Le directeur de MétéoSuisse s'alarme face aux coupes budgétaires
«La Suisse se réchauffe plus rapidement que la moyenne»

Christof Appenzeller travaille depuis plus de 25 ans pour l'Office fédéral de météorologie. Dans cette interview, le directeur de MétéoSuisse parle des défis de la prévision météorologique et de la chaleur. Selon lui, la Suisse se réchauffe plus vite que la moyenne.
Publié: 12:26 heures
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Dernière mise à jour: 12:30 heures
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Christof Appenzeller est le directeur de MétéoSuisse.
Photo: Philippe Rossier
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Nastasja Hofmann, Joschka Schaffner et Philippe Rossier

Une nouvelle vague de chaleur s'abat actuellement sur toute l'Europe. Selon les prévisions, l'été sera extrêmement chaud, peut-être même le plus chaud depuis que des mesures sont effectuées. Encore un effet tangible du réchauffement climatique.

Des températures aussi extrêmes ne sont pas seulement un supplice pour la population, elles préoccupent aussi les météorologues. Nous avons discuté avec Christof Appenzeller, physicien de l'environnement et directeur de MétéoSuisse, de ce qui fait l'art de la prévision météorologique et des raisons pour lesquelles ce métier n'a jamais été aussi important, notamment pour la politique.

Monsieur Appenzeller, quel serait pour vous le jour météorologique parfait?
Pour moi, le plus important avec la météo, c'est qu'elle change. Mais si je pouvais en garder qu'une, je choisirais une situation anticyclonique en hiver dans les montagnes.

Avez-vous déjà fait des prévisions météorologiques erronées?
Oui, il y a malheureusement toujours des prévisions qui ne sont pas tout à fait exactes. Je me souviens de l'hiver 1999. Je travaillais depuis deux mois pour MétéoSuisse lorsque la tempête Lothar s'est abattue sur la Suisse. Il n'a été possible de la prévoir qu'à court terme. La plupart des services météorologiques en Europe n'ont pas fait du bon travail. Avec les moyens et les modèles de l'époque, il était tout simplement impossible de prédire l'arrivée de la tempête Lothar. Malgré tout, on aurait aimé faire mieux. Mais cela a aussi conduit à de nombreuses innovations pour améliorer les modèles. Je pense que cela ne nous arriverait plus aujourd'hui.

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Je dirais que le plus grand défi a été d'accompagner ce changement
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Avec le recul, pensez-vous à d'autres défis marquants?
La météorologie a connu une évolution spectaculaire. Il y a 30 ans, on dessinait encore les cartes météorologiques à la main. Il y avait également très peu de données satellites. Et aujourd'hui, nous avons deux superordinateurs, un à Lugano et l'autre à Lausanne, qui calculent nos prévisions météorologiques. Presque tout est informatisé et donc automatisé. Je dirais que le plus grand défi a été d'accompagner ce changement et, de mon point de vue de directeur, de trouver le financement nécessaire.

La météorologie est-elle sous pression financièrement?
Nous subissons la même pression que tous les autres offices fédéraux. Les effets des coupes budgétaires se font ressentir, et cela nous inquiète. La situation est particulièrement difficile, car nous devons travailler 24 heures sur 24. Les orages extrêmes peuvent aussi survenir à 2h du matin. Réduire les dépenses est un véritable défi, parce qu'on ne peut pas simplement raccourcir les journées. C'est pourquoi nous avons commencé à démonter les stations de mesure, à stopper les développements et à reporter les rénovations.

En ce qui concerne les réductions, il y a certainement des effets internationaux, par exemple liés aux Etats-Unis.
Oui, ces effets existent et on les ressent. En principe, aucun pays ne peut faire de prévisions sans ses partenaires internationaux. Aux États-Unis, les coupes budgétaires dans le domaine du climat, notamment à la Nasa, ont été très importantes. Nous avons également des échanges avec eux. Cependant, la situation ne se résume pas à une dépendance européenne vis-à-vis des Américains. Ils dépendent aussi de nous. Si les échanges de données venait à disparaître, ce serait catastrophique pour la communauté internationale.

Les mesures d'économie aux Etats-Unis sont-elles liées au fait que la responsabilité humaine dans le changement climatique est mise en doute?
Le fait que le changement climatique soit d'origine humaine est indiscutable au sein de la profession. Le changement climatique est un problème mondial, il a aussi lieu aux États-Unis. Personne ne peut y échapper.

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Parfois, je me dis que les décisions politiques pourraient être prises plus rapidement
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En parlant du changement climatique, qu'est-ce qui vous donne de l'espoir?
Il suffit de jeter un coup d'œil en arrière. Au début de ma carrière, il y a 30 ans, certains groupes doutaient encore du changement climatique. Je pense que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il est maintenant indiscutable que nous devons réduire les émissions de gaz à effet de serre. Je vois cela de manière positive. Un regard sur l'industrie et l'économie me donne également de l'espoir, car de nombreuses entreprises développent activement des solutions.

Et qu'est-ce qui vous inquiète?
Nous enregistrons de nouveaux records presque chaque année. Le changement climatique progresse rapidement. Parfois, je me dis que les décisions politiques pourraient être prises plus rapidement, car le changement climatique nous touche tous et a de larges répercussions.

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La population se rend compte que la situation est effectivement telle que dans les scénarios imaginés il y a 20 ans
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Vous dites que le changement climatique nous touche tous. C'est aussi pour cette raison que le climat a été de plus en plus politisé au cours des dernières décennies. Comment l'avez-vous remarqué?
Je me souviens encore de l'arrivée des gros titres sur les scénarios d'avenir possibles. Les premiers records ont étonné les gens. Maintenant, nous le ressentons régulièrement. En Espagne notamment, il fait incroyablement chaud en ce moment. Et la population se rend compte que la situation est effectivement telle que dans les scénarios imaginés il y a 20 ans.

Dans quelle mesure vos connaissances peuvent-elles avoir un impact sur la politique?
Notre tâche principale consiste à surveiller et à prévoir. Nous élaborons des scénarios climatiques sur lesquels l'industrie, l'économie et la politique peuvent fonder leurs décisions. L'Office fédéral de l'environnement est chargé de préparer le terrain pour les décisions politiques.

Cela donne l'impression que vous n'avez pas de marge de manœuvre.
La marge de manœuvre est indirecte. L'un des meilleurs exemples de notre contribution est le projet «toitsolaire.ch». Grâce à cette application, chaque citoyen suisse peut calculer le potentiel solaire de son toit. Ce projet s'appuie sur des données satellites et des calculs très complexes. Nous devrions également avoir un projet analogue pour l'énergie éolienne. Nous devrions calculer en permanence la quantité de vent disponible en Suisse et à quels endroits. Il est de notre devoir de mettre à disposition les bases nécessaires à temps. De ce point de vue, MétéoSuisse contribue beaucoup aux solutions. Pas directement en éliminant le CO2 de l'air, mais en fournissant les bases.

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Ce serait une très mauvaise idée de faire des économies sur notre dos
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Cela demande des ressources importantes! Craignez-vous à l'avenir d'être encore plus soumis au marteau des économies politiques?
Cela m'inquiète vraiment. Pour moi, il est très important que la politique reconnaisse que nous fournissons les bases permettant de faire face au changement climatique et aux situations météorologiques extrêmes. Ce serait une très mauvaise idée de faire des économies sur notre dos. Si nous voulons être mieux préparés, si nous voulons mieux gérer la situation, nous devons disposer des bases nécessaires. Il nous faut des prévisions précises et des personnes capables de donner les bons conseils.

Parlons des risques naturels. Est-ce que l'effondrement à Blatten (VS) est une conséquence directe du changement climatique?
La question est en train d'être éclaircie. Il est clair que le permafrost diminue sous l'effet du changement climatique. L'effet de ce phénomène sur les éboulements de grande ampleur est une question complexe. Mais il est clair que le changement climatique est pris en compte dans les cartes de risques. Nous constatons également que la Suisse se réchauffe plus rapidement que la moyenne – et ce pour diverses raisons. De plus, les fortes précipitations augmentent lors des orages. C'est particulièrement impactant pour la région alpine suisse, car elle est exposée à de nombreux risques naturels, tels que les glissements de terrain ou les laves torrentielles.

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