«Nous devons cette loi à notre fille»
Céline s'est suicidée en 2017, sa mère lance un appel au Parlement

Le cyberharcèlement doit-il devenir un délit? C'est le combat de la mère de Céline, qui s'est suicidée en 2017. Mais le Conseil national pourrait faire basculer la situation. Voici pourquoi.
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Depuis des années, Nadya et Candid Pfister se battent pour que le cyberharcèlement devienne une infraction à part entière dans le code pénal.
Photo: Siggi Bucher
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Lucien Fluri

Elle n’avait que 13 ans. Céline s’est suicidée après des mois de menaces, d’insultes et d’humiliations. Des images intimes de l’adolescente, originaire de Spreitenbach (AG), avaient circulé sur internet. Elle avait été mise sous pression, exposée, brisée. En 2017, sa mort avait profondément choqué toute la Suisse.

Depuis, ses parents ont fait de ce drame un combat. Nadya et Candid Pfister ont fondé l’association «Céline’s Voice» pour lutter contre le cyberharcèlement. Ils interviennent dans les écoles, racontent inlassablement l’histoire de leur fille, alertent l’opinion publique. Leur objectif est clair: montrer ce que le harcèlement peut détruire, empêcher l’oubli et forcer le débat sur les moyens de prévention et de répression.

Les Pfister ont accompli beaucoup de choses. Ils ont fait avancer le débat sur le cyberharcèlement. Mais cette semaine, un pilier essentiel de leur lutte vacille. 

La décision tombe vendredi

Depuis 2020, ils se battent pour que le cyberharcèlement devienne un délit à part entière dans la loi. Jusqu'à présent, cet effort était en très bonne voie. Cette année-là, la conseillère nationale socialiste argovienne Gabriela Suter avait déposé une motion en ce sens. Le Conseil national et le Conseil des Etats l’avaient approuvée à de larges majorités. L’administration fédérale avait même élaboré un projet de loi.

Mais aujourd’hui, tout pourrait s’arrêter net. La commission juridique du Conseil national veut faire marche arrière et enterrer le projet. Une décision pourrait tomber dès ce vendredi.

Pourquoi ce revirement? Selon la commission, le droit actuel suffirait déjà pour poursuivre le cyberharcèlement. Les victimes peuvent, en théorie, porter plainte pour injure, contrainte ou menaces. Créer une nouvelle infraction risquerait, selon elle, de compliquer le droit pénal et de créer des zones grises.

Un argument que Nadya Pfister rejette fermement. «Le cas de Céline nous a montré que cette infraction est nécessaire», déclare-t-elle. Elle jette un regard en arrière. Elle et son mari ont dépensé 25'000 francs pour qu'un peu de justice soit rendue, pour qu'une coupable et un coupable aient à rendre des comptes. Pour cela, ils ont déposé quatre plaintes contre deux auteurs et employé un avocat.

«En tant que parents, on doit se frayer un chemin dans une jungle juridique», explique-t-elle. «C’est extrêmement complexe, et on est vite dépassé.» Pour elle, c’est précisément là que le système échoue. Les victimes et leurs familles ne devraient pas porter seules ce fardeau financier et administratif. Dans les cas de cyberharcèlement, l’Etat devrait enquêter d’office.

Selon Nadya Pfister, les infractions existantes ne reflètent pas la réalité du phénomène. Le cyberharcèlement a une violence propre, amplifiée par les réseaux sociaux et les messageries comme WhatsApp. «Ce n'est pas la même chose que de se faire insulter dans la cour de récréation.» Les propos se propagent à une vitesse fulgurante, ils restent enregistrés, les victimes y sont confrontées 24 heures sur 24. «Nous sommes au 21e siècle. La loi doit s'adapter», insiste-t-elle.

«Céline n'est pas un cas isolé»

Nadya Pfister reçoit le soutien de la conseillère nationale Gabriela Suter (PS). L'élue socialiste affirme qu'il existe effectivement déjà aujourd'hui des infractions pénales telles que la contrainte ou l'insulte. Mais le harcèlement est divisé en plusieurs délits qui doivent être entièrement remplis individuellement pour être pénalement répréhensibles. «La combinaison des différents actes a cependant de graves conséquences pour les victimes.»

Le problème, dit-elle, est souvent là: chaque acte pris isolément ne suffit pas pour une condamnation, alors que l’ensemble du comportement est profondément destructeur et peut avoir des effets dramatiques.

Gabriela Suter est déçue que la commission juridique ne veuille plus faire avancer la loi. Après tout, l'administration fédérale avait élaboré un projet. La socialiste demande que celui-ci soit au moins mis en consultation et puisse ainsi être discuté publiquement.

Sur le terrain, Nadya Pfister continue d’entendre des récits glaçants. Elle est également en contact avec une mère dont la fille a fini par se suicider. Des camarades de classe avaient envoyé à la jeune fille une vidéo montrant quelqu'un se jetant sous un train. Le visage de la jeune fille y était découpé. «Céline n'est pas un cas isolé», dit Nadya Pfister. «Nous devons continuer à nous battre. Nous devons cette nouvelle loi à notre fille et à la société.»

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