Un eurosceptique convaincu
Cet opposant bulgare prévient la Suisse contre les Bilatérales III

De passage à Genève, le fondateur du parti d'opposition «Velichie», Ivelin Mihaylov, partage l'expérience de la Bulgarie, qui aurait beaucoup perdu depuis son adhésion à l'UE. Son pays ne serait pas du tout prêt, selon lui, à rejoindre la zone euro en janvier.
Publié: 04.09.2025 à 19:10 heures
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Dernière mise à jour: 04.09.2025 à 22:29 heures
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«Il faut reporter l’adoption de l’euro. C'est un scénario à la grecque», dit Ivelin Mihaylov.
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Myret ZakiJournaliste Blick

Ivelin Mihaylov a fondé en 2023 le parti «Velichie» en Bulgarie, qui signifie «Grandeur». En 2024, le parti a dépassé le seuil électoral de 4% aux élections législatives et a remporté 13 sièges à l'Assemblée nationale bulgare, s'appuyant sur une campagne réussie sur les réseaux sociaux.

Aujourd’hui, l’homme d’affaires de 48 ans, diplômé d’économie et de management, s’oppose à l’entrée de son pays dans la zone euro, prévue le 1er janvier 2026, et a des conseils à donner à la Suisse, vis-à-vis de l’UE. Nous l’avons rencontré à Genève fin août. 

«Scénario à la grecque»

«Depuis qu’elle a adhéré à l’UE, dit-il, l’économie bulgare, régionale en particulier, a été sacrifiée». Selon lui, cela est dû à la législation européenne. Mais aussi et surtout à la manière dont le droit européen a été appliqué en Bulgarie, «et à la corruption endémique qui règne dans ce pays», dénonce-t-il. 

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C’est un scénario forcé, à la grecque, avec des chiffres manipulés. Il faut reporter l’adoption de l’euro
Ivelin Mihaylov, fondateur du parti d'opposition bulgare «Velichie»
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Dès lors, Ivelin Mihaylov vise d’abord l’ennemi intérieur, plutôt que l’UE: il entend se battre contre la corruption, «la mafia» locale, dit-il. «C’est très difficile. Depuis 30 ans l’Europe met en place des personnes corrompues à la tête de la Bulgarie, et cette tendance s’est accélérée avec les Démocrates américains, sous Joe Biden». 

Pour Ivelin Mihaylov, l’économie bulgare n’est pas prête pour entrer dans la zone euro. «L’UE le sait. C’est un scénario forcé, à la grecque, avec des chiffres manipulés. Il faut reporter l’adoption de l’euro. Pourquoi vouloir accélérer ce processus à tout prix?» Pour lui, la raison est uniquement géopolitique, comme c’est le cas pour la guerre en Ukraine.

Les Suisses mis en garde

Malgré la demande populaire d’organiser un referendum contre l’adoption de l’euro, le gouvernement et le Parlement ont opposé leur refus. Pour le fondateur de Velichie, cela va contre la volonté du peuple. «Le système est corrompu, affirme Ivelin Mihaylov. Nous sommes allés dénoncer cela aux dirigeants de Bruxelles, mais ils n’ont pas voulu nous écouter, ce qui les rend complices de cette situation».

Et la Suisse? Il met en garde nos concitoyens contre les Bilatérales III: «Si la Suisse accepte ce 3e accord, vous pouvez vous attendre à ce que l’UE vole les ressources de la Suisse. Les grandes entreprises seront favorisées aux dépens de l’économie locale. Les marchés de la suisse profiteront à l’économie de l’UE. Des droits seront soustraits aux citoyens, car l’UE ne veut pas de référendums et d’initiatives populaires.»

Pas de sécurité juridique promise

Pourquoi une telle défiance? Parce qu’Ivelin Mihaylov dit avoir été aux premières loges de la détérioration économique de son propre pays. Quand la Bulgarie a rejoint l’UE en 2007, il a initialement pensé que les règles européennes garantiraient au pays une sécurité juridique favorable aux affaires. Confiant dans les règles de droit, il s’est alors lancé dans l’entrepreneuriat. «En 2007, l’UE obtenait un taux d’approbation de 95% en Bulgarie», se souvient-il. 

Mais il a vite déchanté. Après l’entrée en vigueur de la législation européenne, les agriculteurs et paysans se sont trouvés désavantagés, et l’économie de régions entières s’est effondrée, dit-il. «La Bulgarie produisait différemment, avant l’UE, explique le politicien. L’Etat achetait les produits des producteurs et les exportait de manière assez diversifiée, vers les ex-républiques soviétiques et vers le Moyen-Orient». Légumes, conserves, vin champagnisé, œufs, fruits… il décrit une Bulgarie qui avait un immense secteur d’agriculture sous serre, et qui était connue pour la qualité de ses légumes et la fertilité de ses sols. «C’était un écosystème de production et de logistique aéroportuaire et portuaire qui fonctionnait parfaitement avant l’entrée dans l’UE». 

Production locale prétéritée

Mais après l’adhésion, la législation européenne a imposé des quotas, qui ont tout changé, du jour au lendemain, témoigne Ivelin Mihaylov. Le gouvernement bulgare a restreint la production de légumes, asphyxiant les petits et moyens producteurs. La production a fortement diminué à cause de la privatisation, du morcellement des terres et de la concurrence étrangère. Des fermes et des serres ont été abandonnées, des usines et petits commerces ont fermé, «et tout a dû être reconstruit différemment. Seuls sont restées les productions à faible intensité en capital humain. Des usines ont été reconstruites, mais sont plus polluantes.» 

Résultat: «Les zones rurales bulgares ont commencé à se dépeupler, déplore-t-il. Le gouvernement les délaissait, et elles n’intéressaient plus le secteur privé non plus». 

«
Les intérêts de ma famille sont menacés car on veut que je cesse de faire de la politique
Ivelin Mihaylov
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Ivelin Mihaylov a commencé à acheter des terres et à les développer, dans une région d’une dizaine de villages. Cela lui a réussi. La valeur de la région a augmenté 10 à 20 fois en 10 ans, et nombre de résidents locaux se sont enrichis. Lui-même s’était formé à la finance dès 1989, quand la Bulgarie avait «basculé dans le capitalisme». Il avait commencé en vendant des produits financiers auprès de groupes européens comme Allianz et AIG en tant que courtier. Les commissions qu’il a touchées lui ont ensuite permis d’investir dans ces zones rurales. Mais sa réussite a été freinée par la corruption, l'insécurité juridique, et lui vaut aujourd’hui des menaces directes. «Les intérêts de ma famille sont menacés car on veut que je cesse de faire de la politique.» 

Qui finance Ivelin Mihaylov? A cette question, il répond sans détours qu'il est soutenu par un bailleur de fonds du secteur agricole. Mais d'autres ont essayé de le financer, de manière intéressée. «La mafia m’a offert 100 millions d’euros en échange du fait que je vote au Parlement en faveur de la classe dirigeante aux élections législatives anticipées. J’ai décliné». Aujourd’hui, il se méfie de recourir à d’autres financements et se plaint de la multiplication de démêlés juridiques et d'intimidations administratives à son encontre.

Pays cancre en matière de corruption

Désormais, pour Ivelin Mihaylov, le projet politique consiste à lutter contre la corruption dans son pays, et contre l’UE «tant qu’elle soutient cette corruption». La Bulgarie est en effet le pays le plus mal classé de l’UE dans l’indice de corruption 2024 de Transparency International.

Ivelin Mihaylov n’est ni pro-américain, ni pro-russe, pour répondre à cette question que l’on pose toujours à un homme de l’Est. Il est contre la guerre en Ukraine. Pour combattre intelligemment la Russie, il estime qu’il aurait fallu investir cet argent, parti dans l’armement et dans la guerre, dans le développement technologique et dans la production, et faire en sorte que le niveau de vie des Ukrainiens soit le triple de celui de ceux résidant en Crimée. «Où les gens préféreraient-ils vivre, à votre avis? La tension serait montée en Russie, par comparaison.» 

Concurrencer la Suisse et Dubaï

L’opposant bulgare veut que sont pays se situe à mi-chemin entre les Etats-Unis et la Suisse en termes d’ouverture, de libéralisme et de démocratie. Il se dit contre le protectionnisme, pour les libertés, mais ne se contenterait pas d’une économie qui aurait pour seul but de maximiser les profits. «Optimiser oui, mais sans détruire la terre», résume-t-il.

«
La Bulgarie serait une alternative à la Suisse et à Dubaï, car il y a de la place sur ce marché
Ivelin Mihaylov, opposant aux grandes ambitions
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Son projet idéal, pour la Bulgarie, serait qu’elle se consacre aux produits de très haute qualité. «Il existe 800 millions de personnes riches dans le monde, et la Bulgarie a le savoir-faire pour desservir ce marché, avec des avantages compétitifs». Nourriture de haute qualité, tourisme balnéaire thérapeutique, cliniques, régions naturelles préservées, «nous serions une alternative à la Suisse et à Dubaï, car il y a de la place sur ce marché.»

Quelle idéologie sous-tend de tels projets? Il refuse les étiquettes. «Les mots ont perdu de leur sens, répond le quadragénaire. Nous voyons que les libéraux sont devenus radicaux, qu’ils veulent contrôler les opinions, et c’est là qu'ils cessent d’être libéraux». Scientifique et pragmatique, fervent défenseur des règles de droit, cela lui convient mieux. Mais chrétien orthodoxe, aussi. C’est la religion des Bulgares. «Une croyance qui privilégie un sens de la justice, et une acceptation de l’autre. Sans ces valeurs, la société s’écroule.»

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