Un commentaire de Myret Zaki
C'est officiel: on ne peut plus taxer les riches et les multinationales

Les moyens mis dans les campagnes pour faire échouer les initiatives visant à taxer les riches sont extrêmement difficiles à contrer. La défaite de l'initiative «Pour l'avenir» n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, estime notre journaliste Myret Zaki.
Chroniques Teaser (2).png
Myret ZakiJournaliste Blick

Le constat est assez vertigineux, mais vrai. Il est devenu impossible de taxer les ultra-riches et les multinationales. Débrouillez-vous avec ça, comme disent les Américains (live with that). 

En effet, les initiatives voulant taxer les ultra-riches échouent les unes après les autres, car les milieux aisés et bourgeois en Suisse ont les moyens de mener campagne pour des montants jusqu'à dix fois supérieurs à ceux des initiants, comme ce fut le cas pour la dernière initiative du 30 novembre.

Enrichissement assisté par l'Etat

Le fait de constater cela peut vous valoir l'étiquette très niaise de «jaloux», ou de «gauche radicale» de la part d'esprits à la mémoire courte (ou jamais éduqués à l'histoire économique, même récente). Etant libérale classique, j'ai documenté maintes fois comment l'enrichissement des 20 dernières années a été démultiplié par des sauvetages étatiques et des interventions massives des banques centrales pour faire monter les marchés boursiers. Et je constate la dérive fiscale de manière factuelle, en pointant régulièrement les proportions toujours plus élevées de fraude fiscale et de défiscalisation de fortunes transfrontalières.

«
Même Reagan et Thatcher, les ultra-libéraux des années 80, avaient laissé derrière eux des taux d'imposition plus élevés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Quand on se plaint de taux d'imposition très élevés, il faut donc s'en souvenir.
»

Mais ce qui trahit le mieux cette dérive, c'est que même Reagan et Thatcher, les ultra-libéraux des années 80, avaient laissé derrière eux des taux d'imposition plus élevés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Quand on se plaint de taux d'imposition très élevés, il faut donc s'en souvenir. 

Quand Thatcher est arrivée au pouvoir en 1979, le taux marginal d'imposition du revenu était à 83% en Angleterre, et le taux de base à 33%. A son départ en 1990, on se situait à 40%-25%. Or aujourd'hui, même avec des gouvernements de gauche à Londres, on se trouve encore plus bas, avec des taux à 45%-20%. 

Taux plus bas que jamais

Sous Ronald Reagan, même situation: le taux marginal maximal est passé de 70% à 28% entre 1981 et 1989. Aujourd'hui, on est encore plus bas, à 37% (maximum fédéral) et 10% (taux de base). Depuis 5 ans, aux Etats-Unis, les 400 familles les plus riches paient des taux d'imposition plus bas que les 50% les pus pauvres, pour la première fois dans l'histoire. 

Plus près de chez nous, en Suisse, la tendance a été clairement à une baisse générale de la fiscalité des entreprises, des hauts revenus et des grandes fortunes. Mis à part l'impôt sur la fortune et les impôts indirects (TVA), la tendance a clairement été à l'allégement fiscal. Nous traitons amplement de ce sujet dans notre analyse publiée aujourd'hui sur le site de Blick. 

Si la taxation des héritages de plus de 50 millions a échoué ce 30 novembre, il faut être clair: c'est certainement aussi parce que l'initiative avait de gros défauts. Elle voulait allouer ces milliards de recettes supplémentaires à la transition écologique. Or les besoins plus urgents de la population auraient dicté de les allouer à la réduction des primes maladie par exemple, ou à l'augmentation du pouvoir d'achat en général. Des objectifs devenus nettement plus prioritaires, pour la grande majorité des votants. 

Tout cela ne change rien au constat général lié à l'impossibilité de taxer les très grandes fortunes, et les multinationales.

Multinationales non taxables

Du côté des multinationales, la situation est en effet verrouillée. L'impôt mondial de 15%, lancé en 2021 sous l'égide de l'OCDE, qui devait s'appliquer à toutes les grandes entreprises dès cette année, a clairement échoué. J'avais déjà évoqué l'énorme flop de cette initiative, qui émanait à l'origine de l'administration Biden, et qui a été sabotée par les Etats-Unis eux-mêmes, déjà sous l'ancien président.

«
Au final, ce que l'on constate, c'est une contestation toujours plus forte de l'impôt, dans les discours des entreprises et des grandes fortunes
»

Entre-temps, Donald Trump est allé encore plus loin, en exigeant la dispense pure et simple des multinationales américaines de cet impôt, après avoir menacé le monde de «taxes de représailles». Les pays du G7 ont donc accepté de dispenser les multinationales américaines, ce qui compromet l'ensemble du projet, dernier espoir de pouvoir taxer les multinationales. 

Au final, ce que l'on constate, c'est une contestation toujours plus forte de l'impôt, dépeint comme un coût insupportable dans les discours des entreprises et des grandes fortunes. Alors que seuls les milieux ultralibéraux agitaient dans les années 1990 la notion d'impôt «confiscatoire», ce terme est devenu mainstream, largement sous l'effet de la concurrence de paradis fiscaux du reste du monde. 

Les mêmes menaces brandies

Sur le canton de Vaud, les pressions des grandes fortunes sur le Conseil d'Etat ne sont probablement pas étrangères à la sous-taxation de 10 ans qu'elles ont obtenues lors de l'application erronée du bouclier fiscal. Les menaces de déménagement, de redomiciliation, de délocalisation, ne sont jamais loin. C'est encore plus le cas pour les initiatives visant à taxer les ultra-riches. Face à celle votée ce 30 novembre, un rapport de HEC Lausanne a évoqué le risque de voir partir entre 300 et 700 millions de recettes fiscales si de grandes fortunes décidaient de déménager. 

On a aussi vu à cette occasion de grandes fortunes genevoises, Renaud de Planta et Bertrand Demole, deux ex-associés de Pictet, se redomicilier hors de Suisse. Et même l'UBS, tout en le démentant, a laissé planer des rumeurs de déménagement aux Etats-Unis, son CEO Sergio Ermotti, se montrant choqué par les exigences réglementaires de fonds propres de la Suisse, jugées «extrêmes». 

Articles les plus lus