Il y a plus de deux mois, le président américain Donald Trump a abattu son marteau tarifaire sur la Suisse. Les entreprises suisses croulent sous des droits de douane de 39% sur leurs exportations vers les Etats-Unis. Les petites et moyennes entreprises (PME) sont particulièrement touchées, bien qu’elles soient le pilier de l’économie suisse.
Selon la Banque nationale suisse (BNS), un cinquième des entreprises suisses est directement concerné. Ces entreprises mettent désormais tout en œuvre pour minimiser les répercussions: par exemple, en répartissant les frais de douane, en recourant au chômage partiel ou en délocalisant la production. Blick s’est déjà renseigné auprès de quelques PME en août. Comment les entreprises se sont-elles débrouillées depuis?
Le patron de Ricola, Thomas Meier
- Entreprise: Ricola Suisse SA de Laufen (BL)
- Produits principaux: bonbons aux herbes
- Nombre d’employés: plus de 450
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: 40%
«Nous générons déjà 40% de notre valeur ajoutée aux Etats-Unis: les bonbons sont produits en Suisse, expédiés aux Etats-Unis dans de grands sacs et sont conditionnés sur place. La hausse des droits de douane ne nous frappe donc pas de plein fouet. Mais nous augmenterons nos prix de 10% à compter du 1er décembre», déclare le PDG de Ricola, Thomas P. Meier à Blick. Pourtant, les bonbons aux herbes, considérés comme des produits haut de gamme aux Etats-Unis, sont environ un cinquième plus chers que les produits concurrents. «Aux Etats-Unis, nous investirons encore davantage dans l’automatisation de l’emballage», explique-t-il. Ici, Ricola prévoit de développer sa production en acquérant un site à Lenzburg (AG): «Bien que nous soyons à pleine capacité à Laufon, nous ralentissons actuellement notre rythme à Lenzburg en raison des incertitudes aux États-Unis.»
La directrice d’Emmi, Ricarda Demarmels
- Société: Emmi Group de Lucerne
- Produits principaux: produits laitiers tels que le fromage
- Nombre d’employés: 12’000, 3’000 en Suisse, 1’200 aux USA
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: n/a
Le groupe Emmi, dirigé par la CEO Ricarda Demarmels, prévoit de répercuter l’augmentation des coûts sur ses clients américains. Un porte-parole a toutefois refusé de fournir plus de détails. Emmi réalise 85% de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis. Pour ce faire, l’entreprise y emploie environ 1’200 personnes. Les 15% restants du chiffre d’affaires proviennent de spécialités fromagères comme le Gruyère, exporté depuis la Suisse. Emmi s’attend toutefois à une baisse des volumes d’exportation en raison des droits de douane. L’organisation de la filière laitière a d’ores et déjà pris des mesures pour alléger la pression sur le marché du lait. Parallèlement, Emmi étudie la possibilité de développer de nouveaux marchés d’exportation pour compenser la baisse des volumes.
Le chef de Maestrani Christoph Birchler
- Entreprise: Maestrani AG de Flawil (SG)
- Produits principaux: alimentation, chocolat
- Nombre d’employés: 160
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: moins de 10%
«Les droits de douane américains annoncés représentent sans aucun doute un grand défi pour notre entreprise familiale, tout comme pour l’ensemble de la branche», déclarait le directeur Christoph Birchler en août, à Blick. Avec une part de 39% des droits de douane, il estime que la compétitivité sur le marché américain n’est plus assurée. Depuis deux mois, le producteur de chocolat, propriété de Minor et Munz, se prépare à différents scénarios. Mais grâce à ses stocks, Christoph Birchler dispose encore d’une certaine marge de manœuvre.
Le patron de Victorinox, Carl Elsener
- Société: Victorinox d’Ibach (SZ)
- Produits principaux: couteaux de poche et de cuisine, montres et bagages
- Nombre d’employés: 2’250 dans le monde, 1’250 en Suisse
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: plus de 20%
«À partir de 2026, nous prévoyons des coûts annuels supplémentaires pouvant atteindre 13 millions de dollars», explique le PDG Carl Elsener. Cette menace est exacerbée par la force du franc suisse, la faiblesse du dollar et les droits de douane sur les composants en acier. La part des exportations est passée de 20 à 13% depuis l’instauration des droits de douane. Mais, grâce à des augmentations de stock, Carl Elsener a pu atténuer quelque peu l’impact à court terme. Pour contourner les droits de douane, l’entreprise étudie la possibilité de délocaliser certaines étapes de production finales, comme l’emballage, vers sa filiale américaine. Parallèlement, le PDG précise: «Nous étudions également de nouvelles opportunités de marché.» Il entrevoit un potentiel en Inde, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est.
Tina Müller, présidente de Weleda
- Entreprise: Weleda d’Arlesheim (BL)
- Produits principaux: cosmétique naturelle et produits de santé
- Nombre d’employés: 2’200 dans le monde
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: n/a
Le fabricant de cosmétiques naturels Weleda, dont la CEO est Tina Müller, subit également les droits de douane américains. Les Etats-Unis représentent un marché important pour l’entreprise bâloise. Cependant, Weleda affirme que ses produits phares – Skin Food Original et Skin Food Light – sont fabriqués en Allemagne et exportés de là vers les États-Unis. Deux produits de la gamme Skin Food sont fabriqués localement par un sous-traitant américain. Jusqu’à présent, le fabricant n’a pas ajusté ses prix, car la demande aux États-Unis reste stable. L’entreprise ne prévoit toutefois pas d’y ouvrir un nouveau site de production.
Le patron de Grovana, Christopher Bitterli
- Société: Grovana Uhrenfabrik AG de Tenniken (BL)
- Produits principaux: montres-bracelets
- Nombre d’employés: 25
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: 20%
Le marteau tarifaire frappe durement la manufacture horlogère Grovana: «Les affaires avec les Etats-Unis sont actuellement à l’arrêt», déclare Christopher Bitterli. Le CEO n’est pas prêt à supporter seul la hausse des coûts: «Je pense qu’il faut augmenter les prix, de sorte que les consommateurs américains le ressentent.» Une autre partie doit en outre être prise en charge par l’importateur. Malgré la situation incertaine, le CEO renonce au chômage partiel: «Nos collaborateurs sont notre atout le plus précieux». Christopher Bitterli a pu compenser la perte d’exportations américaines par une augmentation des ventes en Europe et en Extrême-Orient. Néanmoins, l’entrepreneur espère encore trouver une meilleure solution.
Le patron de Thermoplan, Adrian Steiner
- Entreprise: Thermoplan de Weggis (LU)
- Produits principaux: machines à café automatiques
- Nombre d’employés: plus de 500
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: plus de 30%
«Thermoplan enregistre une baisse sensible de son chiffre d’affaires, car les clients attendent un éventuel changement de décision pour passer leurs commandes», explique le CEO Adrian Steiner. L’ensemble de la chaîne d’approvisionnement subit également les conséquences du marteau tarifaire, car Thermoplan achète 80% de ses composants en Suisse. Certains partenaires seraient déjà en chômage partiel. «Compte tenu de la situation actuelle, nous sommes contraints d’évaluer d’autres sites de production. Nous devons déménager», ajoute Adrian Steiner. Thermoplan ne peut en effet pas se passer des États-Unis.
Gilles Robert, président de MPS
- Entreprise: MPS Micro Precision Systems AG de Bienne (BE)
- Principaux produits: composants de haute précision pour l’industrie des semi-conducteurs et la technique médicale
- Nombre d’employés: 560
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: 20-25%
Jusqu’à présent, le marteau tarifaire a eu relativement peu d’impact sur MPS. Mais cela pourrait bientôt changer: «Chaque semaine qui passe réduit les chances que quelque chose change dans la politique douanière», déclare le CEO Gilles Robert. Cela pourrait inciter les clients à rechercher des alternatives. Problème: «Il n’existe actuellement pas de véritable alternative aux États-Unis», poursuit le CEO. Néanmoins, MPS va essayer de s’orienter davantage vers l’UE. Gilles Robert compte maintenant sur la politique: «J’espère que cela suffira à garantir nos conditions-cadres».
Thomas Nägelin, chef de Fraisa
- Entreprise: Groupe Fraisa de Bellach SO
- Produits principaux: outils de précision
- Nombre d’employés: 523
- Part des exportations américaines avant les droits de douane: 8,5% du chiffre d’affaires à l’étranger
Fraisa a répercuté une partie des coûts supplémentaires sur ses clients américains: la PME a augmenté ses prix à deux reprises, soit 15% au total. Pourtant, Fraisa ne fournit que 30% de sa production suisse, le reste provenant de l’UE. Malgré cela, le CEO Thomas Nägelin prévoit une baisse d’un cinquième des marchandises vendues: «Nous subissons nous-mêmes les effets négatifs supplémentaires dus à l’affaiblissement du dollar.» Outre les États-Unis, le PDG souhaite renforcer sa présence en Europe. «Il ne faut pas répondre à des mesures arbitraires par des offres arbitraires.» Il estime par ailleurs que la prolongation du chômage partiel est une bonne chose, car elle permet aux entreprises qui souffrent de gagner du temps.