«Situation difficile à comprendre»
La Suisse fait fuir le personnel soignant, ses voisins en profitent

La Suisse fait face à une pénurie critique de personnel soignant. L’accord sur les stagiaires permet aux professionnels étrangers de travailler temporairement dans le pays, mais ses limites freinent l’attractivité de la Suisse pour les soignants étrangers.
Publié: 17:58 heures
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En recrutant du personnel infirmier étranger, la Suisse priverait d'autres pays de personnel qualifié, estime Yvonne Ribi, directrice de l'ASI.
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Jeremy Goy

La Suisse est à la recherche de personnel qualifié, et la situation dans le domaine des soins est particulièrement critique. C’est dans ce contexte que l’accord dit «des stagiaires» est de plus en plus valorisé: il offre aux professionnels étrangers la possibilité de travailler jusqu’à un an et demi en Suisse. Mais si aucune demande de prolongation n’est déposée, le séjour prend fin à l’expiration du délai de 18 mois. Les prolongations restent limitées et difficiles à appliquer dans la pratique.

A la différence de l'Allemagne et de l'Autriche – où les infirmiers étrangers peuvent rester à long terme, parfois même avec la perspective d’obtenir la nationalité – la Suisse est bien moins attractive. C'est pourquoi de nombreux professionnels d’origine non européenne préfèrent ne pas venir travailler dans le pays.

Une entreprise met fin à ses placements en Suisse

Ce constat préoccupe René Mangold, directeur de LMCare, une entreprise qui place du personnel soignant asiatique dans des hôpitaux, des cliniques et des maisons de retraite en Suisse, en Allemagne et en Autriche. Son entreprise a depuis cessé ses activités en Suisse, explique René Mangold.

«Une fois les 18 mois écoulés, les professionnels ont dû quitter la Suisse, malgré une intégration réussie et une réelle valeur ajoutée pour les établissements», détaille-t-il. «Cette situation était difficile à comprendre pour toutes les personnes concernées.»

Critiques éthiques sur le recrutement international

Certains critiquent le fait que la Suisse recrute du personnel à l’étranger, estimant que cette pratique est contraire à l’éthique. C’est le cas de l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI). Le manque de personnel formé est un problème mondial: en recrutant à l’étranger, la Suisse prive d’autres pays de personnel qualifié, explique la directrice de l’ASI, Yvonne Ribi.

René Mangold rejette ces critiques: «Ceux qui avancent ces arguments ne connaissent pas la situation sur le terrain. Dans des pays comme l’Indonésie, les Philippines ou l’Inde, la population jeune est si importante qu’il n’y a pas assez d’emplois pour tous. Les gouvernements ont tout intérêt à ce que leurs jeunes trouvent du travail.»

Une formation avant tout

Selon le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), l’accord sur les stagiaires n’a pas été conçu pour pallier la pénurie de personnel soignant, mais pour «la formation professionnelle et continue de jeunes personnes et l’acquisition de connaissances sur le marché du travail suisse». Les connaissances que les stagiaires apprennent en Suisse devraient leur offrir de meilleures perspectives dans leur pays d’origine.

La Suisse souhaite privilégier l’attractivité des professions de soins et améliorer les conditions de travail, comme le prévoit l’initiative sur les soins infirmiers adoptée en 2021. Mais la Confédération n'envisage pas pour autant de conclure des accords de recrutement comme en Allemagne: «De tels accords pourraient provoquer une pénurie de personnel soignant dans d’autres pays», souligne le SEM. La Suisse s’aligne ainsi sur le Code de conduite de l’OMS pour le recrutement transfrontalier des professionnels de santé.

Améliorer les conditions de travail

Pour maintenir les infirmières et infirmiers à long terme dans la profession, Yvonne Ribi plaide pour des mesures légales efficaces, à la fois de la Confédération et des cantons, afin d’améliorer les conditions de travail: «Le Parlement doit faire avancer en urgence l’initiative sur les soins infirmiers.»

Selon l’Observatoire suisse de la santé (Obsan), les besoins en personnel devraient augmenter de 14% dans les hôpitaux, de 19% dans les services d’aide et de soins à domicile et de 26% dans les établissements médico-sociaux d’ici 2029. D’ici 2030, la Suisse pourrait manquer d'environ 30'500 soignants.

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