En Suisse, selon les nouveaux chiffres de la Confédération, 41% de la population est issue de l'immigration. Environ 80% d'entre elle est née à l'étranger, ce qui représente 2,45 des 9 millions de personnes vivant sur le territoire helvétique. A Genève par exemple, 66% de la population de plus de 15 ans est issue de l'immigration.
Ganga Jey Aratnam est sociologue et chercheur en études migratoires. Naturalisé, il vit en Suisse depuis bientôt 30 ans. «Dans d'autres pays, avec de tels chiffres, nous serions probablement en guerre civile». Selon lui, la Suisse peut être fière de maîtriser aussi bien l'intégration de sa population étrangère. Mais alors, pourquoi cela fonctionne-t-il aussi bien dans notre pays? De quelle façon la migration a-t-elle transformé notre pays et quels problèmes subsistent encore? Pour mieux s'en rendre compte, Blick dresse neuf constats sur la politique migratoire de notre pays.
Un pays d'immigration qui ne veut pas en être un
De nombreux Suisses ne se rendent pas compte à quel point leur pays est une terre d'accueil. Lors de sondages, ils sous-estiment régulièrement les chiffres. «Beaucoup n'ont pas réalisé à quel point la Suisse s'est développée depuis les années 1990», explique Ganga Jey Aratnam.
L'une des raisons de cette vision tronquée? Si la Suisse se diversifie bel et bien, cela ne se reflète pas du tout au sein de la sphère politique. L'écrasante majorité de ses représentants sont d'origine suisse.
Les Suisses sont pris en sandwich
Un cliché dit qu'en Suisse il y a, en haut et en bas de l'échelle sociale, les étrangers. Et, entre les deux, les Suisses. Mais cet a priori n'est pas totalement faux: le nombre d'étrangers dans les sphères dirigeantes des grandes entreprises, des groupes boursiers ou parmi les professeurs d'Université est très élevé.
Citons par exemple Philipp Navratil, l’actuel directeur général du groupe Nestlé, né en Autriche ; le PDG de Novartis Vasant Narasimhan, né Pennsylvanie (USA) ou encore Morten Wierod, CEO d'ABB, d'origine norvégienne.
La Suisse a besoin de travailleurs
Ganga Jey Aratnam a récemment constaté un grand changement dans le débat sur la migration: «Les partis favorables à l'économie, comme le Parti libéral-radical (PLR) visent davantage à séduire les personnes issues de l'immigration.» En revanche, ils se concentrent sur les personnes hautement qualifiées. En toute connaissance de cause. «Ce n'est pas tout à fait honnête, critique Ganga Jey Aratnam. L'économie suisse a aussi besoin d'innombrables personnes qui ne sont pas hautement qualifiées. L'IA ne remplacera jamais les commis de cuisine dans un restaurant.»
Cette main-d'œuvre, la Suisse la trouve en grande partie grâce à l'immigration. Les critiques sur le domaine de l'asile mettent en danger l'intégration, principalement celles des personnes admises à titre provisoire pour lesquelles des mesures risquent d'être supprimées.
La naturalisation par le mariage
Dans plus de la moitié des mariages, au moins l'un des partenaires n'a pas de passeport helvétique. «C'est une ouverture massive de la Suisse vers l'extérieur», indique le socilogue. La question des frontières et du passeport n'empêcherait pas un mariage, même au sein des électeurs de l'Union démocratique du centre (UDC).
La croissance des villes
Selon Ganga Jey Aratnam, la libre circulation a principalement des conséquences pour les villes. Les travailleurs qualifiés de l'UE s'installent généralement dans des zones urbaines, qui deviennent encore plus puissantes sur le plan économique.
Les villes se heurtent cependant à leurs limites en raison de la nouvelle migration et des modes de vie modernes, comme les grands appartements habités que par une seule personne.
Une population mal répartie
Il existe d’importantes disparités entre les cantons en ce qui concerne la répartition de la population. Certaines régions, très denses souffrent de loyers exorbitants, d’autres sont de moins en moins peuplées.
Si dans les grandes villes, la population doit lutter pour obtenir un logement, les régions de montagne, elles, sont confrontées depuis des années à l’exode. Certaines écoles y ferment faute d’enfants.
Ganga Jey Aratnam s’interroge: ne faudrait-il pas chercher un meilleur équilibre entre les cantons en plein essor et ceux en déclin? Cela ne semble pas si absurde car, en ce qui concerne l’asile, la Suisse veille à une répartition équitable entre les cantons.
La Suisse sait très bien s'organiser
La migration a toujours été un sujet sensible, reconnaît le sociologue. Pourtant, selon lui, les Suisses s’en sortent grâce à un pragmatisme sain. Les artisans, notamment, affichent souvent une attitude critique envers la migration sur le plan politique, mais dans la pratique, ce sont eux qui embauchent et intègrent le mieux les travailleurs étrangers.
Les investissements consentis dans l’intégration sont d’ailleurs solides. «Contrairement à d’autres pays européens, les Suisses ont compris qu'un bon accueil porte ses fruits», souligne-t-il. Le système de concordance permet d’atténuer les extrêmes, tandis que la démocratie directe favorise la négociation des problèmes plutôt que leur polarisation. Dans ce cadre, les Suisses ont démontré à maintes reprises un bon sens de l’équilibre social.
Les étrangers «cachés»
Selon Ganga Jey Aratnam, le phénomène des travailleurs frontaliers – quelque 400'00 – reste largement sous-estimé. Pourtant, ils font eux aussi partie intégrante de la Suisse, bien qu’ils n’apparaissent pas dans les statistiques sur les étrangers. «Ce chiffre est considérable», souligne le chercheur. Il rappelle que les frontaliers versent leurs cotisations sociales et, pour la plupart, leurs impôts dans leur pays de résidence.
De ce fait, les régions concernées – notamment Genève et le Tessin – investiraient moins dans les infrastructures, le marché du travail et la formation, précisément en raison de cette main-d’œuvre transfrontalière.
Mais leur absence aurait de lourdes conséquences: sans eux, le Tessin manquerait par exemple cruellement de personnel soignant. Le canton italophone, déjà confronté au départ de nombreux jeunes, risquerait de se transformer peu à peu en «maison de retraite» sans ses frontaliers.
Pour le chercheur, ce n'est pas un hasard si la Lega est née au Tessin et le Mouvement Citoyen Genevois (MCG) à Genève. Les Suisses aux revenus plus modestes voteraient pour ces partis d'extrême droite, car ils craignent que leurs emplois soient menacés par les frontaliers.
La Suisse va encore plus se diversifier
En 2022, 59% des enfants âgés de 0 à 6 ans avaient au moins un parent né à l'étranger. Dans les années à venir, la part des personnes issues de l'immigration dans les statistiques continuera d'augmenter. La Suisse vieillit moins vite que l'Italie par exemple et, contrairement à de nombreux pays européens, la population suisse ne diminue pas.