Pour tordre le bras à Berne
Départ aux USA: le bluff d'UBS va-t-il trop loin?

Les discussions entre UBS et Washington seraient une carte de négociation destinée à faire plier Berne sur ses exigences de réglementation, selon un expert. Même des membres du PLR, défenseurs de la place financière, jugent qu'UBS va trop loin avec cette stratégie.
Publié: 16:55 heures
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Dernière mise à jour: il y a 39 minutes
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Le Financial Times a souvent servi, comme ce 18 novembre encore, de débouché aux rumeurs sur UBS.
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Myret ZakiJournaliste Blick

UBS s'apprête-t-elle vraiment à dire adieu à son siège suisse, pour lui préférer une domiciliation aux Etats-Unis? Les rumeurs sont en tout cas persistantes ce mardi 18 novembre, après que le «Financial Times» a encore fait état lundi de discussions privées entre Colm Kelleher, président de la banque, et le secrétaire au Trésor Scott Bessent.

Ceci, dans un contexte où UBS cherche par tous les moyens, depuis des mois, à échapper aux nouvelles règles de fonds propres imposées par la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, qui lui coûteraient 26 milliards de dollars de capital supplémentaire. Des mesures que le CEO d'UBS, Sergio Ermotti, a même qualifiées d'«extrêmes». Dans ce duel, le «Financial Times» a souvent servi de débouché pour des fuites savamment orchestrées.

Une carte de négociation

«A ce stade, rien n’indique que le déménagement d’UBS aux Etats-Unis fasse formellement partie d’un 'deal' conclu avec Washington, mais les signaux montrent clairement que l’idée circule dans un contexte de pression politique», analyse John Plassard, associé chez Cité Gestion Private Bank. «Les discussions s’inscrivent avant tout dans une stratégie de négociation destinée à faire reculer Berne sur les nouvelles exigences de capital, jugées 'extrêmes' par UBS.»

Si c'est une stratégie, elle n'est pas du goût de certains, y compris dans les milieux financiers et les milieux PLR. «J'ai été étonné de voir encore ces rumeurs revenir, réagit Bryan Lo Giudice, PLR et gérant de fortune indépendant à Genève. Peut-être est-ce UBS qui a soufflé un peu sur les braises. J'ignore si c'est sérieux ou pas. Mais ce que je sais, est que même en tant que PLR; défenseur de la place financière, je trouve que cela va trop loin.» 

«Cela passe mal»

Pour Bryan Lo Giudice, «il y a un moment où, quand une banque qui devait cesser d'exister en 2008 a été sauvée par la Confédération, puis qu'elle a reçu, en 2023, son concurrent Credit Suisse sur un plateau, même le libéral que je suis estime qu'il faut comprendre que l'Etat demande un renforcement des fonds propres». 

Pour le gérant indépendant, la stratégie de forte résistance d'UBS ne déploie pas d'effets positifs pour la banque. «Je n'ai pas l'impression que Karin Keller-Sutter soit en train de plier, et je vois que même des personnes comme moi, grand défenseur de la place, cela ne m'incite pas du tout à me mettre du côté d'UBS..» 

Après l'épisode sur les droits de douane américains, qui a choqué le monde politique, Bryan Lo Giudice ne comprend pas que «notre fleuron bancaire qu'on a sauvé une fois et à qui on a donné son concurrent gratuitement, soit maintenant du côté de l'agresseur (les Etats-Unis). Cela passe mal, y compris dans les milieux financiers.»

UBS à blâmer plus que Berne

Certes, le financier comprend qu'UBS évolue sur un marché globalisé très concurrentiel, où elle doit veiller à sa compétitivité. «On a envie que le monde politique fasse rentrer ces mesures progressivement, qu'il les étale un peu dans le temps, voire les revoie peut-être à la baisse, donc je ne mets pas 100% de responsabilité sur UBS. Mais je mets quand même un bon 90%». 

Si UBS laisse entendre qu'elle pourrait partir, ou qu'elle veut s'américaniser, cela suppose qu'elle pourrait reprendre des risques élevés sur le marché américain, estime le gérant. «Si UBS part vraiment, et conserve une structure suisse, qui sera la filiale d'une banque américaine, faudra-t-il inévitablement sauver les déposants helvétiques suite à des prises de risques aux USA?» Des craintes qui déplaisent au gérant de fortune genevois. 

«
La démarche ressemble davantage à une option crédible brandie par UBS pour peser sur le débat suisse
John Plassard, associé, Cité Gestion Private Bank
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Pour John Plassard, dans cette affaire, les USA s'avèrent un allié commode dans les pressions d'UBS contre Berne. «Le gouvernement américain, dans sa logique de dérégulation sous Donald Trump, s’est montré réceptif à l’idée d’accueillir un géant bancaire européen – ce qui donne à UBS un levier supplémentaire. Pour autant, il n’existe aucun engagement public ou accord officiel liant un éventuel transfert du siège à un soutien politique américain.» Au final, poursuit l'analyste, plus qu’un «deal», «il s’agit d’un rapport de force où Washington offre une porte entrouverte et où UBS rappelle à la Suisse que l’alternative existe». 

Menace plausible

Si bien que la démarche, selon John Plassard, «ressemble davantage à une option crédible brandie par UBS pour peser sur le débat suisse lié à la réglementation. Et UBS sait mettre les actionnaires de son côté, comme l'explique le stratège de Cité Gestion: Cevian Capital affiche son soutien à UBS, par Financial Times interposé, car ce puissant fonds d'investissement suédois «considère qu’il deviendra 'non viable' d’opérer une grande banque mondiale depuis la Suisse si les règles suisses ne s’assouplissent pas.» 

L'ambiguïté est que dans les faits, les dirigeants d’UBS répètent qu’ils souhaitent rester en Suisse si les exigences sont assouplies. «Cela montre que le départ n’est ni décidé ni imminent, poursuit John Plassard. Mais la dynamique internationale – avec la dérégulation américaine d’un côté et le durcissement suisse de l’autre – alimente l’idée qu’un transfert aux Etats-Unis pourrait devenir une issue plausible si Berne ne bouge pas.»

Une perte pas si grave?

Si UBS part, c'est mieux pour la Suisse, estime Jean-Pierre Diserens, secrétaire général de la Convention of Independent Financial Advisors (CIFA). «Je pense qu'UBS sera mieux au USA qu'en Suisse. L'économie suisse ne peut pas se permettre une banque commerciale de la taille d'UBS».

Selon lui, UBS représente un risque trop grand pour la Suisse, même en faisant abstraction des rumeurs de déménagement. «Il serait plus sûr que la Suisse garde une unité suisse d'UBS et que soient scindées les activités internationales: le contribuable helvétique n'a pas les moyens de sauver un établissement de cette taille, et l'on connaît les risques de krach régulier du système financier».

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