent de se renforcer.»
Photo: Kurt Reichenbach
Jessica Pfister
Schweizer Illustrierte

«Les fausses informations, appelées 'fake news', peuvent avoir des conséquences graves sur la formation de l'opinion publique dans un pays», déclare Andrea Gmür, conseillère aux Etats lucernoise, en parcourant l'exposition «Fake News» au Musée des transports de Lucerne. Pour la présidente de la Commission de la politique de sécurité (CPS) du Conseil d'Etat, une chose est sûre: «La Suisse doit en faire davantage pour se défendre contre les nouvelles menaces telles que les cyberattaques, la désinformation ou les drones.»

Andrea Gmür, êtes-vous une personne patiente?
(sourit) Je m'efforce de l'être.

En matière de sécurité, votre patience semble avoir atteint ses limites. Votre commission demande au Conseil fédéral de se réunir le plus rapidement possible à huis clos, afin de procéder à une analyse des dangers en matière de politique de sécurité. N'est-ce pas un peu alarmiste?
Non, au contraire. Il y a aujourd'hui plus de 120 conflits armés dans le monde, soit deux fois plus qu'il y a dix ans. Le Conseil fédéral doit enfin procéder à une analyse approfondie. Le fait que les responsables de la politique de sécurité – de gauche comme de droite – réclament à l'unanimité une réunion à huis clos montre à quel point il est urgent d'agir.

Qu'attendez-vous de cette réunion?
Des mesures visant à rétablir la capacité de défense du pays. Je constate d'importantes lacunes en matière de munitions. C'est absurde: nous avons des armes, mais pas de munitions pour les utiliser. Nous devons également renforcer notre défense contre les drones et les cyberattaques. Nous avons aussi besoin d'une protection contre les menaces spatiales et de nouvelles armes à longue portée.

En avril, le Conseil fédéral a convoqué une réunion à huis clos sur les droits de douane américains, et une autre cet été, sur la place économique. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas pour la sécurité?
Les finances sont sans aucun doute essentielles à la prospérité de notre pays. Mais si nous ne pouvons plus garantir la sécurité, la prospérité disparaîtra rapidement. Le Conseil fédéral devrait clairement redéfinir ses priorités. La sécurité devrait être la priorité absolue.

Depuis avril, votre collègue de parti Martin Pfister est ministre de la Défense. Ne s'impose-t-il pas suffisamment face à la cheffe des finances Karin Keller-Sutter au sein du comité?
La question n'est pas de savoir qui peut s'imposer. Il s'agit de savoir comment le Conseil fédéral fait avancer le pays et comment il peut protéger la population. Là, tout le monde tire à la même corde.

Le chef du DDPS Martin Pfister souhaite présenter la stratégie en matière de politique de sécurité à l'ensemble du Conseil fédéral d'ici à la fin de l'année.
J'espère vraiment qu'ils verront alors la nécessité d'agir. Le Conseil fédéral doit enfin se réveiller!

Jacques Pitteloud, chef de la mission suisse auprès de l'OTAN, a déclaré à la NZZ: «Chaque fois que j'atterris à Zurich, j'ai l'impression que ce pays vit dans un autre monde.» Selon lui, la prise de conscience de la gravité de la situation est étonnamment faible.
Je suis d'accord avec lui. Nous ne sommes pas une île de bienheureux. Depuis peu, des drones ne volent pas seulement en Ukraine, mais aussi au-dessus du Danemark, de l'Allemagne ou de la Belgique. J'en ai moi-même fait l'expérience récemment à Bruxelles.

Andrea Gmür a grandi à Wattwil (SG), mais siège désormais au Parlement pour le canton de Lucerne.
Photo: Kurt Reichenbach

Racontez-nous...
Je me suis rendue en Belgique dans le cadre d'une visite de travail sur le thème de la sécurité avec la présidente du Conseil national Maja Riniker et le président du Conseil des Etats, Andrea Caroni. Priska Seiler Graf, présidente de la Commission de la politique de sécurité du Conseil national, devait arriver un jour plus tard, mais son avion n'a pas pu atterrir car des drones d'origine inconnue volaient. Cela a entrainé la fermeture de l'aéroport de Bruxelles. C'était inquiétant à entendre. Je m'attends à ce que des drones survolent Zurich ou Genève d'un jour à l'autre.

N'est-ce pas exagéré?
Je ne veux pas semer la panique. Mais nous sommes déjà en pleine guerre hybride, avec de la désinformation et des fake news. Les drones inquiètent encore plus la population. Je suis étonnée de voir que notre gouvernement, qui est souvent en déplacement à l'international, ne s'en rende pas compte.

Vous avez proposé au Conseil fédéral un emprunt de sécurité afin d'obtenir davantage de fonds pour l'armée. Les investisseurs institutionnels, comme les caisses de pension, mais aussi les particuliers, devraient pouvoir investir dans l'armée. Le Conseil fédéral a rejeté cette proposition, en raison du frein à l'endettement.
Je préfère également dépenser nos ressources financiers autrement. C'est comme pour une assurance: nous payons beaucoup pour cela, souvent trop à mon avis. Mais lorsque le pire scénario se produit, nous sommes contents de l'avoir.

En parlant de coûts, les 36 avions de combat FA-35 commandés aux Etats-Unis coûtent 1,3 milliard de plus que prévu initialement. Il est désormais question de commander moins d'avions.
Le Conseil fédéral examine actuellement diverses options, j'attends le résultat. En ce qui concerne les coûts supplémentaires, j'aimerais rappeler la votation sur la ligne ferroviaire à travers les Alpes (NLFA). Au départ, il était question de dix à douze milliards, mais au final, elle a coûté deux fois plus. Et aujourd'hui, on ne peut plus s'en passer.

Un éventuel crédit supplémentaire devrait-il être à nouveau soumis au peuple?
Non, ce n'était pas non plus le cas pour la NLFA. La première votation sur les avions de combat n'était déjà pas nécessaire, on l'a soumise volontairement au peuple. Nous ne devrions pas continuer à perdre du temps inutilement. J'ai parfois l'impression qu'il doit se passer quelque chose pour que les gens se réveillent.

A Bruxelles, vous avez rencontré Marie-Agnes Strack-Zimmermann, la présidente de la Commission de la sécurité et de la défense du Parlement européen. A-t-elle critiqué la Suisse?
Outre la neutralité, la rigueur de la loi sur le matériel de guerre a été abordée. Elle s'est exprimée de manière très amicale, mais a clairement indiqué que cette loi posait un problème à tous les Etats. Personne ne veut plus commander d'armes chez nous, car elles ne peuvent plus être exportées. Nous sommes en train d'assouplir ces restrictions. Nous ne disposons pas d’une industrie de l’armement pour en tirer un avantage propre, mais afin de pouvoir compter sur le soutien de nos partenaires en cas d’urgence.

Ne risque-t-on pas que les armes tombent entre de mauvaises mains?
La loi actuelle est claire: nous ne devons pas fournir d'armes à des Etats qui violent gravement et systématiquement les droits humains.

La semaine dernière, la Confédération et les cantons ont simulé une crise majeure afin de tester leur capacité à réagir face à une menace. Un tel exercice a-t-il un sens si, selon vous, nous ne sommes de toute façon pas bien préparés?
Absolument. L'année dernière, par exemple, un exercice a été organisé dans lequel un avion de combat devait atterrir sur l'autoroute. Dans le cadre du dernier exercice, un membre de la Commission de la politique de sécurité m'a appelé. Son ordinateur avait été piraté, il n'était plus joignable que par téléphone. On se demande alors comment réagir dans de telles circonstances. Qui contacter et quand? Il est important de simuler les situations d'urgence.

«Un crédit supplémentaire pour les avions de combat américains ne doit pas être soumis une nouvelle fois au peuple», déclare Andrea Gmür devant un avion de combat F-5 Tiger de la Patrouille Suisse.
Photo: Kurt Reichenbach

Vous siégez à la Commission de la politique de sécurité depuis 2019. Qu'est-ce qui vous intéresse dans ce domaine?
La sécurité est synonyme de liberté. C'est pour moi l'un des biens les plus précieux. Compte tenu de la situation internationale actuelle, c'est pour moi la Commission la plus importante, même si elle est parfois difficile à gérer. Nous avons une grande responsabilité.

Traditionnellement, cette commission est dominée par les hommes, avec des conseillers aux Etats qui ont fait leur service militaire. L'avez-vous déjà ressenti?
Au début, je me disais parfois: «tu n'as pas fait ton service militaire, tu n'y connais rien». Aujourd'hui, je ne ressens plus cela.

L'armée manque non seulement d'argent, mais aussi de personnel. L'initiative «Service citoyen» ne serait-il pas un moyen d'y remédier, en instaurant un service obligatoire pour tous?
Pas du tout. Je trouve formidable que les jeunes s'engagent en faveur de cette initiative, mais le projet n'est pas mûrement réfléchi. Est-ce que la garde des jeunes, les scouts ou l'engagement comme entraîneur de football de juniors sont considérés comme un service à la société? Et combien de temps faut-il exercer cette activité pour qu'elle soit prise en compte?

En revanche, les femmes et les hommes seraient enfin mis sur un pied d'égalité!
70'000 personnes manqueraient sur le marché du travail. Je doute que celles-ci s'engagent dans l'armée. Aujourd'hui, les femmes font déjà beaucoup de travail bénévole. Tout ce système serait complètement chamboulé. Et puis, un service obligatoire général n'est pas la même chose qu'un service militaire obligatoire général!

Vous y seriez favorable?
Je pourrais y être favorable, mais je pense que le moment n'est pas encore venu. En Israël, le service militaire est obligatoire pour les femmes. Cela a des effets positifs sur leur carrière. Nulle part ailleurs, on ne trouve autant de jeunes femmes dans le secteur des start-up qu'en Israël.

Si vous étiez une jeune femme, feriez-vous votre service militaire aujourd'hui?
Pour moi, le 24 février 2022, date de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, a changé la donne. Avant, je n'aurais pas pu l'imaginer. Mais aujourd'hui, j'y réfléchirais à deux fois et je recommanderais à toutes les jeunes femmes de faire leur service militaire. Non seulement pour servir leur pays, mais aussi parce qu'elles peuvent en tirer d'énormes bénéfices en termes de leadership, d'esprit d'équipe ou de résistance au stress.

Articles les plus lus