«Il faut un messages concis, comme un tweet»
Comment KKS peut-elle mieux faire avec Trump ? L'ex-conseillère présidentielle se confie

Ex-conseillère d'Alain Berset, Véronique Haller a participé aux entretiens téléphoniques avec des chefs d'État. Une conversation sur la psychologie, le facteur féminin et pourquoi Keller-Sutter devrait donner à Trump l'impression d'être un excellent négociateur.
Publié: 08.09.2025 à 20:30 heures
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Dernière mise à jour: 08.09.2025 à 23:45 heures
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En tant qu'ex-conseillère présidentielle, Véronique Haller a participé à de nombreux appels téléphoniques et rencontres avec des chefs d'État.
Photo: Raphaël Dupain
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Raphael Rauch

Véronique Haller, quand un entretien présidentiel est-il réussi ?
80% relèvent de la psychologie, 80% de l'atmosphère et 20% du contenu.

Cela fait 180%...
La diplomatie présidentielle est régie par ses propres lois. Les faits ont déjà été clarifiés en amont par l'administration. Dans le monde de l'économie, c'est le résultat qui compte: croissance, bénéfices, parts de marché. La politique mondiale, elle, repose moins sur les chiffres que sur les symboliques et le pouvoir. Les chefs d'État ne se contentent pas d'agir, ils incarnent.

Qu'est-ce que cela signifie?
Les États n'agissent pas en fonction de l'efficacité d'une proposition, mais selon une logique propre faite de revendications de pouvoir, d'histoire et de reconnaissance mutuelle. D'où l'importance de l'atmosphère. Avec Alain Berset, nous parlions toujours beaucoup de la mélodie d'une conversation: ton idéal, volume et message d'ouverture.

Qu'entendez-vous par atsmosphère?
Cela concerne les rencontres physiques et pas forcément une conversation téléphonique. L'espace lui-même en dit long. Comment les chaises sont-elles disposées? Où se trouve la table? Où se trouve le drapeau? Est-ce que j'attends le président devant la salle ou est-ce que je vais le chercher pour que nous marchions ensemble dans le couloir? De tels détails peuvent changer la dynamique d'un échange dans la haute sphère politique.

Vous avez été la conseillère présidentielle d'Alain Berset. Comment s'est-il préparé aux entretiens difficiles?
Il savait quels étaient les messages fondamentaux à transmettre, mais il essayait aussi méticuleusement de se mettre à la place de son interlocuteur. Il voulait connaître des anecdotes pour briser la glace et savoir ce qui le préoccupait réellement tant sur le plan professionnel que privé. L'entretien téléphonique ne se termine pas au moment de raccrocher, car ce qui est décisif, c'est ce qui est ensuite raconté à l'interne et à l'extérieur.

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Disons-le ainsi: nous n'avons pas de président de la Confédération exercé!
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Avez-vous scénarisé et répété les entretiens au préalable?
Bien sûr, mais un entretien se déroule rarement selon un scénario. Lors du WEF 2018, à Davos, Trump a sauté de sujet en sujet. Nous étions préparés à cela, et nous avons préparé des mots-clés et des phrases pour ne pas nous perdre. Dans les moments difficiles, de nombreux présidents tournent nerveusement les pages de leur dossier à la recherche d'une réponse. Ce n'est pas une solution. Le pouvoir des pauses est sous-estimé.

En Suisse, la fonction de président de la Confédération est un trophée itinérant. Est-ce un inconvénient?
Disons-le ainsi: nous n'avons pas de président de la Confédération exercé! Il faut de l'entraînement pour se comporter en homme d'État. Notre système ne veut pas concentrer le pouvoir. Pourtant, la confiance est le véritable atout de la diplomatie. L'ex-premier ministre canadien Justin Trudeau a un jour dit à Alain Berset que «La Suisse n'est pas tangible. Chaque fois, quelqu'un d'autre vient.»

Quelle erreur Karin Keller-Sutter aurait-elle pu commettre lors de son appel avec Trump?
Trump est préoccupé par le pouvoir et le fait de gagner. Il veut tout maîtriser et réagit fortement sur le plan personnel. S'il n'y pas d'alchimie, vous avez perdu.

Aurait-elle dû préparer un joker?
Trump voulait des concessions financières immédiates et non une discussion rationnelle. La Suisse ne travaille pas avec des jokers, mais avec des positions concertées. Or dans la diplomatie instantanée de Washington, c'est précisément cela qui est mis à l'épreuve.

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J'estime que Trump ne s'est pas intéressé à Karin Keller-Sutter. La rencontre a été trop brève pour qu'il la remarque vraiment
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La directrice du Seco Helene Budliger Artieda aurait-elle dû être présente lors de la conversation téléphonique?
Le téléphone est la scène de la présidente de la Confédération. La personne qui écoute est secondaire. Le travail avec les représentants d'autres départements se fait plutôt lors de la préparation et du suivi. C'est ainsi que les choses se passent à Berne, malgré le gouvernement collégial.

Vous étiez là lorsque Karin Keller-Sutter a rencontré Trump à Davos en 2018 en tant que présidente du Conseil des États. L'alchimie entre les deux était-elle meilleure à l'époque?
Il n'y a eu qu'une poignée de main furtive entre eux. J'estime que Trump ne s'est pas intéressé à Karin Keller-Sutter. La rencontre a été trop brève pour qu'il la remarque vraiment.

Quel rôle le fait que la présidente soit une femme a-t-il pu jouer dans la conversation téléphonique?
Karin Keller-Sutter est une femme politique très expérimentée et ne se laisse pas intimider. Pourtant, Trump aime le monde des alphas. Il est possible qu'il l'ait trouvée donneuse de leçons parce qu'elle est une femme. Toutefois, Trump s'exprime également avec condescendance à l'égard des hommes lorsqu'ils ne lui conviennent pas.

Que devrait faire le Conseil fédéral maintenant?
Le Conseil fédéral doit faire preuve d'unité et communiquer clairement que nous sommes ouverts aux négociations, mais pas soumis au chantage. Parallèlement, Berne doit réfléchir à la manière dont elle entend orienter sa politique étrangère à l'avenir. Depuis janvier 2025, les Etats-Unis ne sont plus les gardiens de l'Occident: tous les pays occidentaux sont dépassés et luttent pour savoir comment gérer le nouvel arbitraire de Washington.

Donald Trump pourrait aussi accuser la Suisse de manipulation monétaire ou de parasitisme en matière de politique de sécurité. Devons-nous nous préparer à autre chose?
Trump peut revenir avec n'importe quoi: nous devons nous préparer à ces scénarios et ne rien exclure.

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Un accord avec Trump n'est valable que lorsqu'il l'a lui-même annoncé sur ses réseaux sociaux
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Le conseiller fédéral Guy Parmelin était à Washington cette fin de semaine pour renégocier les tarifs douaniers. Le secrétaire américain au Commerce a déclaré que la Suisse devrait investir 550 milliards de dollars aux Etats-Unis, comme le Japon, afin de réduire les droits de douane américains à 15%. Qu'en pensez-vous?
Les accords à court terme de plusieurs milliards sont comme un éclair dans le ciel. Spectaculaires, mais uniquement destinés à exercer une pression politique. La Suisse n'est pas le Japon. Notre système politique ne connaît pas de programmes d'investissement de plusieurs milliards. L'ouverture commerciale et la fiabilité doivent rester notre approche dans la recherche d'un accord.

Comment savoir si l'on a vraiment un accord ou si Trump risque encore de tout gâcher?
Un accord avec Trump n'est valable que lorsqu'il l'a lui-même annoncé sur ses réseaux sociaux. Plus il peut vendre le deal comme étant son succès personnel, plus le résultat devrait être stable. Avec Trump, il y a donc toujours un risque résiduel.

Karin Keller-Sutter ne devrait-elle plus téléphoner à Trump, mais le rencontrer personnellement?
Téléphone ou rencontre personnelle, cela dépend de Trump et de la stratégie du Conseil fédéral. Il peut être sage d'attendre que la colère du président américain retombe, mais il est tout aussi sage de faire preuve de flexibilité. Ce qui est décisif, c'est que la présidente de la Confédération se présente avec des messages concis, qu'elle peut répéter et qui ont leur place dans un tweet. J'essaierais de donner à Trump le sentiment d'être un formidable négociateur.

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