L'organe suisse d'Amnesty International s’inquiète, après le mouvement de soutien à la flottille pour Gaza, ce jeudi soir 2 octobre au centre-ville de Genève. La raison? L'usage «de plusieurs armes à létalité réduite (gaz lacrymogène, matraques, canons à eau, flashballs) lors de la manifestation pacifique spontanée».
Comme à Lausanne il y a deux semaines, l'ONG dédiée aux droits humains demande une «enquête immédiate, indépendante et impartiale» sur l'intervention policière. Amnesty appelle aussi les autorités «à garantir le droit de manifester».
«Les multiples témoignages recueillis par Amnesty International, y compris concernant des enfants et des personnes âgées touchés par ce gaz, sont très préoccupants», s'inquiète Anita Goh responsable de la question du droit de manifester pour l'ONG.
Cinq policiers blessés
Paru ce vendredi, le communiqué s'étonne du timing des décisions. Mercredi, le Conseil administratif a fait part de son inquiétude quant au sort des participants à la flottille – parmi lesquels l'ex-maire de Genève Rémy Pagani. Et jeudi, «du gaz lacrymogène se propageait dans le centre-ville pendant une manifestation spontanée pacifique en faveur de cette flottille».
Pacifique, ce n'est pas l'avis de la police cantonale, qui annonce recenser cinq blessés dans ses rangs et avoir procédé à une interpellation. Les forces de l'ordre déplorent la présence de «150 black blocs» parmi les 3000 manifestants. Ces militants – décrits comme masqués, vêtus de noir et venus en découdre – sont accusés d'avoir «mis le feu à des pneus» et à des engins pyrotechniques, tenté de forcer le passage vers la rive gauche, ignoré «plusieurs sommations», brisé des vitrines ou encore jeté des cailloux sur les forces de l'ordre.
«Aucune sommation», selon des manifestants
Ces actions auraient «nécessité l’usage de la contrainte, dans le respect des précautions requises». Mais plusieurs manifestants témoignent de leur désaccord quant à la version de la police. «Il n'y a eu aucune sommation», témoigne Loris* au sujet d'un premier moment chaud survenu au Pont du Mont-Blanc, entre les deux rives de Genève. Une séquence que la police décrit ainsi: «Après sommations, la police a fait usage de moyens de contrainte visant à les repousser en direction de la rive droite.»
Le jeune Genevois, qui se décrit comme un manifestant pacifique qui s'est retrouvé à l'avant du cortège, raconte: «Je discutais tranquillement sur le pont, jusqu'à ce qu'une capsule lacrymogène arrive à mes pieds sans aucune sommation. Ça a créé un gros mouvement de panique, tout le monde a essayé de reculer en courant, sauf que le pont est très étroit. Nous étions les uns sur les autres, au milieu du nuage irrespirable. C'était la panique. Heureusement, des habitués des manifs ont pu rejeter les capsules.»
Le témoignage d'Emilie*, une militante de 28 ans, concorde: «Aucune sommation n’a été prononcée, la police n’a aucunement tenté de communiquer avec nous.» Cette dernière était également présente lors d'une «seconde phase», à la gare de Genève. Une partie du cortège est entrée dans le bâtiment des CFF, jusqu'à se rendre sur les quais 5 et 6 – ce qui a bloqué la circulation normale des trains.
Sur les voies, selon la police, ce sont «des jets de ballast perpétrés sur les forces de l’ordre» qui ont «nécessité l’usage de la contrainte». Emilie répond que «certains manifestants ont lancé des pierres» afin de «forcer la police à arrêter» d'utiliser ses dispositifs, qui créaient «un mouvement de panique dangereux sur des rails de train». Cela aurait permis «de laisser les personnes encore sur les rails rejoindre la foule», selon la jeune femme.
Amnesty récolte des témoignages
Amnesty s'est prononcé sur la présence de groupes violents, nommés black bloc aussi bien par la police que par Emilie: «Si, au cours d’un tel rassemblement, des individus ont un comportement violent, ils doivent être séparés» des autres protestataires. Ceci afin de «les protéger» et de «leur permettre de poursuivre leur manifestation pacifique». Loris, quant à lui, confirme qu'il y avait «plein de gars habillés en noir et équipés de lunettes de plongée». S'agissait-il de black blocs? «Je n'en sais rien, répond le jeune homme. C'étaient surtout des gars qui ont l'habitude de se faire allumer la gueule.»
La police, elle, assure que «les manifestants pacifiques avaient de multiples opportunités de se déporter de quelques mètres et ainsi éviter d’être mêlés aux casseurs». L'ONG annonce continuer «d'étudier les faits» et de récolter des témoignages. «Les manifestations pacifiques spontanées doivent être protégées et facilitées par la police au même titre que toute autre manifestation pacifique, estime Anita Goh d'Amnesty. Le manque d’autorisation ne peut être un motif de blocage ou de dispersion.»
*Noms d'emprunt