Refoulée d'un bar genevois en raison de son voile
«Se cacher derrière l’excuse du couvre-chef, c’est du racisme dissimulé!»

Polémique à Genève, après qu'une jeune femme portant le voile s'est vue refuser l'accès au restaurant-bar Rooftop42. Entre indignation, excuses publiques et directeur défendant le grand remplacement: témoignage de la principale concernée et réponses de l'établissement.
Publié: 15.07.2025 à 19:20 heures
Partager
Écouter
La Genevoise Amina s'est vue refuser l'accès au Rooftop42 en raison de son voile, mais tous les bars n'ont pas cette politique.
Photo: DR
Blick_Leo_Michoud.png
Léo MichoudJournaliste Blick

Couvre-chef interdit! Jusqu’à ce lundi 14 juillet, cette règle à l’entrée du Rooftop42 – restaurant-bar huppé de Genève avec vue sur la rade – incluait voiles et kippas. Mais une polémique est passée par là. La Genevoise Amina, 30 ans, s’est vue refuser l’entrée de l’établissement en raison du bout de tissu qu’elle porte en tant que femme musulmane.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Elle s’en est offusquée sur les réseaux sociaux, accompagnée dans ses démarches par l’association de lutte contre le racisme antimusulman DIAC. A la suite de cette publication, le Rooftop42 a présenté ses excuses à la jeune femme en assurant n’avoir «jamais adopté de règles discriminatoires» et avoir pris des mesures.

Blick a obtenu le témoignage d’Amina. Mais aussi celui d’un proche du gérant et des propriétaires du Rooftop42, qui s’exprime au nom de l’établissement et dénonce du cyberharcèlement envers le directeur de l’établissement. Ce dernier est la cible de nombreuses critiques, en raison de vidéos sur ses réseaux sociaux dans lesquelles il défend la théorie du grand remplacement.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

«J’ai d’abord cru à une blague»

«Ce qui s’est passé n’est pas normal, commence Amina. Je ne suis pas la seule à penser comme ça, et cela ne concerne pas seulement les musulmans ou les juifs.» Elle revient sur sa soirée de vendredi, qui ne s’est pas passée comme prévu. «C’était une sortie entre copines, pour boire un verre. On ne s’était plus vues depuis plusieurs mois. On avait conseillé cette terrasse à une copine pour sa belle vue sur le lac.»

Dans son petit groupe, elle est la seule à porter le voile. «Le vigile a mimé le voile avec ses mains, il a montré son visage avec son doigt en disant: 'pas de couvre-chef!'. Dans un premier temps, j’ai rigolé tellement ça me semblait absurde et irréaliste. J’ai d’abord cru à une blague.»

Si Amina veut entrer, elle doit enlever son couvre-chef religieux. Pas question pour la trentenaire. «Après que le vigile nous a interdit l’accès, on a appelé directement le restaurant-bar. Et une copine a enregistré l’appel pour avoir une preuve.» La vidéo est diffusée sur Instagram. «Malheureusement, on accepte aucun couvre-chef. Ce n’est pas une question de racisme», répond un employé au téléphone.

Un racisme dissimulé?

«Se cacher derrière l’excuse des couvre-chefs, c’est une manière de dissimuler son racisme et ses actes discriminatoires, assène Amina. C’est la première fois que ça se passe dans ma vie privée, en sortant avec des amies.» Dans le cadre de son travail, l’ex-enseignante s’est déjà vue interdire l’accès à des piscines genevoises.

«
Je suis Suissesse, je suis Genevoise et je veux juste faire savoir cette histoire
Amina, cliente refoulée du Rooftop42
»

Celle qui est désormais travailleuse sociale ne souhaite pas en faire une affaire personnelle. «Je veux juste revendiquer mes droits, relayer qu’il y a des actions racistes et discriminatoires à Genève en 2025. Je suis Suissesse, je suis Genevoise et je veux juste faire savoir cette histoire.» Avant la polémique, d’autres femmes se sont d’ailleurs plaintes – dans les avis Google du restaurant-bar – d’avoir été interdite d’accès en raison de leur voile.

Le Rooftop42 admet une «erreur»

Le Rooftop42 a répondu aux questions de Blick, par l’intermédiaire d’un proche du directeur et des propriétaires. Celui qui est également «client régulier» de l’établissement «parle au nom» de ces derniers et ne souhaite pas être nommé: «Nous trouvons déplorable que les bonnes questions n’aient pas été posées avant d’en arriver à des conclusions hâtives.»

Le porte-parole par défaut assure que le Rooftop42 a été «au rendez-vous de la polémique» et admet que la règle n’était pas bien formulée: «L’établissement a fait une erreur, celle de considérer les couvre-chefs religieux comme le reste des couvre-chefs. Une erreur reconnue, puisque nous avons fait nos excuses à la cliente et avons immédiatement changé la règle pour prendre en compte les signes religieux.» La sécurité et les employés ont, semble-t-il, été informés de ce changement.

Une décision venue des clients?

Demander à sa clientèle de ne pas porter de chapeau à l’intérieur, soit. Mais pourquoi avoir décidé d’inclure les couvre-chefs religieux dans ce règlement? «La raison est simple: il y a une demande régulière de la clientèle d’assurer une certaine neutralité au sein de l’établissement, particulièrement depuis le début des tensions au Proche-Orient.» Selon le proche des patrons, «la situation géopolitique implique l’importation de tensions entre communautés, dans nos rues et nos établissements».

La raison derrière cette interdiction des signes religieux ne viendrait donc pas du gérant ou de la direction. «La motivation de cette règle n’est pas du tout d’une volonté de discriminer en raison d’une appartenance religieuse. C’est une manière douce de dire que le Rooftop est un espace neutre.»

Le Rooftop réfute toute accusation de racisme, d’antisémitisme ou d’islamophobie. «Un établissement privé ouvert au public doit respecter l’interdiction de discriminer», affirme le DIAC sur Instagram. Sur ce point, le restaurant-bar donne raison à l’association en confirmant être un «établissement privé qui accueille du public». Il indique avoir changé sa règle pour se conformer à la loi.

Des fêtards à couvre-chef pris en photo

Mais une forme de «deux poids, deux mesures» est pointée du doigt par les personnes qui s’indignent du récit d’Amina. La raison? Le site et les réseaux sociaux du Rooftop42 partagent plusieurs photos de clients portant toutes sortes de couvre-chefs lors d’évènements festifs.

La jeune femme critique le règlement de l’établissement: «S’il était cohérent, on ne pourrait pas trouver des photos de clients, de membres du personnel et de DJs qui portent des chapeaux en tous genres.» Une observation relayée en grande pompe par la publication du DIAC, qui affiche ainsi la clientèle.

Le représentant de la direction dénonce le «manque de sincérité» des personnes qui utilisent cet argument. «On dément fermement l’idée que nous ne respectons cette règle que dans certains cas. Lorsque des personnes portent des couvre-chefs, c’est qu’il s’agit d’une soirée à thème (Halloween, Nouvel An) ou déguisée. Ou alors que les clients ont privatisé les lieux et peuvent ainsi respecter leurs propres règles.»

Le directeur défend le grand remplacement

Un autre élément fait beaucoup réagir: les prises de position du directeur de l’établissement sur son compte Facebook public. Dans une vidéo, supprimée depuis hier et que Blick a pu consulter, il commence par inviter «les gauchos, les wokistes et les féministes» à ne pas en regarder plus. Le Genevois y défend la théorie complotiste d’extrême droite du grand remplacement – qui suppose que juifs, musulmans, personnes non blanches et migrants chercheraient à remplacer ou supprimer petit à petit les cultures et les peuples d’Europe.

Voici les termes exacts du directeur du Rooftop42 à ce sujet dans sa publication: «Oui, je pense que le grand remplacement, c’est un truc qui est en cours actuellement. Positif ou négatif, ça dépend de la vision de chacun. Je dis pas ce que moi, j’en pense. Il faut pas se voiler la face: en Europe de l’Ouest, le grand remplacement est en cours depuis quelques années. Et si on fait rien pour juguler ou contrôler ça, […] la population en Europe de l’Ouest aura complètement changé.»

Amina s’offusque: «Dans la vidéo du gérant, il mélange plein de sujets comme la guerre en Ukraine, le mouvement MeToo, le féminisme ou la migration. Le fait qu’il utilise un terme comme 'grand remplacement' montre clairement ses intentions.» La jeune femme considère «très problématique» que cet homme «relaie en toute liberté des propos xénophobes, islamophobes et misogynes».

Liberté d’opinion et «cyberharcèlement»

De son côté, le Rooftop tient à clarifier: «Nous respectons la sphère privée de nos collaborateurs qui sont libres de leurs opinions». Leur représentant précise que «les opinions politiques de tel ou tel membre du personnel n’influent en rien la gestion du Rooftop». Le problème selon les détracteurs du gérant? Au début de sa vidéo, l’homme remercie ses followers pour l'«incroyable» mois de juin passé au Rooftop42. En ce sens, il se présenterait clairement comme représentant de l’établissement.

Son proche défend celui qu’il décrit affectueusement comme une «grande gueule»: «C’est quelqu’un d’entier, qui n’est pas rodé à l’univers des médias. Quand il s’exprime sur ses plateformes, il est à la fois un individu avec ses opinions et le directeur du Rooftop42. Dans cette vidéo tournée dans son lit, il s’exprime en dehors de l’établissement et de ses heures de travail, et donc uniquement en son nom, dans sa sphère privée.» En l’état, le mélange des genres critiqué par Amina et le DIAC ne pose donc pas de problème aux gérants du restaurant-bar.

Quant à la règle qui interdisait, jusqu’à hier, tout couvre-chef au Rooftop42? Elle avait été mise en place «avant l’arrivée du directeur de l’établissement», assure le représentant des lieux. «Toutes les personnes qui ont voulu faire un parallèle entre des prises de position privées et la gestion de l’établissement ont donc totalement tort».

Vers des suites légales

L’établissement fait savoir à Blick qu’afin de «protéger ses collaborateurs», il se réserve le droit «de réagir par toutes voies possibles envers toutes les personnes se prêtant à la calomnie et la diffamation envers nos employés». L’établissement réagit ainsi car «certaines conclusions hâtives et certains appels sur les réseaux sociaux, notamment de la part d’élus au Grand Conseil et de représentants d’associations ou de médias, peuvent tomber sous le coup du cyberharcèlement et de son encouragement.»

Malgré les excuses, Amina envisage aussi de porter plainte. «Je vais aller jusqu’au bout et faire valoir mes droits, clame la jeune femme. Je me bats pour moi, mais aussi pour toutes les personnes qui peuvent être discriminées être discriminées pour leur appartenance religieuse, leur origine, leur couleur de peau, leur genre ou leur orientation sexuelle. Pour moi, la honte doit changer de camp et toucher des personnes qui ont de tels discours.»

Reste cette question: si Alain Berset s’était présenté à l’entrée du Rooftop42, en tenue chic mais avec son fameux Borsalino sur la tête, aurait-il été refoulé? «Le Rooftop ne demande pas le pedigree politique ou financier de chacun à l’entrée. Donc oui, l’établissement lui aurait demandé d’enlever son chapeau, sans quoi il aurait dû partir», répond le proche de la direction.

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la