Gabriela Purtschert est dos au mur. Arrivée d’Equateur en 2009, elle s’est installée en Suisse, a étudié la microbiologie à l’Université de Zurich, a apprivoisé le suisse allemand et a rencontré son compagnon autour d’une fondue au bord du lac. Son père adoptif suisse lui avait appris dès l’enfance à jouer au Uno et à Pierre le Noir.
Aujourd’hui, Gabriela Purtschert doit quitter le pays. L’Office des migrations du canton de Zurich lui a ordonné de partir avant le 14 octobre, sous menace de mesures de contrainte. Une décision totalement absurde à ses yeux.
Selon les autorités, «aucune intégration étroite ou approfondie» n’a pu être démontrée durant son séjour dans le pays. «Je suis choquée», dit-elle, dans un mélange d’allemand standard et de dialecte grison. «D’autres ne parlent presque pas la langue, et c’est moi qu’on veut renvoyer.»
16 ans, 20 permis temporaires
Devant l’Université Irchel à Zurich, Gabriela Purtschert tient en main les vingt autorisations de séjour temporaires qu’elle a obtenues au fil de ses seize années passées en Suisse. «J’ai presque réuni tout un jeu de cartes de jass», sourit-elle. Mais mardi, la dernière autorisation expirera. «Ça fait mal que la Suisse ne veuille pas de moi après tout ce qu’elle a investi en moi.»
En Equateur, elle a grandi auprès de sa mère et de son beau-père suisse, qui l’a adoptée. Elle n’a cependant pas obtenu le passeport helvétique, la procédure d’adoption ayant pris fin après sa majorité.
Chercheuse sur le fromage hybride
Son père et ses grands-parents, installés en Equateur depuis 1949 après avoir quitté le canton de Lucerne, lui ont transmis un fort attachement à la Suisse. Elle dessinait avec des crayons Caran d’Ache, portait le costume traditionnel lors des fêtes familiales et passait des heures dans la fromagerie de ses grands-parents.
En 2009, Gabriela Purtscher s’installe à Zurich pour ses études. Elle apprend le suisse allemand, travaille comme baby-sitter et serveuse, découvre le carnaval de Bâle, les lacs alpins et les soirées d’opéra. En 2022, elle obtient son doctorat en microbiologie. «Ensuite, j’ai travaillé sur les alternatives végétales au fromage à Agroscope. On ne peut pas faire plus suisse», s’amuse-t-elle.
Depuis 2024, elle cherche activement un emploi. «Pour beaucoup d’employeurs, je suis soit trop qualifiée, soit pas assez expérimentée. Et quand le poste me convient, c’est mon absence de permis de séjour qui bloque tout», explique la scientifique.
Un cercle vicieux
Durant ses études et son emploi temporaire chez Agroscope, Gabriela Purtscher n’a reçu que des autorisations de séjour limitées, comme le prévoit la loi suisse. «Pour obtenir un permis B et rester, il me faudrait un emploi à durée indéterminée. Mais sans permis B, je ne peux pas décrocher un tel poste en tant que ressortissante d’un pays tiers. C’est un cercle vicieux.»
Elle tente de garder le sourire malgré la situation. «C’est tellement absurde. J’ai fait tant d’efforts pour m’intégrer», souffle-t-elle.
Des soutiens indignés
Pour appuyer son recours contre la décision de l'Office des migrations, la doctorante a réuni les lettres de quinze amis. Son amie bâloise Alba Stamm la décrit comme «un exemple parfait d’intégration réussie». Son demi-frère, Oliver Purtschert, ajoute: «La chance m’a donné le passeport, mais elle le mérite bien plus que moi.»
Son compagnon suisse, Dominik Keusch, a joint plusieurs photos de leur quotidien: le festival du Gurten, des randonnées dans le Jura, des excursions dans le Freiamt. C’est Gabriela qui, avant chaque sortie, trace l’itinéraire sur Swisstopo.
«Je ne veux pas rester en tant qu'épouse»
Et le mariage? «Ce serait une solution, admet-elle. Mais quelle drôle de conception de l’intégration. Déjà enfant, je ne rêvais pas de me marier. Je veux rester ici comme biologiste qui a quelque chose à offrir au pays, pas comme épouse.»
La trentenaire dit ne pas comprendre qu’on valorise autant le mariage tout en négligeant les compétences et l’intégration réelle. «J'ai moi-même des collègues latino-américaines qui ont épousé des hommes suisses et qui peuvent rester ici, bien qu'elles ne parlent pratiquement pas allemand. Et moi, je dois partir. Ça me blesse», confie-t-elle.
Un avenir suspendu
Le recours de Gabriela Purtschert contre la décision d'expulsion est toujours en suspens. Sa seule chance de rester durablement dans son pays de cœur serait d’obtenir un contrat à durée indéterminée, de préférence dans un poste lié à sa spécialité.
«Je me passionne pour les processus de fermentation des aliments d’origine végétale. On pourrait aussi avoir besoin de moi dans le secteur pharmaceutique», dit-elle. Des entreprises comme Syngenta, Planted ou Emmi lui viennent à l’esprit. «Je serais tellement prête.»
Gabriela Purtschert préfère ne pas penser à ce qui arriverait si elle devait quitter la Suisse. Une chose, toutefois, ne fait aucun doute pour elle: «Je me sens suisse. Pas temporairement, mais pour toujours.»