Un trop-plein de colère
Poster des commentaires négatifs sur les réseaux nous rend malheureux

Lorsqu’une colère débordante ne demande qu’à exploser, il peut s’avérer tentant de la déverser sur les réseaux sociaux. Un expert nous explique pourquoi c’est une très mauvaise idée.
Publié: 09.09.2025 à 21:00 heures
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Niels Weber, psychothérapeute spécialisé en hyperconnectivité, explique pourquoi le fait de déverser notre colère sur les réseaux sociaux nuit à notre bien-être
Photo: Shutterstock
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

C’est une véritable déferlante. Qu’il s’agisse des critiques écopées par la police lausannoise, des déclarations de Trump ou même de la nouvelle coiffure brièvement arborée par Kate Middleton, les réseaux sociaux se transforment en arène du courroux: les débats s’enflamment et les commentaires furieux s’enchaînent. Bon nombre de leurs émissaires ne prennent plus la peine de se tapir derrière un pseudonyme, assumant pleinement leurs avis les plus véhéments. 

Le mécanisme paraît simple: lorsqu’un contenu sur les réseaux sociaux «active» une forte émotion, on peut se sentir irrésistiblement poussé à l’exprimer pour s’en libérer. Mais pourquoi devient-il aussi commun de tout lâcher dans les commentaires, auprès d’internautes qu’on ne connaît pas? Ce réflexe, apaisant dans l’immédiat, n’augmente-t-il pas le mal-être qu’on cherche à alléger? Niels Weber, psychologue et psychothérapeute FSP spécialisé en hyperconnectivité, nous met en garde: le monde souffre et, commentaire par commentaire, on ne fait que miner davantage un moral en berne. Interview. 

Niels Weber, on observe un nombre impressionnant de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux. Pourquoi tant de venin, soudainement?

Depuis quelques années, la montée de l’extrême droite a contribué à délier les langues et à «banaliser» des propos autrefois tabous. En constatant que des leaders politiques tels que Donald Trump ou Marine Le Pen osent tenir des discours fascistes de manière décomplexée, de nombreuses personnes se sentent légitimes d’exprimer des opinions semblables. Cela évoque le principe de la «Fenêtre d’Overton», qui définit les sujets qu'il est socialement acceptable d'aborder: en ce moment, cette fenêtre est bien plus large qu’elle ne l’était il y a quelques années. 

Pourquoi cela fait-il «du bien» d’exprimer ouvertement des propos virulents?

Lorsqu’on ressent une émotion forte, le fait de l’extérioriser permet d’en soulager un peu l’intensité. C’est le principe même de se confier à un proche ou de partager son mal-être lors d’une consultation psychologique. Et c’est aussi pour cela qu’on préfère regarder un film d’horreur en groupe plutôt que de trembler tout seul sur son canapé: le fait que d’autres personnes partagent notre peur prouve que celle-ci est valide et normale, ce qui la rend plus facile à gérer. En d’autres termes, la régulation émotionnelle passe par l’extériorisation. 

Mais quand on poste sur les réseaux sociaux, on est tout seul face à des avatars inconnus…

Oui, mais le principe reste exactement le même. On pense souvent à tort que les réseaux sociaux s’articulent autour du narcissisme, mais ils permettent surtout d’apporter de la validation. Quand des personnes, même des inconnus, partagent notre avis, approuvent nos propos, affirment que nous avons raison, notre émotion désagréable est apaisée, car on se sent validé par autrui. Et quand un grand nombre de personnes acquiesce notre avis, l’effet sera d’autant plus important. On se sent encore mieux, encore plus accrédité, encore plus validé… 

Ces commentaires dénotent donc un trop-plein de colère et de frustration qu’on cherche désespérément à gérer. Mais n’ont-ils pas l’effet inverse, en aggravant le mal-être?

Oui, car ces commentaires risquent d’alimenter l’émotion débordante. Si une personne réagit à notre commentaire ou nous contredit, on va se sentir frustré et déployer de l’énergie pour essayer de la convaincre qu’on a raison. L’interlocuteur risque alors de s’énerver et de répliquer, ce qui nous enferme tous les deux dans un échange profondément négatif. Sans oublier que l’apaisement occasionné par l’envoi du commentaire ne dure pas: c’est un soulagement bref et immédiat qui ne peut chasser l’anxiété ambiante.

Cela revient en quelque sorte à tenter de vider un vase débordant à coups de petites cuillerées. On a l’impression d’ôter un peu d’anxiété à chaque commentaire, mais le vase ne fait que se remplir à nouveau. On a l’impression d’avoir pris le contrôle sur notre émotion, mais cela révèle surtout un déni de l’anxiété générale: on devrait plutôt se demander quel est le véritable problème et prendre soin de notre santé mentale: utiliser les réseaux sociaux comme déversoir ne suffira pas. 

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L'humain est automatiquement captivé par ce qui provoque des émotions fortes, surtout si elles sont négatives.
Niels Weber, psychologue et psychothérapeute FSP spécialisé en hyperconnectivité
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Et les réseaux sociaux encouragent donc ces échanges et cette angoisse?

Il ne faut jamais oublier que, pour capter notre attention, les réseaux sociaux mettent en avant les contenus suscitant des réactions intenses comme la colère, la peur, l’angoisse… Et on ne peut s’empêcher de les scruter, c’est le fonctionnement normal de l’être humain: nous sommes automatiquement captivés par ce qui provoque des émotions fortes, surtout si elles sont négatives. Cela fonctionne aussi avec les informations positives, mais le cerveau se concentre davantage sur le négatif, qu’il interprète comme une menace potentielle méritant notre attention. C’est un mécanisme de survie. 

Que conseillez-vous, dans ce cas, pour se décharger efficacement de la colère ou de la frustration, sans l’alimenter?

Je recommande souvent à mes patients d’écrire le commentaire négatif en question, mais de s’abstenir de l’envoyer. Le simple fait de rédiger le propos peut déjà contribuer à apaiser l’émotion, même si l’effet sera un peu moins puissant dans l’immédiat. Idéalement, il faudrait exprimer notre mal-être auprès d’un proche, afin de créer une véritable interaction. Celle-ci sera probablement validante, mais aussi plus modérée, basée sur une réelle discussion qu’il est possible de clore, pour passer à autre chose. Je conseille aussi de bien filtrer les contenus qui apparaissent sur nos réseaux sociaux, pour se préserver. En effet, en voyant que nous réagissons fortement à un certain type de contenu, l’algorithme va nous en proposer d’autres pour provoquer de nouveaux commentaires... et ainsi de suite. 

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